Entretien avec Air : La mélodie du bonheur
AIR, c’est deux êtres qui, dans la création, deviennent presque symbiotiques, deux inséparables qui forment un véritable couple musical. Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel ont créé le duo électronique parisien le plus estimé et le plus secret de la planète.
Air
s’est inspiré de l’espace, des planètes et des étoiles pour créer ses premiers albums, et voilà qu’avec son plus récent effort, il revient à l’essentiel, à l’humain. Air se fait soudain amoureux, se vautre dans l’eau de rose sur Talkie Walkie, un tout nouvel album fort attendu.
Avec la trame sonore du film The Virgin Suicides de Sofia Coppola et le très encensé 10 000 Hz Legend, Air s’est forgé une solide réputation de groupe vaporeux mais sombre, avant-gardiste quoiqu’un peu nostalgique des années 60 et 70. Avec Talkie Walkie, le duo délaisse les ambiances tristes et se fait lumineux, léger et surtout plus serein. Jean-Benoît Dunckel, la moitié de Air, explique cette nouvelle sérénité musicale… "Oui, notre nouvel album est serein, c’est vrai. Mais il faut se méfier du raisonnement qui dit que si un album est serein, les artistes le sont aussi. En fait, c’est plutôt que les artistes aspirent à quelque chose de serein. Si on avait envie de musique lumineuse, c’est peut-être parce qu’on ne l’était pas à ce moment-là. C’est comme les artistes qui font du rock trash et qui sont en fait des crèmes, des êtres très doux et équilibrés. Nous, c’est pareil, on fait de la musique calme, sereine, à la recherche de zen. Et c’est justement pour nous calmer, parce qu’au fond on est anxieux. C’est une sorte de médecine."
Air est passé de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’échelle interplanétaire à l’échelle humaine. "Avant, on cherchait l’amour dans l’espace, parce qu’on voulait être amoureux d’une extra-terrestre. Mais maintenant, on a trouvé sur Terre une femme humaine qui correspond à ce qu’on est. C’est peut-être ce qui donne de l’intimité à cet album. On a appris à aimer la femme terrestre! lance-t-il en éclatant de rire. En fait, on avait surtout besoin d’affection. Comme un petit garçon qui a besoin de sa maman pour se faire caresser. C’était pareil. Un grand besoin de tendresse, de caresses, d’amour. Pas forcément d’amour sexuel, mais d’amour tendre." Et ce besoin d’amour, on le retrouve dans tous les coins de Talkie Walkie, bien au-delà des mots, il s’est transformé en accords, en mélodies, en un langage très personnel.
Talkie Walkie est comme un premier amour, fluide, d’une grande clarté. Comme si le duo avait enfin trouvé ce qu’il cherchait… "C’est un album très vrai, donc limpide. C’est une espèce de recherche absolue de la vérité et de la sensation amoureuse. Comme si on essayait de prélever chez l’auditeur de la sensibilité, de la vérité. On a été plus authentiques que jamais." Air a choisi de parler des petits détails de l’amour, de ces petits bonheurs qui ouvrent toutes les portes. "Par exemple, la chanson Run ne parle que du fait de se faire caresser la poitrine par une femme, couché dans un lit. Le chanteur, c’est-à-dire moi, ne parle que de ça sur tout le morceau. On trouvait ça super de faire une chanson rien qu’à propos d’un instant, d’un petit moment de la vie, un snapshot de quelques secondes…"
Tant qu’à être libre et vrai, mieux vaut l’être jusqu’au bout. Pour la première fois, Air s’est payé le beau risque de chanter sur cet album. Alors que Nicolas et Jean-Benoît avaient toujours fait appel à des chanteurs invités, ils ont voulu plonger sur Talkie Walkie et prendre en charge toutes les voix. Et ils sont bien décidés à assumer les conséquences de leur acte… Parce que le groupe, qui a toujours été très discret, secret, devra maintenant sortir de l’ombre et mettre en lumière cette nouvelle voix. "Pour certains groupes, l’image est plus importante que la musique. Pour nous, c’est le contraire. Mais on va faire un effort cette fois-ci. On va essayer d’être plus séduisants, plus en avant. Notre album s’y prête. Comme on chante davantage, les gens vont vouloir nous voir interpréter les morceaux. On va le faire; se servir de son image peut aussi être très positif."
Celui qui les a encouragés à se dévoiler enfin à la face du monde, le maître d’œuvre de Talkie Walkie, c’est le réalisateur Nigel Godrich, l’homme derrière les albums de Radiohead. "Nigel est un vrai directeur artistique. On le retrouve partout sur l’album, dans certaines prises de son, au mix, à l’édition, même dans la conception de la pochette. Il possède une intelligence du son et la science du disque."
Le duo a choisi d’appuyer le sentiment amoureux avec des instruments à cordes qui donnent un ton et une profondeur désarmante à l’album. Les arrangements de cordes sont ici signés Michel Colombier, un vétéran à qui l’on doit les fabuleuses sections de cordes dans l’œuvre de Serge Gainsbourg et des Beach Boys.
Talkie Walkie est un disque doux, pur, qui rend hommage au silence. L’auditeur y a beaucoup d’espace parce que l’œuvre respire, insuffle de l’oxygène.
Talkie Walkie
EMI