Ringo Rinfret : Chanter et laisser mourir
Musique

Ringo Rinfret : Chanter et laisser mourir

Personnalité mythique de l’underground quétaine, RINGO RINFRET sort de l’ombre et prouve une fois de plus l’inutilité de la drogue.

Dans le grand cirque spirituel de Ringo Rinfret, trente arpents de crétinisme sont plus vite franchis que la distance d’une chanson à une autre. Orphelin né à Chicoutimi, de parents noirs croit-il étant donné son sens inné du rythme, il aurait voulu être astronaute ou plombier pour explorer les trous noirs, avant de se rabattre vers le métier d’idole incomprise de la variété.

Adopté le temps de quelques sketches par le groupe Rock et Belles Oreilles, l’homme n’a pas tari d’activités musicales inaperçues depuis la dissolution du collectif. Une rencontre déterminante: celle faite, lors d’un spectacle-bénéfice, avec Les Divans, parmi lesquels on compte Christian Legault, qui fut ensuite instigateur et réalisateur du premier album solo de Ringo, dont la parution est imminente.

Compte tenu de leurs supplications, quelques potes de RBO furent admis dans les studios où a sévi Rinfret. Aux apparitions éclair de Chantal Francke, Guy A. Lepage et André G. Ducharme s’ajoutent celles, plus surprenantes, de Stefie Shock et d’Anastasia Friedman, autres fleurons d’Audiogram. Fort bien entouré, le délirant personnage s’est donné les moyens de ses hallucinations.

Tous ne sont pas conviés au festin déjanté, parfois scatologique, de Ringo. On apprécie ou non son style vocal situé entre Michel Louvain et Mario Pelchat, toujours un peu trop haut afin de masquer le manque de variété sentimentale. Disco, country, jazz sont cependant sollicités pour diversifier le menu de l’invétéré charmeur, qui a eu l’éclair de génie d’interpréter Talk About It de Belgazou, artiste qu’il admire depuis longtemps. S’égare-t-il trop de ses terres avec le métal de Satan est mon ami, prétexte pour se rappeler la mission misanthrope que lui a confiée Belzébuth à son insu ? N’empêche, l’expression public cible n’aura jamais été aussi appropriée que dans le cas Rinfret.

Histoire de vérifier de plus près ce qui ne va pas dans la culture, nous sommes allés rencontrer ce primitif du futur, tout occupé qu’il était à multiplier le zéro par lui-même, et pour qui les derniers sont déjà les premiers.

Cher M. Rinfret, pourquoi une si longue attente avant d’endisquer?
"Vous savez, ce n’est pas vraiment à moi de répondre à cela. Ce n’est pas moi qui ai attendu pendant tout ce temps, mais le public. C’est lui qui attendait qu’une compagnie de disques se montre assez ambitieuse pour me produire en solo. J’étais là! Il s’agissait de me trouver."

Après toutes ces années dans l’underground, avez-vous peur du succès?
"Dans les dictionnaires, il y a une assez bonne distance entre les mots Ringo et succès. Une bonne raison pour ça est qu’il s’agit dans un cas d’un nom propre, et dans l’autre, d’un nom commun. Mais pour moi, le succès ne sera jamais un nom commun.

C’est évident que je demeure assez à l’avant-garde. Attendez que je meure, vous allez avoir de la peine et vous pourrez enfin réaliser tout ce que vous avez manqué."

N’empêche que cet album pourrait mettre un terme à la vie privée de Ringo, qui l’a beaucoup occupé jusqu’à maintenant.
"Oui, mais je voudrais mentionner que mon approche de la mode était tout de même là pour me faire remarquer, puisque partout où j’allais je provoquais les sourires. À ce sujet, ma nouvelle palette de costumes ne saurait laisser indifférent."

Il semble, Ringo, que vous soyez vous-même en avance sur votre succès. Vous donnez l’impression d’avoir débuté au sommet…
"Exactement. Quand tu commences où j’ai commencé, tu ne peux que te maintenir. Ce qui provoque non seulement de l’admiration, mais beaucoup de jalousie, comme le disait un de mes collègues qui s’est fait casser la gueule sur scène par un mari possessif."

