

Môrice Bénin : Maître jongleur
Depuis plus de 20 ans déjà, l’oeuvre de MÔRICE BÉNIN s’inscrit avec force dans la grande tradition française de la chanson à texte. Entretien avec cet insatiable amant des mots et de la vie, qui s’inquiète aussi du sort de l’humanité.
Lelièvre Denys
Môrice Bénin, Marocain d’origine établi dans les Pyrénées, s’est abreuvé de poésie au cours de sa vie, et s’est particulièrement reconnu dans l’oeuvre de René-Guy Cadou, dont il a mis plusieurs textes du recueil Poésie, la vie entière en musique en 1998. Des textes qui chantent la place omniprésente de l’amour, de l’enfance. Des poèmes qui s’inspirent de l’observation de la nature pour mieux "la dépasser", des mots qui, comme dans Refuge pour les oiseaux, suggèrent l’envol: "Il s’agit, chez Cadou, d’une nature exigeante, qui touche le côté mystique, essentiel, qui est l’expression d’une espèce d’urgence. Ce qui m’a le plus touché chez lui, c’est l’interrogation sur l’existence terrestre." À propos d’un texte magnifique sur la mort, Dernier Communiqué, Bénin ajoute: "Sa mort, il l’a rêvée. C’est à la fois quelque chose qui lui faisait peur et qui le poussait vers l’avant, qui s’inscrivait dans l’éternité."
Bénin, homme de colère, Bénin, homme de tendresse. À l’aube de ce nouveau millénaire, après les incontournables événements du 11 septembre 2001, le chanteur perçoit l’humanité comme en "exil". Il répond à ce qui l’indigne: "La simplification à outrance, la dualité simpliste du Bien et du Mal, la paranoïa. Je ressens que, si on ne se sert pas de ces crises, qu’on ne remet pas tout sur la table, rien ne changera." C’est ce qu’il exprime avec humeur et avec humour sur un disque réalisé en 2002, Après le déluge. Bénin a particulièrement à coeur l’avenir de la jeunesse à qui nous laissons comme héritage l’amertume de nos échecs: "La jeunesse a du mal à se repérer. Elle est livrée à elle-même. Faute de transmission. Nous avons un devoir de repères à donner, d’utopies à partager."
Sur un album essentiel concocté en 2001, Vie Vent, Môrice Bénin exprime sa pensée sur la place centrale de l’amour, sur la naissance et sur la mort, sur le respect de l’autre, sur l’évolution spirituelle. Le jeu de mots "Vie Vent" "implique qu’il y a comme un mouvement, un lien entre vent et passage". À cet égard, l’artiste est sensible à la réalité algérienne. Il reprend On avance, de Djamel Assam: "Je suis touché par la situation de la Kabylie, un peuple pacifiste contraint à se révolter contre la gangrène du pouvoir et la pensée islamiste." Le rapport entre l’homme et la femme en est un de vigilance. "Dans l’amour aussi, il y a progression. L’exigence, comme le souligne Rilke, d’un travail en nous."
Récemment, Môrice Bénin a consacré un disque entier à Léo Ferré: La Mémoire et la mer. Neuf des 17 textes appartiennent à la période de 1968 à 1973 ( surtout Amour, anarchie ). Le maître du verbe et de la scène a eu une influence profonde sur lui: "Ferré est celui qui a le plus correspondu à cette cassure et dans la société et dans le monde artistique. Il est devenu comme un père, comme un guide pour moi. L’idée était de trouver la tendresse même au delà de la révolte, de "tendréifier" Ferré."
Môrice Bénin est parvenu depuis longtemps à bâtir une oeuvre profondément personnelle, originale, qui révèle un être qui sait réagir vivement aux incohérences du discours politique, un être amoureux fou de la vie et des êtres qui la jalonnent, un être éveillé spirituellement, bref, un grand humaniste. Sous l’appellation Être, ce jongleur des mots nous offrira sept ou huit chansons inédites. Entouré de Patrick Leroux (saxophones, violoncelle) et de Dominique Dumont (piano).
Du 27 au 29 novembre à 20 h
Aux Oiseaux de passage
Voir calendrier Chanson