Thomas Fersen : Le paresseux fertile
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Thomas Fersen : Le paresseux fertile

Porté par un cinquième album où il se renouvelle considérablement, le plus consciencieux des nonchalants chantants s’offre une autre virée québécoise. Se faire attendre est un art auquel FERSEN aura excellé.

Il y a quelques mois, Thomas Fersen a fait mentir tous ceux qui annonçaient son déclin et le croyaient incapable de se renouveler. C’était lors de la parution de Pièce montée des grands jours, un cinquième album studio à la fois surprenant et on ne peut plus… fersenien, fruit d’une longue et profitable fermentation.

Joint au téléphone par un dimanche de décembre, l’homme se montre d’emblée très satisfait du disque et de sa réception. "J’y ai mis le temps, et je crois que ça paraît. C’était nécessaire pour moi afin de bien me démarquer des précédents albums et de savoir où je m’en allais." La tête de truie tranchée qu’il tient entre les jambes sur la pochette est donc révélatrice. Non seulement l’univers animalier qui structurait en partie sa démarche est-il chose du passé, mais il est maintenant temps de fuir les joliesses et d’incorporer quelques éléments plus abrasifs à la dive soupe sonore. "C’est une façon de dire que c’en est fini des choses jolies et gentilles, et que c’est maintenant au tour de choses plus crues, aventureuses et "rentre-dedans". Un peu comme à mes débuts d’ailleurs…"

Est-ce à dire que la série de spectacles amorcée en Europe et qui se poursuivra bientôt au Québec porte la trace de ce virage vitaminé? "Tout à fait. Récemment, on a fait beaucoup de spectacles où les gens avaient la possibilité d’être debout, ce qui est amené justement par cette évolution de la musique vers une plus grande énergie. Ça permet de satisfaire ceux qui ont envie d’un bain de foule, de quelque chose de plus physique, de plus charnel, odorant, tactile, etc."

Seul maître à bord
Plus loquace qu’il y a quelques années, Fersen n’en exploite que mieux son côté pince-sans-rire, ce qui n’est pas sans inconvénient lorsqu’on le prend au pied de la lettre. "Je suis toujours un peu théâtral, je prends soin de cette ambiguïté du personnage de scène. Ça m’a d’ailleurs causé quelques soucis dans la première partie de la tournée française, car certaines personnes – voire des journalistes – ont pensé que je m’emmerdais sur scène. C’est marrant."

Et nonobstant le peu de temps alloué à l’écriture, un prochain disque existe déjà sous forme de vœu, à peu près dans la foulée de l’album plus collectif de 2003. "Sur les maquettes, il y a des chœurs presque partout, c’est vraiment le genre d’arrangements qui me tentent maintenant. Je veux aussi demeurer dans quelque chose de très simple, autour de la guitare et de la batterie. Mais il reste que les prochaines étapes peuvent obliger à tout changer; c’est, comme d’habitude, très imprévisible."

Et les projets de musique de film sur lesquels il a souvent fantasmé à voix haute, c’est pour après-demain? "Non. Pour la bonne raison que dans ce type de travail, ce n’est pas moi qui mène la barque et ça me contrarie. J’ai la chance de pouvoir écrire mes disques, de faire mes arrangements et de chanter sur scène, c’est une liberté qui me convient. Chaque fois que j’ai commencé à travailler sur une musique de film, ça a mal tourné: il aurait fallu que j’annule des concerts et il n’en était pas question, alors les gens en face se sont fâchés. Je n’y pense plus. Plus récemment, on voulait que je sois un peu comédien, mais ç’a été la même chose. Un projet est tombé à l’eau parce que j’aurais dû annuler mes concerts au Québec." À ce compte, c’est sans réplique.

Aucunement tenté de dépasser la francophonie, Thomas Fersen n’imagine d’ailleurs pas non plus qu’on dissocie sa musique d’une langue française qui l’accompagne si bien. "Je ne vois pas très bien comment des gens qui ne parlent pas ma langue pourraient s’intéresser à mon travail, où la part musicale est tellement mêlée avec les textes. Pour ce qui est d’être traduit et interprété par d’autres, personne ne m’a approché, mais pour autre chose, oui. On verra."

"Je suis de plus en plus paresseux, poursuit le chanteur, ce que reflètent bien certains de mes plus récents personnages. La méchanceté qui les habite fait partie de moi." Paresseux, méchant, tous ces adjectifs sont à prendre avec une poignée de sel chez lui, qui, comme s’il manquait d’activités, travaille en secret à la préparation d’un festival où il invitera notamment quelques Québécois.

D’ici là, le faux fourbe profite de cette période de proximité avec son public, tout comme il savourera la période de solitude qui devrait s’ensuivre. M’interrompant un moment comme s’il venait de voir ses cadeaux de Noël enveloppés sous un arbre, il s’enquiert de l’état des contrées qui l’attendent impatiemment: "Maintenant, j’aimerais savoir s’il fait froid et s’il y a beaucoup de neige."

Les 29 janvier
Au Barrymore’s

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