Émilie Simon : Un amour de coccinelle
Musique

Émilie Simon : Un amour de coccinelle

Plus récente manifestation d’un romantisme juvénile que ne détestait pas Gainsbourg, ÉMILIE SIMON représente un drôle d’hybride entre Portishead et Vanessa Paradis, cultivant le paradoxe d’une naïveté perspicace.

Piétinée, sur la pochette de son album, par un bataillon de coccinelles virtuelles, Émilie Simon possède elle-même certaines qualités du sympathique insecte. À ouïr ses rythmes tout en détails, à l’entendre chanter menu avec un filet de voix légèrement trafiqué, on croirait entendre un authentique coléoptère humanoïde, grignotant puis s’envolant d’une pièce à l’autre en promenant sa rondeur rouge et tachetée. Et en se rappelant l’appétit légendaire de la coccinelle pour les néfastes pucerons, on percevra peut-être une action similaire des chansonnettes de Simon à l’endroit des bibittes du quotidien.

Au-delà de l’apparente simplicité de ce court disque de trente-neuf minutes, une écoute attentive peut y déceler une passion méticuleuse pour les détails et pour l’infiniment petit. Bercée depuis sa prime enfance par le jazz vivant – son père était ingénieur du son et gérait un studio privé -, la demoiselle de 24 ans, fan invétérée du grand Gainsbourg, ne pouvait de toute évidence appréhender la pop sans un certain raffinement. Non avertie de notre entretien téléphonique (?), elle se montre néanmoins disponible et se souvient de ces années où sa mère l’endormait parfois dans un club: "C’était très hétéroclite, dit-elle, car mes parents avaient une vie très sociale, il y avait beaucoup de musiciens qui passaient par la maison. J’ai grandi en écoutant les Beatles et Crosby Stills Nash & Young, alors la musique pop a été mon langage dès le début."

Oubliez toutefois ces références trop précises, puisque le répertoire de Simon brasse les influences rock, jazz et trip-hop telle une habile saucière. Malgré l’excédent de retenue qui flotte encore ici et là, ce pourrait être le début de quelque chose, d’une nouvelle personnalité. Si bien sûr les hannetons du commerce ne viennent saboter ce chant.

Une légèreté savante
Les études musicales relativement approfondies d’Émilie Simon vont aussi à l’encontre de son image et de sa voix de bébé techno. Après une maîtrise en musicologie, section musique contemporaine, elle s’est dirigée vers les labos réputés de l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique, au Centre Pompidou à Paris) pour y étudier des logiciels et affiner sa perspective sur le son, sa structure et les techniques électroacoustiques.

Ce n’est donc pas un hasard si on la retrouve omniprésente sur un album initial qui, éponyme, porte effectivement très bien son nom. Auteure, compositrice, réalisatrice, programmeuse, arrangeuse, sa débrouillardise et sa curiosité la distinguent déjà d’une coqueluche passagère, pour autant qu’elle apprenne à assimiler et diversifier encore ses influences. La comparaison avec Björk, effectuée un peu vite par plusieurs journalistes, est désormais rien de moins qu’un fardeau à assumer.

Pour l’instant, la doryphore auditive s’avère satisfaite d’un succès relativement rapide, savourant la surprise d’une si bonne réception – chez elle, du moins – pour son premier essai. "C’est un album qui a été fait à la maison, dans mon studio, à la façon d’un démo, pour pouvoir réécouter les pièces et prendre du recul. Ensuite, j’ai peaufiné ça jusqu’à ce que ça devienne presque achevé du côté sonore, alors il n’était plus question de confier la chose à quelqu’un d’autre. J’y ai mis beaucoup d’énergie et de bonne volonté, de travail et d’engagement personnel."

Simili monée
C’est qu’elle n’entend pas à rire, miss Simon, désireuse avant tout d’afficher son professionnalisme. Aussi hésite-t-elle à se laisser aller en interprétations à propos des douze morceaux qui composent pour l’instant son univers. De l’angoisse miniaturiste de Désert au pointillisme de Il pleut (qui rappelle presque un certain calligramme d’Apollinaire), puis à la défaillance surannée de Dernier lit, on retrouve un romantisme qui resurgit par intermittence au sein de la pop française. L’on croirait retrouver, vieillissante, la "Libertine" de Mylène Farmer: "allongée sur son lit rêveuse elle sourit / la vieille dame jadis aguicheuse perd la vie / sûr ce soir c’est son dernier lit […] elle s’allonge un vert blanc d’absinthe à la main / son amant attend son absente pour demain."

Et n’allez pas taxer Simon de minimaliste trop vite, à moins de distinguer le simple dépouillement d’une démarche microscopique, où l’infime résonne de mélodies insoupçonnées. "Il y a un côté minimaliste dans ce que je fais, dit-elle à ce propos, bien que les pistes soient parfois très chargées. Car pour créer ces rythmiques, il faut une multitude de tout petits sons. C’est épuré et avancé d’une manière très claire, ce qui donne cette impression d’aller à l’essentiel."

Plutôt éclectique, le disque surprend un peu moins lorsqu’on arrive à certaines des pièces en anglais, dont la reprise de I wanna be your dog, des Stooges, qui a pourtant contribué à la renommée de Simon. Heureusement, To the dancers in the rain et Blue light s’intègrent mieux à l’ensemble, tout comme le duo Graines d’étoiles avec l’Irlandais Perry Blake, un abonné au néoromantisme, aussi collaborateur de Françoise Hardy. Avec lui, l’identité d’Émilie se décline d’une façon presque transparente, avec ce "juste un peu de voix, un souffle pour suggérer / te laisser imaginer la chute".

Mais une artiste qui remercie le bronzé Thierry Ardisson dans son livret d’album peut-elle être totalement honnête? "J’ai travaillé avec sa femme Béatrice pendant quelques années, alors que je travaillais sur mon album, et ce sont des gens qui m’ont vraiment appris beaucoup en ce qui concerne le travail et l’endurance, le professionnalisme." Voilà une autre porte vite refermée.

En spectacle, on devrait pouvoir mesurer l’intimité réelle d’Émilie Simon avec l’électroacoustique, elle qui promet une performance énergique à ceux qui la prennent pour une simple enjoliveuse de cocon. Tricky, quant à lui, semble avoir apprécié la première partie qu’elle lui a offert en France, se risquant même à un duo a capella de Désert dans un concert suivant. Pour se faire sa propre idée, rendez-vous dans le "Fabuleux monde d’Émilie Simon", où les pucerons n’ont qu’à bien se tenir!

Programme double avec Marc Déry
Le 2 août à 22 h
Au Spectrum
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