Joss Stone : Soul au monde
Musique

Joss Stone : Soul au monde

JOSS STONE est un être paradoxal, ambigu. Jeune (16 ans!), jolie, blonde, l’air ingénu et britannique, elle a tout pour devenir la nouvelle coqueluche de la chanson pop. Mais dès qu’elle ouvre la bouche, on croirait entendre une grande dame qui a vécu, souffert pour défendre ses chansons soul dans les bars enfumés de Detroit ou Memphis à la fin des années 40. Une vieille âme de mama black dans le corps d’une jeune nymphette…

Quand j’ai vu Joss Stone pour la première fois en photo, j’ai cru à une nouvelle Britney Spears, à un clone de Shakira ou à une nouvelle wannabe Spice Girl… Mais dès que j’ai entendu son premier album, The Soul Sessions, j’ai su que j’avais tort, affreusement tort. Joss Stone a la voix d’une Fiona Apple qui aurait appris son métier dans une vieille église de village du Sud des États-Unis. Elle a la force d’une Macy Gray qui aurait chanté aux côtés d’Aretha Franklin ou Peggy Lee. Je l’ai écoutée et j’ai su que cette jeune fille avait le coeur soul jusqu’au bout du souffle et une audace épatante pour une ado. Elle a même eu le culot de s’entourer de la chanteuse néo-soul Angie Stone, du groupe hip-hop The Roots et de la formation rock garage The White Stripes pour parfaire son premier album. Du front tout le tour de la tête et juste ce qu’il faut d’innocence pour se jeter dans le vide sans avoir peur.

Joss Stone a pourtant tout de la parfaite petite pop star. Elle a grandi dans le village de Devon en Angleterre, avec des parents qui ne sont ni musiciens ni chanteurs, mais qui lui ont mis du Al Green dans les oreilles dès la naissance. À 12 ans, elle a participé à une version britannique de Star d’un soir, et a été remarquée par un agent qui l’a prise sous son aile. Quelque temps plus tard, elle décrochait un contrat avec la compagnie indépendante S-Curve Records, dont le propriétaire est nul autre que Steve Greenberg, l’homme derrière les bourdes monumentales qu’ont été Hanson (MmmBop) et Baha Men (Who Let the Dogs Out)… Et à 16 ans, elle lance son tout premier album en grande pompe. Oui, elle a tout pour être la parfaite petite pop star, mais le hic, c’est qu’elle est tout sauf ça…

La liberté
"Ce serait impossible pour moi de faire comme tout le monde. Je tiens trop à ma liberté. Faire de la pop, c’est ce que tout le monde attend d’une fille de 16 ans. Mais beaucoup de ce qui se fait en musique pop m’ennuie à mourir. J’ai décidé de faire de la musique soul tout simplement parce que c’est le style qui me touche le plus, parce que ça me fait vibrer", affirme Joss Stone. Et mademoiselle Stone chante le soul avec la force des vétérans du genre. On n’a pas affaire ici à une nouvelle Mary G. Blige qui aborde le soul à la sauce hip-hop. Joss Stone n’a choisi que des classiques, ou presque, pour meubler son premier album. Des reprises de chansons (souvent obscures) d’une autre époque, qu’elle réinvente à sa manière. Sur The Soul Sessions, elle interprète entre autres Aretha Franklin, Carla Thomas, l’énigmatique Sugar Billy et les Isley Brothers avec la même intensité.

Mais a-t-elle choisi elle-même ses chansons? Peut-on être maître de ses choix de carrière, être libre de faire à sa tête à 16 ans? "Oui, j’ai choisi toutes mes chansons. Mais c’est vrai qu’à mon âge, c’est dur d’être totalement libre parce que les gens ne vous prennent pas au sérieux. Souvent, les gens pensent que je ne sais pas ce que je fais parce que je suis si jeune. Mais dès qu’ils apprennent à me connaître, ils se rendent vite compte qu’ils se trompent. Les émotions et la création n’ont pas d’âge. Et la musique, ce n’est que ça dans le fond, des émotions…"

