

Jacques Hétu : Suivre sa propre voie
Loin des chapelles et des clans, JACQUES HÉTU fait cavalier seul. S’il a fréquenté des écoles, c’était en tant que professeur; il prenait d’ailleurs sa retraite de l’UQAM en 2000, après 35 ans d’enseignement. Ce qui lui laisse du temps pour composer…
Réjean Beaucage
C’est assis sur un banc du carré Saint-Louis, tout près de ce qui fut la maison d’Émile Nelligan, dont la poésie l’a beaucoup inspiré, que je discute avec Jacques Hétu, le compositeur québécois dont la musique est le plus souvent interprétée à l’extérieur du Québec. Depuis son opus 1 (Toccata pour piano, 1959) jusqu’au Triple concerto opus 69, pour violon, violoncelle et piano, qui sera créé à Lanaudière par le Trio Hochelaga et l’OSM sous la direction de Jacques Lacombe, sa carrière est un peu celle d’un outsider du petit milieu musical de chez nous. "Depuis 1967, je n’écris que sur commande, précise-t-il. Je sais que c’est une situation privilégiée, mais je refuse beaucoup plus de commandes que j’en accepte. Ce sont les musiciens qui me demandent des oeuvres: interprètes, solistes, orchestres et chefs d’orchestre; c’est pour eux que j’écris. Ils s’intéressent à ma musique et je fais de mon mieux pour qu’ils s’y intéressent et soient tentés de la transmettre au public."
La saison prochaine, au Québec seulement, les orchestres de Montréal, Sherbrooke, Québec, Trois-Rivières, Montérégie, McGill et d’autres encore interpréteront ses oeuvres. Comment expliquer un tel succès? "Évidemment, explique Jacques Hétu, je fais de la musique contemporaine, mais j’utilise un langage qui a ses racines dans la tradition. Dans mes années d’études, avec Clermont Pépin ici ou avec Dutilleux et Messiaen en France, j’ai appris les diverses techniques d’écriture, bien sûr, mais je travaille toujours à partir d’une mélodie et j’en développe des thèmes, parce que je pense que la compréhension de la musique est fondée sur la mémoire. Ça ne veut pas dire que ma musique soit pour autant facile d’accès; certaines pièces ont davantage un aspect "grand public", mais ça varie!" Bien qu’il ait déjà un succès enviable chez nous, Hétu est encore plus souvent joué à l’extérieur du Québec, principalement au Canada anglais où l’enregistrement en 1967 par Glenn Gould d’une version très personnelle de ses Variations pour piano a littéralement lancé sa carrière.
Le Trio Hochelaga et l’OSM feront la création de son Triple concerto au Festival de Lanaudière. C’est la première fois qu’il se risque à un tel exercice: "Les commandes de triple concerto ne courent pas les rues! lance-t-il, et dans le répertoire courant, il n’y en a qu’un, celui de Beethoven. Ça me place en bonne compagnie, mais je n’y fais pas allusion dans l’oeuvre, bien que j’utilise les structures traditionnelles du concerto qui évoluent dans un langage harmonique où se mêlent chromatisme, modes modernes et tonalité élargie, en gardant toujours en tête la recherche d’un équilibre." Comme c’est souvent le cas, le compositeur connaît bien les interprètes qui créeront son oeuvre: "Le pianiste Richard Raymond a souvent joué ma musique et c’est un magnifique musicien, comme l’est aussi la violoniste Anne Robert, qui a été premier violon de l’OSM pendant 12 ans. Quant à Benoît Loiselle, alors là, c’est le jeune violoncelliste à surveiller, il a vraiment une très belle sonorité."
Pour un avenir proche, Jacques Hétu travaille à une commande du réseau anglais de Radio-Canada pour un sextuor à cordes et prépare également un nouveau concerto: "Ce sera le 15e ou le 16e, je ne sais plus, pour le hautbois, l’instrument dont je jouais lorsque j’étais au Conservatoire, et c’est pour Philippe Magnan. J’y ajouterai probablement du cor anglais, parce que Philippe en joue aussi bien; ce sera donc un concerto un peu spécial." D’ici là, on pourra entendre quatre concertos (piano, flûte, basson et clarinette) de Jacques Hétu sur un disque du CBC Radio Orchestra, à paraître ces jours-ci.
Samedi 26 juillet, 20 h, Amphithéâtre de Joliette. OSM / Jacques Lacombe / Trio Hochelaga, avec la Compagnie Marie Chouinard. Programme: Hétu, Triple concerto opus 69 pour violon, violoncelle et piano – Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune – Stravinski, Le Sacre du printemps.
Disques de la semaine
Intégrale des symphonies de Beethoven dirigées par Felix Weingartner, chez Naxos Historical (orchestres variés).
Naxos Historical complétait en juin dernier le cycle des symphonies de Beethoven par Weingartner en lançant les deux derniers disques de la série, qui en compte cinq. Lui-même compositeur de sept symphonies, c’est pourtant pour ses dons de chef d’orchestre, une profession qu’il a embrassée sous les conseils de son mentor Franz Liszt, que l’histoire retient le nom de Felix Weingartner (1863-1942). Il fut le premier chef à enregistrer toutes les symphonies de Beethoven. Les documents, proposés ici dans un format remasterisé, ont été enregistrés entre 1927 et 1940. Évidemment, c’est très mono, c’est le moins que l’on puisse dire, et ça s’adresse surtout à un public qui chérit les documents d’époque pouvant offrir une nouvelle perspective face aux interprétations actuelles; mais pour ces amateurs, précisément, c’est incontournable.