Rencontre avec Sam Roberts et Buck 65 : Frères de son
Deux musiciens canadiens: l’un est rocker, l’autre rappeur. L’un vient de Montréal, l’autre d’un trou perdu de la Nouvelle-Écosse. Mais tous deux chérissent une même idée de la liberté, faisant passer l’authenticité bien avant le succès naissant dont ils jouissent aujourd’hui. Une communion idéologique telle que si SAM ROBERTS et BUCK 65 n’étaient pas déjà de bons copains, il aurait sans doute fallu les obliger à se rencontrer.
Sam Roberts ressemble à Jésus de Nazareth. Il a les yeux d’un bleu électrique, le cheveu long ondulé, l’air candide et le visage creusé du comédien Robert Powell interprétant le fils de Dieu en 1977. Un Montréalais qui, en 2003, est devenu l’une des figures de proue du rock made in Canada avec son premier album, We Were Born in a Flame.
Sam Roberts, celui qu’on a baptisé "le sauveur du rock canadien", me racontait son année incroyablement chargée, mais semblait être resté bien lucide face à son nouveau statut… "C’est de la bullshit cette histoire de sauveur du rock! Plein de journalistes ont dit ça, mais c’est du vent, un titre accrocheur, rien de plus. En fait, le rock canadien ne s’est jamais aussi bien porté qu’en ce moment!" commence Sam Roberts.
Ce rocker zen fait partie d’une nouvelle vague de musiciens canadiens qui veulent amener le rock plus loin, le faire entendre au-delà de nos frontières. "Notre pays est si grand qu’il ne favorise pas la collectivité. Mais aujourd’hui, cet isolement, cet éclatement est devenu notre marque de commerce. Il y a une vraie renaissance musicale ici, le son est plus diversifié que jamais." Le monde est ouvert à Sam Roberts et il compte bien le découvrir, guitare à la main. Après le Canada et les États-Unis, il veut conquérir l’Europe, l’Australie et même le Japon!
En deux ans, Sam Roberts a vécu son lot d’émotions fortes. Il a signé un premier contrat de disque avec une multinationale, assuré la première partie des Rolling Stones à Toronto, participé au spectacle de la mi-temps de la Coupe Grey… De bien grands moments pour cet ancien déménageur sans attaches. "Je ne suis pas carriériste, pas très ambitieux. J’ai toujours eu de petits boulots qui ne comptaient pas pour moi. Gagner ma vie avec un métier qui me passionne et qui me fait travailler à la sueur de mon front, c’est nouveau pour moi. Mais je tiens à ma liberté plus qu’au succès."
Sam Roberts ne veut pas s’arrêter. S’il a besoin d’intimité et de calme pour créer, il a aussi peur du vide, peur que les gens l’oublient s’il quitte la scène trop longtemps. Après des mois de tournée effrénée et une toute petite pause en famille à Noël, il est reparti sur la route, chanter son pop-rock très personnel à un public qui en redemande. Et si c’était ça, le canadian dream?
Le 7 février
Au Centre culturel du Mont-Jacob
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Buck 65
Sensible, littéraire, puisant profondément dans les souvenirs d’une enfance plutôt triste, le hip-hop de Buck 65 – alias Richard Terfry – est un étrange objet qui recèle plus d’affinités avec la poésie de Tom Waits qu’avec les délires mégalomanes d’un 50 Cent.
Atypique comme toujours, le plus récent essai du Néo-Écossais, Talkin’ Honky Blues, n’est peut-être pas aux antipodes de ses précédents disques, dont certains auraient pu loger à l’improbable enseigne du "hip-hop progressif", mais il emprunte avec certitude une veine plus conventionnelle qui n’a cependant rien de rétrograde.
"J’ai fait des efforts pour me prendre plus au sérieux en tant qu’auteur de chansons, explique-t-il. J’ai beaucoup étudié le travail des Brian Wilson, Paul McCartney et Miles Davis, et j’ai réalisé que je me limitais beaucoup en tant que musicien en me confinant à un genre, en m’imposant trop de contraintes qui m’empêchaient d’évoluer. Je me sens beaucoup plus confiant aussi, avoue-t-il."
Paradoxalement, Talkin’ Honky Blues est un disque d’une surprenante noirceur. Aux instrumentations qui empruntent habilement à la country-western de son enfance, Buck 65 juxtapose les déprimants souvenirs de son village natal, un ancien hameau de mineurs de la Nouvelle-Écosse devenu un véritable mouroir.
Parmi les souvenirs colligés, Terfry évoque aussi, sur la chanson Roses & Blue Jays, son père. Un souvenir plus équivoque que les autres, plus frais, plus vif, rappelant au passage le décès de sa mère, et soulignant avec tendresse les nombreuses similitudes qui l’unissent à son paternel. En découle une histoire aussi authentique que touchante: "Mon père est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, confie Terfry, mais comme cadeau de Noël, il m’a offert un manteau sur lequel il avait fait écrire Buck 65 dans le dos, et sur la poitrine, il avait fait broder Roses & Blue Jays. Et il s’en est fait faire un identique! Ça m’a vraiment secoué, et ça m’a fait le plus grand plaisir, car même si tu ne peux toucher qu’une seule autre personne que toi avec tes chansons, tu sais que tu as réussi quelque chose de bien, de vrai."
"Il y a plusieurs personnes qui ne comprennent pas que je fasse du hip-hop en demeurant moi-même, en abordant ce genre de thèmes. Certains me considèrent même ridicule, pitoyable. Mais je ne veux pas mentir. Ce que je souhaite, dans ce milieu où on peut difficilement départir le vrai du faux, c’est d’apporter un peu d’authenticité. En ce sens, conclut-il, je pense que ce que je fais ressemble d’ailleurs plus à de la musique folk qu’à du rap."
Talkin’ Honky Blues
Buck 65
(Warner Music)