

Egberto Gismonti : Double vie
Y aurait-il une erreur dans le programme du FIJM? Non, pourtant. C’est bien EGBERTO GISMONTI, un des plus fabuleux guitaristes que l’Amérique du Sud nous ait donné, qui est à l’affiche en piano solo! Conversation passionnante avec un prodigieux ambidextre perpétuellement fasciné par la richesse musicale de son propre pays…
Ralph Boncy
"Ah, oui. Pianiste, oui. Je suis pianiste avant tout." L’intarissable Gismonti me parle dans un français impeccable depuis son domicile brésilien où semble régner un bonheur serein. "En fait, c’est la musique ma première amie, poursuit-il. Et, la chose la plus importante que j’ai découverte à travers toutes ces dizaines d’années, c’est mon intimité avec la musique. La technique n’est qu’une conséquence. De même que les compositions, les orchestrations et tout ça. Je fais des plaisanteries en disant que s’il n’y a ni piano ni guitare, j’ai toujours la musique avec moi!"
Mais comment maîtriser ainsi deux instruments contradictoires à un tel niveau de performance? De Port-au-Prince à Montréal, ça fait vingt ans que je regarde mon Egberto alterner les deux sans vraiment pouvoir l’expliquer. Son dernier concert au Spectrum, il y a quatre ans, offrait une première partie époustouflante de trio de cordes et, en deuxième partie, un superbe récital de piano uniquement. Ceux qui ont écouté l’album acoustique enregistré à l’UQAM en ’89 avec Charlie Haden à la contrebasse jureraient eux aussi qu’il est impossible pour le même homme de passer de l’un à l’autre avec une si délirante flexibilité.
"Exceptionnellement, disons que je suis un musicien avec une certaine agilité. Ça veut dire qu’à part la technique traditionnelle d’une école donnée (le piano), il y a une nature physique qui me facilite l’alternance entre les deux. Il est vrai que j’écris des deux mains sans effort, mais le secret, c’est que j’ai réussi à trouver une seule pensée musicale que j’applique aux deux instruments. C’est une musique à deux voix où la main droite et la gauche sont complètement indépendantes. Voilà pourquoi j’ai grossi le manche de la guitare avec assez d’espace pour mettre huit, dix ou douze cordes avec des intervalles différents. La guitare ordinaire était devenue un peu trop petite pour ma pensée. Comme ça, si je fais une heure de guitare par jour pendant une semaine, je suis prêt pour le piano et vice et versa. Ça m’est égal. J’ai un piano silencieux de deux octaves et demie et un petit "neck" à dix cordes comme un "stick" que j’amène toujours avec moi en voyage." Tu parles d’un sportif! Et il ne s’arrête pas là: "Mon premier but était de pouvoir maîtriser les deux. Maintenant je veux découvrir une façon d’écrire pour d’autres instruments cette musique brésilienne que je cherche avec obstination depuis trente ans. Je ne suis plus anxieux, mais la recherche continue. Malheureusement, je ne suis pas tellement organisé ou discipliné."
Ah, bon? N’empêche que ce musicien et compositeur de génie, né à Carmo dans le Mina Gerais, d’un père italien et d’un mère libanaise, a quand même complété une soixantaine d’albums en quelque trente ans depuis le fascinant Orfeu Novo enregistré en Europe pour une étiquette allemande alors qu’il travaillait en France avec Nadia Boulanger, Gérald Merceron et… Marie Laforêt! Gismonti se défend d’être un musicien de jazz. C’est un peu le Stravinski du Brésil. Un Villa Lobos plus avancé qui n’a pas peur de la musique populaire. Dodécaphoniste convaincu, il a vécu chez les indiens Xingus et milite pour la survivance d’une musique orchestrale et moderne spécifique des cultures de son pays. Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire treize ballets et vingt-cinq musiques de films. Ni de tourner en duo avec Gilberto Gil l’année dernière. Mais son ami est ministre maintenant et ça le fait rigoler. Ils vont peut-être faire un disque après, mais son prochain album sur étiquette ECM sera avec ses enfants, Bianca et Alexandre, qui sont dans la vingtaine et vivent avec lui dans l’état de Rio depuis neuf ans.
"Je ne peux pas vivre autre part qu’au Brésil. J’ai déjà essayé à Paris, à L.A., ça ne marche pas pour moi. Ici c’est un pays immensément riche, partagé en trois grande zones avec des spécificités très particulières venant de vingt-sept états. C’est un territoire grand et complexe avec des contradictions inimaginables. Tiens, au mois de février 2003, dans la même page d’un quotidien national, on relatait un état d’alerte, un incident provenant d’une ville où il y a une usine nucléaire importante. Et juste à côté, au Nord de la région de Calapalo, le journal annonçait qu’on venait tout juste de découvrir une nouvelle tribu d’indiens Xingu. C’est ça, le Brésil!"
Le 4 juillet à 21 h 30
Au Monument national
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