Dans vos jeunes années, vous aviez l’avantage d’être le personnage le plus absurde de la province. Aujourd’hui, ne trouvez-vous pas dur de faire plus dur que la bêtise télévisuelle en cours, avec son vedettariat minute et sa télé-réalité?
"À ce propos, j’ai l’habitude de me dire qu’il vaut parfois mieux attendre pendant 20 ans avant d’être connu que d’être regardé pendant six mois sous toutes ses coutures. La concurrence est forte en effet."

Avant de tenter cette ultime percée, avez-vous dû poursuivre votre lutte contre la drogue?
"Eh bien, même après toutes ces années, je me questionne encore à propos de mon succès Pourquoi se droguer? Était-ce une chanson pour encourager l’usage de la drogue, ou pour en dissuader? Contre la drogue mais pour ses effets? Je ne sais plus… Peut-être ai-je voulu faire de la chanson populaire la drogue suprême, un peu comme mon ami Baudelaire l’avait fait pour la poésie. Poésie, Ringo, deux mots qui vont très bien ensemble aussi… même si ça peut sembler bizarre pour certaines personnes. En fait, je pense que poésie et Ringo sont des synonymes, tout comme bleu et pastel le sont."

Vous vous étiez déjà confié à France Castel à propos de votre vie intime et de votre sexualité un peu particulière. Votre album vient révéler d’autres facettes de cette dimension ambiguë de votre être…
"Il est vrai que j’invite à beaucoup de choses dans Fredonne et grouille. Qui peut vraiment dénombrer les facettes de la sensualité qu’on n’a pas explorées? Je défie quiconque n’ayant jamais essayé une poire à lavement de répondre à ça. Se connaît-on soi-même?"

Ringo, vous n’avez que Socrate à la bouche.
"Entre autres. Ça goûte un peu amer d’ailleurs."

Il y a aussi l’amour des bêtes, dans Reviens Pantoufle
"Non, non, non… Ne me mettez rien dans la bouche. C’était très platonique avec Pantoufle. Il n’y a jamais eu de matérialisation de l’acte. On s’aimait pour ce qu’on était, d’abord. Pantoufle, c’est la chanson d’amour de l’album. Le chien nous reflète ce qu’on est, et puis, ça apporte le journal quand on le lui demande."

Et enfin, que dire de l’exhibitionnisme et de la reproduction sur scène mentionnés dans Grosse Boule d’émotion?
"Vous savez, se mettre à nu, c’est une expression, et ça n’indique souvent que les sentiments. Il faut voir au-delà du carreauté."

Parlez-moi du "ringolien", ce langage de votre cru, utilisé entre autres dans Réfléchissons avec Ringo et Le jazz m’aime
"C’est une sorte de poésie poussée jusqu’au cadavre exquis, entre la musique et la voix. Il faut savoir ouvrir les valves de sa créativité. Et aussi les refermer, bien sûr, à moins qu’il n’y ait des cabinets à proximité."

Et vos lectures marquantes…
"Le Quid 2004. Parce que j’attends toujours qu’on répare l’injustice de ne pas y avoir mis mon nom. Dans le même ordre d’idées, il y a aussi l’Encyclopedia britannica et Le Petit Robert des noms propres."

Vous ne manquerez pas, malgré l’ironie de La propreté c’est important, d’être taxé de racisme par certains…
"Je m’attaque à toutes les ethnies, incluant la bonne ethnie québécoise de chez nous, mais dans ce domaine je ne voudrais pas régler mes comptes avec mon bon ami le Chef Groleau, qui s’attaque pour sa part à la cuisine québécoise. Lui s’occupe du corps, et moi, de l’autre trois quarts."

Quant à Joyeux Raël, vous ajouterez sans doute au sentiment de persécution du personnage.
"Quel timing! Écoute, les grands esprits se rejoignent: Ringo, Raël, même combat, sauf que moi, je suis juste un peu plus habillé en général. Mais ce n’est qu’une question de quantité de tissu, car en ce qui concerne l’adulation et la vénération, ainsi que toutes les vocations qu’on suscite, je pense que le parallèle est évident. Envoyez-moi vos chèques!"

Finalement, Ringo, chanter et laisser mourir?
"C’est cela. Merci, c’est presque émouvant."

(Titre secret)
Ringo Rinfret
(Audiogram)

En magasins le 29 octobre