April March : Poupée du son
Entre chanson française, pop de chambre et délire psychédélique, la New-Yorkaise APRIL MARCH cultive une idée de la musique qui traverse les époques sans toutefois se laisser prendre au jeu de la nostalgie. Du moins, c’est ce qu’elle souhaite.
Lorsque, il y a huit ans, le multi-instrumentiste et fondateur de l’étiquette Tricatel, Bertrand Burgalat (Michel Houellebecq, Valérie Lemercier, Ingrid Caven, A.S Dragon, etc.), tombe sur les enregistrements de chansons de Serge Gainsbourg faits par April March, il est littéralement scié. Séduit par cette États-unienne francophile qui carbure au rock-pop des sixties, il l’invitera immédiatement en studio pour enregistrer Chrominance Decoder, d’abord paru en France en 1998, puis un an plus tard de ce côté-ci de l’Atlantique.
L’album connaît un succès d’estime en France comme aux États-Unis, porté par la naïveté du ton propre à la pop française des années 60, puis par le talent d’arrangeur de Burgalat, qui y impose un son savoureusement décalé.
Ayant passé le plus clair de son temps à dessiner les planches de l’irrévérencieux dessin animé Ren & Stempy, March (qui se nomme en fait Elinor Blake et qui a aussi collaboré avec les groupes The Makers et Los Cincos) renouait l’an dernier avec Burgalat et proposait Triggers, un album bilingue d’une richesse incroyable, soutenu cette fois par des arrangements plus complexes, parfois carrément géniaux, et propulsé par la machine bien huilée du groupe A.S Dragon, qui lui confère une aura indéniablement rock.
Mais avant tout, Triggers allait permettre à April March de s’affranchir de l’étiquette "rétro" qui la poursuivait depuis ses débuts. "En fait, je crois que cette émancipation a beaucoup à voir avec la confiance, croit-elle. J’ai laissé nettement plus de latitude à Bertrand pour la réalisation, nous nous connaissions mieux, et ça nous a permis de simplement écrire des chansons et de les enregistrer sans trop avoir à approfondir les détails ensemble."
"Bertrand maîtrise tout l’alphabet de la musique pop, poursuit-elle, il est donc inévitable qu’on se réfère aux années 60, mais je crois sincèrement que ce n’est pas vraiment rétro ni nostalgique, car la nostalgie, c’est de regarder vers le passé en s’y conformant, alors que ce que nous faisons tient bien plus d’une notion de modernisme au sens académique du terme, soit l’idée de prendre de vieux modèles en les passant dans un filtre contemporain, si tu veux…"
Évoquant sa francophilie, une étiquette qu’elle refuse aussi, arguant que "ce terme se réfère à une sorte d’obsession, et je ne suis pas complètement obsédée par la culture française", on la fera cependant rigoler en suggérant que même ses chansons anglophones ont quelque chose de typiquement français.
Principalement dans le décalage entre le ton et le propos, April March cultive des racines lyriques qui sont ostensiblement plantées dans l’Hexagone, bien qu’elle ait grandi et vécu toute sa vie aux États-Unis: "C’est vrai que je me sens plus près de Gainsbourg que quiconque quand vient le temps d’écrire, avoue-t-elle, ce qui est effectivement assez hors du commun ici. D’ailleurs, à part Blonde Redhead, je ne connais personne qui fasse preuve de cette même approche aux États-Unis. J’aime profondément la chanson française, et il est tout à fait plausible que ça s’entende."
Le 27 janvier
Au petit Café Campus