

Claude Léveillée : Aphorismes, aphorimes
Pour prendre la mesure de l’homme, quelques lignes ne suffisent plus. Il a tout fait, tout vu, tout entendu, de la musique à la télévision, de l’écriture aux planches, de la Vieille Europe au Nouveau Monde.Il a la modestie des vieilles âmes. Parce que l’on n’attend pas toujours de la vie musique et futilité. Mais aussi du silence et de la gravité. Du silence, surtout.D’une entrevue qui devient vite et naturellement une discussion, des digressions, des aphorismes, des palabres même, il aurait fallu tout retenir tant le propos est riche. Morceaux choisis.
Éric-Olivier Dallard
Quelle place la chanson occupe-t-elle dans votre parcours, qui a traversé notamment musique, jeu, théâtre, cinéma, téléséries, dramatiques, écriture, composition?
L’époque de la boîte à chansons Chez Bozo (1959) a été marquante. Il faut remonter jusque là, parce que c’est là que Édith Piaf, un soir, décide de m’inviter… Elle me dit "je vous attends au mois d’août, chez moi, à Paris". Une invitation que l’on ne peut refuser, qui a quelque chose à voir avec le destin. Ce que j’ignorais alors, c’est que ça allait me faire basculer dans un autre monde, une autre civilisation, et permettre des rencontres qui ont tout chambardé dans ma vie, jusqu’à aujourd’hui. Cet autre monde, c’est celui des peintres, des comédiens, des artistes – il n’était pas rare de voir autour de la même table, des gens comme Picasso, Marlène Dietrich… J’étais bouleversé.
La chanson m’a happé. Je n’étais plus le même homme. Piaf m’avait dit à l’époque, alors que j’étais séquestré chez elle, composant toute la journée: "Tu ne monteras jamais sur scène de mon vivant". Il m’a fallu cinquante ans de scène pour comprendre ce qu’elle voulait dire: on naît sur scène, on n’y monte pas.
Gainsbourg disait de la chanson qu’elle est un "art mineur", notamment en ce qu’elle ne nécessite pas d’initiation – comme la peinture ou la musique classique en réclament – pour être appréciée. La chanson, cet "art mineur" donc selon Gainsbourg, peut-elle évoluer?
Non seulement elle le peut, mais ceux qui n’ont pas évolué à travers cette discipline-là risquent d’être très déçus. Aujourd’hui, je ne fais plus de chansons comme avant; pourtant, je me rends compte que je n’ai écrit qu’une chanson dans ma vie; si j’avais à la nommer, je l’appellerais L’Essentiel. Il reste que oui, la chanson évolue, qu’elle doit le faire. Par exemple, la chanson La Légende du cheval blanc, maintenant sur scène elle dure six minutes, elle devint une fugue, elle est orchestrée, elle prend une dimension… Là où la parole s’arrête la musique commence, et là où la musique s’arrête la parole commence. Quand il y a fusion des deux, ce n’est plus de la chanson, c’est une sorte de rhapsodie humaine.
Pour certains êtres privilégiés comme moi, même après cinquante ans de scène, l’amour grandit de plus en plus. Et tout se passe avec des notes. Cela n’a rien à voir avec la chanson. Tout se passe dans l’inquiétude que je porte en moi et que je révèle au public, dans les silences. Tout ne se chante pas dans la vie.
Cette complicité, ce grand rendez-vous, au lieu de péricliter, il croît. C’est tellement subtil: le moindre soupir, la moindre gaucherie peut s’avérer un miracle.
Votre dernier disque en date, Mes immortelles, je vous les confie, c’est un testament?
Ce disque a plutôt une connotation de sacré, pour moi. Ce sont presque toutes mes premières chansons. C’est un don; c’est le fait de laisser quelque chose de ce que j’ai fait ces cinquante dernières années. C’est une façon aussi de tirer un trait sur une étiquette que l’on m’a accolée toute ma vie, celle de chansonnier. Cette aventure de chansonnier, je l’ai vécue sur quatre continents, j’ai composé 3000 chansons… maintenant, elle me limite. J’ai besoin de prendre plus mon temps. Plus de silence, moins de mots! Le plus beau "je t’aime", sur scène, c’est le silence.
Et l’ensemble Amati, cet orchestre de chambre qui vous accompagnera sur scène au Centre national des Arts…
Mon paradis, ce sont des cordes, avec quelques bois, qui se marient au piano. C’est ce que m’offre l’ensemble Amati: une façon rare de revisiter mes classiques. La force de cet ensemble à cordes est fabuleuse. Ils ont une telle rigueur!
Moi, il paraît que j’ai une voix. Je peux dire, je peux révéler; il y a des narrateurs, je me préfère conteur. C’est à cette rencontre de ces deux univers, celui d’Amati et celui que propose ma voix, univers qui sont en fait en osmose, à laquelle vous êtes conviés…
Le 19 novembre
Au Centre national des Arts
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