Sarah Jane Morris : Musique de tête
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Sarah Jane Morris : Musique de tête

Avec la parution de son septième album, Love & Pain, le premier composé de chansons originales, la Britannique SARAH JANE MORRIS ne chante plus seulement ce qu’elle a dans les tripes, mais aussi dans la tête…

Chanteuse caméléon, Sarah Jane Morris? Depuis ses débuts dans la pop britannique en 1986 avec la reprise à succès de Don’t Leave Me This Way au sein des Communards, en passant par six albums de versions d’artistes aussi éclectiques que Leonard Cohen, Marvin Gaye, Nick Cave, John Lennon et Johnny Thunder, on doit finalement admettre qu’avec la parution de son septième album, Love & Pain, sur sa propre étiquette Fallen Angel, Sarah Jane Morris ne fait plus que… du Sarah Jane Morris. "Depuis quelques années, raconte-t-elle, j’ai été amenée à chanter dans tellement de styles: je suis passée par un groupe africano-latino-antillais, un groupe de musique des townships d’Afrique du Sud, du big band, du Kurt Weil, du Debussy et d’autres classiques… mais j’ai finalement trouvé ma propre voix au travers de tout cela."

Depuis quelques années, on tente tant bien que mal de l’associer au mouvement jazz-néo-soul des Cassandra Wilson, Macy Gray et autres Erykah Badu, mais la rousse chanteuse se défend bien de vouloir s’enfermer elle-même dans un genre précis. "Je ne me fais pas de soucis avec les catégorisations, car une ne sera jamais assez… Cette année, je participerai à des festivals de jazz, de rock, de blues et de folk! J’ai été influencée par une telle gamme d’artistes au cours de ma carrière, que toutes ces influences se retrouvent maintenant dans mon style. J’ai été considérée longtemps comme une chanteuse de jazz; pas par le monde du jazz, mais le monde pop! Les puristes ne m’ont jamais acceptée à cause de ce début de carrière pop. Je suis vraiment une chanteuse R&B, de par mes vraies racines. Dans mon adolescence, dans les années 70, il y avait tellement de fabuleuse musique de tous les genres et tout le monde écoutait de tout", explique Sarah Jane.

Alors qu’elle étudiait à l’École de théâtre à Londres, un ami pianiste lui fit découvrir la musique de Billie Holiday, elle qui n’avait encore jamais prêté l’oreille à la note bleue. Mais le ton chaud et polyvalent de sa voix, qui s’apparente au son du saxophone ténor l’amena tout naturellement vers ce genre d’interprétation. "Sur mon avant-dernier album, August, que j’ai fait avec Marc Ribot (aussi guitariste de Tom Waits) et qui fut le premier dont je me sentais vraiment en contrôle total, dit-elle, il s’agissait encore de versions sauf pour une originale, que j’avais écrite en prévision de Love & Pain, et Marc m’a convaincue de l’y inclure. Pour en monter le répertoire, j’avais choisi une douzaine de CD favoris de ma collection et Marc a adapté les chansons une fois rendu en studio."

Après avoir reconnu et pris confiance en son talent d’écriture, vint le temps pour elle de se commettre pour de bon. À titre d’auteure, Sarah Jane écrit des textes de chansons qui célèbrent toutes le statut d’être femme. "Au début de la quarantaine, je réalise vraiment toute la complexité d’être une femme et je tenais à l’exprimer au risque de soulever une foule de contradictions, comme dans la chanson It’s Jesus I Love. Ça soulève un dilemme: nous voulons tellement de choses et nous envoyons tellement de messages contradictoires que ça rend les hommes confus. C’est ainsi que j’en suis arrivée à la phrase: It’s Jesus I love… but it’s the devil I need!"

Ce plus récent album fut d’ailleurs créé de manière assez peu orthodoxe, voire carrément avant-gardiste: "Pour Love & Pain, puisque moi et mon batteur Martin (Martyn Baker, membre de Shriekback), avec qui j’ai fait l’album, sommes tous deux parents et vivons à trois heures de distance l’un de l’autre – moi à la campagne et lui à North London -, nous ne pouvions qu’investir un jour par mois sur ce projet. Alors, après avoir reconduit mon enfant à l’école, je prenais le train pour me rendre chez lui et j’avais exactement le temps d’écrire les paroles de la chanson du jour! Puis Martin, qui a une enregistreuse huit pistes dans son hangar, au fond de son jardin, créait de son côté une boucle de percussions, l’enregistrait dans son huit pistes au travers toutes sortes d’effets sonores, et nous combinions alors mon texte et sa musique. Au bout de 12 chansons, nous nous sommes bien rendu compte que quelque chose manquait. Donc, nous sommes allés voir Calum MacColl (musicien écossais bien connu) et lui avons remis les bandes, en lui demandant d’en faire ce qu’il voulait. Il a alors ajouté tous les autres instruments, en plus d’inviter la tromboniste Annie Whitehead (Jah Wobble, Fun Boy Three, Penguin Café Orchestra) sur quelques chansons." Finalement, il ajouta sur quelques chansons une section de cordes qui fut enregistrée à Florence.

En quelques années de fréquentes tournées, Sarah Jane Morris s’est bâti plusieurs fan-clubs d’irréductibles dans divers pays tels qu’en Italie, en Grèce, en France, en Allemagne, au Japon et, depuis l’été dernier, au Québec. A-t-elle idée pourquoi on l’apprécie particulièrement dans ces pays? "En Grèce et en Italie, les gens accrochent beaucoup sur les mélodies et ils aiment l’image d’une femme forte, spécialement d’une femme étrangère qui n’est pas issue de leur propre culture. Or, j’ai un look assez celtique, je m’habille de manière peu conventionnelle et je suis très expressive; ça semble leur plaire, avoue-t-elle sans hésitation. Et au Québec? Au Québec, la réponse fut également très positive et je crois que vous avez aussi apprécié voir Marc Ribot; il est tellement excentrique!"

Pour son spectacle de cette année, elle offrira une autre prestation relativement dépouillée, accompagnée de seulement deux guitaristes, mais non les moindres: Calum MacColl et son frère Neil, qui chantent également. "Calum et Neil sont issus d’une grande famille musicale: leur père, Ewan, a écrit Dirty Old Town, leur mère est Peggy Seeger, l’une des plus grandes folk singers américaines; leurs oncles sont Pete et Mike Seeger et leur soeur Kirsty, décédée tragiquement il y a deux ans, chantait également avec The Pogues, le groupe de mon mari, David Coulter."

Les 27 et 28 juin à 19 h
Au Club Soda
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