Entretien avecNelly Furtado : Nelly a un je-ne-sais-quoi…
Que fait une artiste hyperactive et culottée après le succès instantané? Elle n’en fait qu’à sa tête: un premier enfant et un nouveau disque qui n’est pas forcément celui que tout le monde attend. Explications…
Connaissez-vous une chanteuse pop plus éclectique que Nelly Furtado? Si oui, envoyez-moi un courriel immédiatement! La jeune Canadienne d’origine portugaise qui affichait autant ses couleurs lusophones que ses accointances avec les mondes hindi, trip-hop et hip-hop retrouve aujourd’hui ses chansons disséminées sur une trentaine de compilations tous azimuts. De plus, en quatre ans, elle a signé des collaborations volontaires avec Missy Elliott, Talvin Singh, le chanteur colombien Juanes, The Roots et Paul Oakenfold. Qui dit mieux? Celle qui chantait à tue-tête I’m Like a Bird de sa voix nasillarde – "Je veux m’envoler loin / Je ne sais pas où est mon âme / Je ne sais pas où est mon cœur" – clame aujourd’hui haut et fort dans One-Trick Pony qu’elle ne veut pas être prévisible.
"C’est fou comment les gens veulent absolument que tu restes la même! me lance-t-elle au téléphone, toujours aussi naturelle. C’est le contraire d’être un artiste, tu sais. S’il faut obéir à ça pour faire plaisir à tout le monde et rater son coup, ça va mal. Mais si tu changes pour être bien dans ta peau et que tu échoues, ce n’est pas grave. Au moins, tu es contente de ce que tu as fait. De plus, tu fais mieux de changer si tu veux durer…"
Après avoir raflé un prix Grammy et quatre Junos pour son étonnant premier patchwork, Woah, Nelly!, qui s’est vendu à quatre millions d’exemplaires, voici donc la Furtado qui accouche en même temps d’une fille baptisée Nevis – qu’elle a faite avec son partenaire musicien Lil’Jaz – et d’un nouvel album bizarrement intitulé Folklore. On y retrouve, entre autres, ses amis des Philosopher Kings, le fameux banjo Bela Fleck et même le seigneur brésilien Caetano Veloso dans un duo inspiré par Saõ Miguel des Açores, où a vécu sa mère! "C’est un signe des temps, poursuit l’intéressée: tout devient tellement pareil, contrôlé, "corporatisé"; c’est presque la négation des cultures. Je cherchais un antidote à la normalisation. J’essaie de retrouver ce qui te rend unique, spécial, différent. Ce qui te donne ta propre identité, ta force. Je voulais focaliser sur mon propre folklore, mes traditions, mes origines, en me disant: "Peut-être que ma petite histoire a une certaine valeur." De toute façon, j’étais déjà classée comme une chanteuse world pop."
Sur le premier album débordant d’ardeur juvénile, l’hyperactive Nelly évoquait les cinq ou six années vécues intensément entre Vancouver et Toronto à faire du freestyle en plein Centre Eaton avec ses chums des Swollen Members. L’élément urbain est moins présent maintenant mais les couleurs fado et bossa n’y sont pas non plus. Cette fois, Nelly raconte ses rêves d’enfant (Childhood Dreams), sa folle adolescence (Explode). Quant à Saturdays, livrée live, inachevée, avec la complicité de Jarvis Church, elle dévoile son apprentissage de la vie, à faire le ménage dans des chambres de motel avec sa petite maman. Voilà pourquoi sur la pochette du nouveau disque, conçue comme un miroir du premier, la petite diva funk préfère se couvrir le nombril et mettre en avant les textures ethniques comme dans l’excitante Fresh Off the Boat. Celle qui a signé Shit on the Radio s’en prend au glamour à scandale des chanteuses du moment et accuse même les magazines, dans son nouvel hymne Powerless (Say What You Want), de lui avoir intentionnellement blanchi la peau pour vendre de la copie.
"La culture contemporaine a pour unique moteur le hype. Les gens ne réagissent plus à l’intellect, à la littérature. Moi, je me sens davantage comme une petite bibliothécaire. La chanson Powerless est là pour rappeler que si on ne peut pas changer le monde, cette grosse machine, on peut au moins s’exprimer et en discuter."
Tu l’as dit, Nelly! Toujours ce petit air frondeur, cette franchise sans ambages et un je-ne-sais-quoi de plus… profond, peut-être? En tout cas, voici une auteure et une artiste de scène de 25 ans en pleine possession de ses moyens. Car elle sait que tout est possible aujourd’hui. Comme faire le tour du monde, donner le sein en pleine tournée, faire chanter ses idoles… et rester vraie.
Folklore
Universal Music