L’image
Que ce soit dans la musique pop, r’n’b, hip-hop ou rock, l’image prend une grande place dans l’industrie musicale. Mais Joss Stone envoie paître ceux qui lui demandent de mettre son image en valeur, de vendre sa musique avec sa toute jeune beauté. Elle a d’ailleurs décidé de ne pas se montrer sur la pochette de son album, on l’y aperçoit à peine, bien cachée derrière son micro. "L’image n’est pas importante en musique. Je ne comprends pas pourquoi, aujourd’hui, on doit toujours voir les chanteurs pour les aimer. Dans les vidéoclips, les magazines, à la télé, on les voit partout et sous toutes leurs coutures! La musique, il faut l’écouter, pas la voir. Et j’ai voulu mettre ça au clair avec les gens en ne m’exposant pas sur ma pochette. Qu’est-ce que ça enlève à ma musique que je sois jolie ou non?" enchaîne Stone avec conviction.

"Je pense qu’on a atteint des sommets de superficialité en musique et les gens commencent à en avoir marre. Je crois qu’on va revenir tranquillement à l’essentiel, à une façon plus vraie de faire de la musique. En se concentrant moins sur l’image, on fera peut-être de la meilleure musique!"

Et que pense-t-elle des émissions de télé-réalité comme Canadian Idol, elle qui s’est d’abord fait connaître par une émission de télévision? "Ces émissions sont faites pour la gloire instantanée. Mais ça ne dure pas. Je comprends que certaines personnes puissent vouloir ça, mais ça ne bâtit pas une carrière, ça brûle les gens. Oui, j’ai participé à un concours télévisé quand j’avais 12 ans, mais je le regrette un peu. Je n’ai pas pu choisir mes chansons et le résultat ne me ressemblait pas du tout. Mais je n’ai été en ondes que quelques minutes, alors que la télé-réalité expose les gens pendant un mois ou deux! C’est long quand tu n’as pas le contrôle sur ce que tu fais et chantes…"

Les amis
Pour faire de la bonne musique et aussi pour pallier son manque d’expérience, Joss Stone a su s’entourer d’une solide équipe avec qui elle a vécu une expérience à la Buena Vista Social Club. Un grand jam entre amis, dans une atmosphère conviviale. "On a enregistré l’album à la manière d’un concert. En quelques jours, on a fait toutes les chansons, tout le monde ensemble en studio. Chanter avec les musiciens live, c’est beaucoup plus naturel, moins mathématique." Il faut dire que ses musiciens ne sont pas tombés de la dernière pluie. Pour The Soul Sessions, Joss Stone était entourée d’artistes chevronnés, qui ont connu leurs heures de gloire dans les années 70. Little Beaver (guitare), Timmy Thomas (orgue) et Latimore (claviers), trois musiciens qui ont marqué la scène soul de Miami, ont joué sur l’album. À la tête de ce vénérable orchestre, on retrouve Betty Wright, celle-là même qui a popularisé la chanson Clean Up Woman en 1971, et qui travaille maintenant comme productrice, entre autres avec Angie Stone. Betty Wright a été plus qu’une coproductrice, elle s’est révélée un mentor et même un guide spirituel pour Joss, qui croit fermement en Dieu.

En plus de ses respectables accompagnateurs, Joss Stone a aussi travaillé avec Angie Stone et The Roots sur la reprise de Fell in Love With a Girl des White Stripes, qui est devenue pour l’occasion Fell in Love With a Boy. "J’aime beaucoup les White Stripes; par contre, je n’aurais jamais pensé qu’une chanson rock garage très rythmée puisse devenir soul! Mais The Roots a fait un formidable travail d’adaptation et donné un nouveau groove au morceau. J’ai rencontré Jack White des White Stripes et il a adoré notre version!"

Le coeur
Le volet technique de la création d’un album, ce sont ses collaborateurs qui le lui ont appris. Joss Stone chante avec son coeur, pas avec sa tête. "Je n’ai pas vraiment de technique musicale. D’ailleurs, j’exerce très peu ma voix. Je devrais le faire davantage! Je n’ai pas de connaissances techniques, mais j’ai de l’oreille et de l’instinct." Joss Stone chante avec son coeur, oui, mais aussi avec ses pieds! Elle est toujours nu-pieds en studio ou sur scène, pour être libre jusqu’au bout des orteils… On pourra le vérifier en janvier prochain, alors qu’elle sera de passage en spectacle à Montréal. Coeurs sensibles, régalez-vous.

The Soul Sessions
S-Curve Records / EMI