

Réhabilitation du hip-hop : Demandes de crédit
Malmené par une mauvaise réputation alimentée de préjugés, le mouvement hip-hop québécois doit redorer son image et s’unifier afin de lutter contre sa marginalisation par l’industrie musicale. Esquisses de solutions avec quatre soldats épris du même combat.
Patrick Ouellet
Pour plusieurs, hip-hop rime avec ce qu’en laissent transparaître les vidéoclips et les manchettes sensationnalistes rapportant les écarts des vedettes rap américaines: sexe, drogue, argent et violence. À sa naissance dans le South Bronx au milieu des années 70, le hip-hop visait justement à offrir une solution à ces problèmes de la rue, en préconisant la tolérance, la paix et la fraternité. Désormais une industrie de plusieurs milliards de dollars globalement, le hip-hop compte pour près de 20 % de toute la musique achetée au Québec. Mais ses artisans locaux n’ont pas la vie facile et se mobilisent pour leur passion, offrant un grand spectacle à Charny le 25 juillet, et à Montréal, le 26. Car le hip-hop québécois, après un décollage foudroyant il y a quelques années, a aujourd’hui les ailes un brin plombées, contrairement au reste du monde où sa popularité demeure croissante, notamment aux États-Unis. Plusieurs causes sont avancées, dont les excès de certains MC et l’image très négative projetée par nombre de rappeurs américains. "C’est vrai qu’aux États-Unis, il y en a beaucoup qui ne parlent que de violence et d’armes à feu, donc c’est sûr que ça nuit un peu. Je crois aussi important que chaque groupe ou MC qui prend la parole fasse attention à ce qu’il dit, parce que certains s’emportent et disent n’importe quoi", affirme le rappeur Vaï.
Diffusion radio déficiente
L’extrême vague de popularité du gangsta rap aurait deux effets diamétralement opposés: d’abord, elle donnerait beaucoup de visibilité au hip-hop, en étant la seule forme (ou presque) diffusée sur les ondes des radios commerciales. Par contre, ce genre est aussi le plus grand véhicule des clichés et stéréotypes négatifs qui s’y collent. Il demeure étrange que des radios faisant jouer les pièces de 50 Cent, de Master P ou d’Eminem soient si frileuses à l’égard du hip-hop de chez nous. Peut-être est-il possible, avec l’anglais, de feindre l’incompréhension des textes… "Je pense que la philosophie des radios, c’est qu’elles ont plus peur de perdre un auditeur qu’envie d’en gagner un nouveau, croit 2 Faces, du collectif 83, parce qu’il y aurait sûrement de la place pour une émission spécialisée consacrée au hip-hop." Stratège, des Architekts, s’agite au bout du fil: "C’est pas normal qu’on soit une des seules villes en Amérique du Nord à ne pas avoir sa propre radio urbaine. Même Ottawa, qui est une toute petite ville comparée à Montréal, a sa propre radio hip-hop, comme à Toronto, Vancouver et Calgary. Ici, ça fait des années que j’en vois qui se battent pour essayer de faire un petit semblant de quelque chose mais ça marche pas; on sait pas pourquoi mais ça ne passe pas", dénonce-t-il. À part MusiquePlus et les radios communautaires, l’aide semble plutôt mince en termes de diffusion. "Les radios doivent nous laisser la chance de diffuser notre son et nos messages pour que les gens puissent savoir de quoi on parle vraiment", résume Vaï.
Spectacles mouvementés
À la suite de quelques épisodes de grabuge lors de concerts passés, trouver des endroits où jouer relève de plus en plus de l’exploit. "Juste quand on essaie d’avoir des salles pour les spectacles, on a de la misère parce qu’ils pensent que ça va virer en bordel, raconte SP. Quand y’a des shows hip-hop, c’est la grosse sécurité. Que ça soit à Québec ou Montréal, y’a tout le temps une tension…" 2 Faces s’explique mal cet abus de méfiance. "Les jeunes qui sont dans ce mouvement-là aujourd’hui ne sont probablement pas pires que tous les jeunes hippies des années 70 puis les rockers ou les heavy métal un peu plus tard… Quand 500 ou 600 jeunes se regroupent au même endroit, que ça soit du hip-hop ou Woodstock en Beauce, il risque toujours d’y avoir des accrochages." Vaï poursuit: "On en parle un peu moins quand c’est des musiques populaires mais pour des musiques plus marginales comme le hip-hop, on met trop l’accent sur des petits incidents qui n’ont rien à voir…"
Surveillance accrue
Toute l’histoire du Wolfpack à Québec n’a certes pas aidé la cause non plus. Stratège affirme avoir remarqué un changement notable d’attitude chez les policiers après l’éclatement de l’affaire, comme cette arrestation gratuite lors du lancement de l’album de Sans Pression. "On était juste devant le Kashmir; on sortait de la voiture pour aller se préparer pour le show et ils nous arrêtent. Je leur dis: "Pourquoi vous nous arrêtez?" Le policier répond: "On vous arrête parce qu’on est arrivés et vous êtes sortis de la voiture." Je lui dis: "On est sortis de la voiture parce qu’on a un show à donner, on est artistes…" Je lui ai montré le flyer et il m’a répondu mot pour mot: "Les policiers à Montréal, ils n’ont pas le temps de vous checker; nous, on vous chècke…""
L’Underground Contre-Attakk avec Muzion, 83, Sans Pression, Les Architekts, Cobna, Vaï, Yvon Krevé et Kulcha Connection.
Le 25 juillet
Au Centre Paul Brouillé de Charny
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