Les Cowboys fringants : La bonne année
Musique

Les Cowboys fringants : La bonne année

Bousculant les conventions, passant de l’anonymat à la célébrité, Les Cowboys Fringants ont imposé leur style et leur son sans jamais verser dans le compromis. Ce sont plutôt leurs fans, dont le nombre écrasant s’élargit à vue d’oil, qui leur ont donné la poussée nécessaire pour accéder au sommet. Et d’en haut, ils contemplent le monde avec l’humilité qu’on leur connaît.

À la même époque où Les Cowboys Fringants se pointaient avec leurs gros sabots sur la scène du gala de l’ADISQ en 2002, leur monde basculait. Et celui de la musique québécoise avec lui.

L’incrédulité se lit encore sur plusieurs visages des décideurs de l’industrie: comment ce groupe qui distille les ballades poétiques en puisant son champ lexical dans l’ordinaire de la banlieue et vocifère contre l’apathie des Québécois peut-il être parvenu si rapidement au sommet?

Car rien ne le prédestinait à connaître un tel succès au moment où la musique pop d’ici lorgnait du côté de la France et des comédies musicales, alors que le rock et la musique traditionnelle semblaient s’être soustraits au radar médiatique. Ou peut-être est-ce le contraire? Peut-être Les Cowboys Fringants arrivaient-ils à point nommé, venant combler ce trop grand vide dans la musique engagée grand public?

La frénésie pour le moins contagieuse qui entoure chacun de leurs concerts paraît donner raison à cette théorie, encore plus que les deux statuettes que le groupe a récoltées lors de son dernier passage à l’ADISQ. Il faut les voir, ces milliers de fans accourus de partout dans la province, chantant avec dévotion chacune des paroles de ces chansons qui semblent leur appartenir, en pâmoison devant cette bande d’impertinents en apparence tout ce qu’il y a d’ordinaire.

Quatre gars et une fille qui n’ont rien de rock stars, pas une once de glamour, mais qui s’apprêtent pourtant à clore leur tournée – immortalisée sur l’album live Attache ta tuque et récompensée par le Félix du spectacle de l’année – en s’attaquant à l’immense Centre Bell de Montréal, tout de suite après s’être arrêtés chez nous. Avant ces spectacles qui seront suivis d’un repli stratégique au cours duquel les Cowboys devraient entamer la production du successeur de Break syndical, l’auteur-compositeur Jean-François Pauzé et le batteur Dominique Lebeau répondent à nos questions.

La dernière année a été vraiment étourdissante pour vous. Dans le tourbillon d’événements qui sont venus la jalonner, qu’avez-vous retenu?
Dom: "J’ai retenu que des postes de radio qui disaient qu’on ne passerait jamais dans leur station nous ont finalement fait jouer… et à la planche en plus! Et puis se sont vantés d’avoir été les premiers à le faire!"

J-F: "C’est certain aussi que la réaction du monde nous a un peu décontenancés, mais on commence à s’habituer. De toute manière, on est restés les mêmes, je ne crois pas qu’on se soit enflé la tête avec ça, mais c’est quand même incroyable que ce soit devenu aussi gros."

C’est intéressant de voir la lutte que mènent les artistes qui connaissent le succès pour garder les pieds sur terre. On a parfois l’impression que vous répétez cette idée-là comme pour une sorte d’appel à la prudence lancé à vous-mêmes…
J-F: "Écoute, c’est quand même bizarre… Il y a deux ans, je livrais de la pizza, et maintenant, il y a du monde qui nous idolâtre. Faut se le répéter, parce que dans ces conditions-là, c’est facile de se prendre pour d’autres. Heureusement, nous, on est cinq pour se rappeler ça, on partage la pression, et à la base, on est des amis; ça nous aide à surmonter ça."

Ce qui est le plus impressionnant dans vos spectacles, c’est de voir des milliers de fans qui connaissent TOUTES vos chansons par cour, qui les chantent toutes avec vous…
J-F: "(…) Et je pense que c’est ça, la plus grande satisfaction. Non seulement ça, mais je les vois aussi qui chantent avec émotion. L’autre soir, en Gaspésie, il y avait une fille qui braillait pendant Toune d’automne, et ses amies la réconfortaient. J’imagine qu’elle a un frère ou une sour qui vit loin de chez elle… C’est très touchant. Quand tu fais des chansons, tu veux que ça rejoigne le monde, et quand ça fonctionne, c’est vraiment très gratifiant."

Dom: "Nos fans sont vraiment "primés"… Ils arrivent tôt, commencent les chansons a cappella avant qu’on les joue… Je reprends encore cette vieille image de groupe du peuple, mais je pense vraiment qu’ils sentent qu’on leur appartient, et ils en sont fiers."

Après être montés si haut, craignez-vous que le seul mouvement que vous puissiez faire désormais soit vers le bas?
J-F: "Ben non! On verra comment ça ira. Si on doit redescendre, on redescendra. Tout le monde connaît son apogée et son déclin, mais je pense qu’il y a moyen de se maintenir aussi. Le groupe se tient solidement, je pense qu’on a encore de bonnes chansons à offrir, on a encore des choses à dire. Notre objectif, c’est de faire des bonnes chansons; tant mieux si le monde embarque, sinon, on avisera…"

Dom: "(…) Pis même si ça pogne un peu moins, je sais qu’on a un minimum de fans et qu’on peut vendre un minimum de disques pour s’en sortir. Je ne pense pas qu’on se plante tout de suite. Évidemment, ça se peut qu’il n’y ait plus de tounes à la radio, que ce soit la seule fois qu’on fasse le Centre Bell, mais on va au moins faire un autre disque et une série de spectacles après, ça c’est certain."

On a beaucoup parlé de l’engagement politique des Cowboys Fringants, mais il y a aussi une bonne part de cynisme dans tes textes, Jean-François. Tu n’as pas peur que l’un soit l’éteignoir de l’autre?
"Je sais pas… Ce que je veux dire avant tout, c’est qu’il faut garder l’oil ouvert pour ne pas se faire avoir. Mais en même temps, on n’a pas vraiment de poids décisionnel. (…) On ne peut pas faire autrement que d’être un peu cynique devant cette manière de faire de la politique, parce qu’il faut être heureux un peu aussi, il faut pas trop s’en faire avec ça non plus. "

Toi, Dominique, tu partages le même avis?
"Moi, je pense encore qu’on peut changer le monde. Ça prend juste un catalyseur, comme Les Cowboys Fringants, ou mieux, une émission de télé populaire qui pousserait le monde un peu. (…) Là où j’y crois moins, enfin, oui et non, c’est à propos de la souveraineté. Des fois, je rencontre des gars qui me disent: "Ostie man! Moi j’suis souverainiste pis En berne, c’est vraiment ce que je pense, on devrait être un pays, on devrait être indépendants…" Est-ce que c’est vraiment ça que ça dit, En berne? Je pense que t’as pas bien lu les paroles… Alors, même si je crois que la meilleure façon de bien s’organiser et de bien fonctionner, c’est en étant indépendants, quand je rencontre du monde comme ça, je me demande pour qui je le ferais. Ces gens-là pensent que tout va mieux aller le jour où tout le monde va voter "oui", mais ils ne veulent pas changer leurs habitudes."

À l’exception de Dom qui s’y amuse visiblement, le reste du groupe semble vraiment à côté de ses pompes quand vous participez à des galas comme celui de l’ADISQ. On dirait presque que certains d’entre vous y vont à reculons. Est-ce que c’est le cas?
J-F: "Ouin… On revenait tout juste de tournée et on était vraiment fatigués le soir de l’ADISQ, et je t’avoue que j’aurais préféré le regarder à la télé celui-là (rires). Mais je serais malhonnête de te dire qu’on a trouvé ça déplaisant de recevoir des prix, surtout celui de Spectacle de l’année, mais ça reste un truc de gratin. (…) C’est juste que ça paraît un peu démesuré quand tu arrives derrière la scène et que les journalistes se bousculent pour te parler, comme si t’étais le premier ministre. J’ai le goût de leur dire: "Hey man, moi je fais juste de la musique!""

Dom: "C’est sûr que c’est un peu étrange des fois, mais bon. Et puis il y a Marie [-Annick Lépine] qui trouve ça très important qu’on aille recevoir notre prix et qu’on soit propres et qu’on parle bien, parce que c’est un beau trophée (rires)…"