Lhasa : La route est longue
Musique

Lhasa : La route est longue

Six ans après La Llorona, LHASA est revenue nous visiter avec un disque équilibré, où la tristesse n’est plus le seul sentier exploré. Mais ne vous fiez pas aux apparences, la route qui a ramené la chanteuse chez nous fut tortueuse, et le processus pour lui permettre de remonter à la source créatrice, douloureux. Entretien avec une femme libérée…

Lhasa De Sela est vilaine. 1997, le petit lutin à la voix tragique qui hantait les bars du Plateau Mont-Royal aboutit avec La Llorona, un premier disque puissant et singulier qui rallie la critique et le public. Plusieurs – j’en étais – découvraient un Mexique sensible, artistiquement riche et autrement plus poignant que les sérénades des mariachis à cinq sous postés sur les places publiques de Playa del Carmen. Sa tessiture grave et sa timide personnalité nous avaient ensorcelés. Sa farouche indépendance n’était pas non plus pour nous déplaire. Bref, nous craquions. Lhasa nous a gratifiés de quelques spectacles, puis pfft! s’est envolée sans demander son reste, vers de nouvelles aventures. Cette escapade en France est justement la source de ce deuxième disque au titre prédestiné: The Living Road…
"J’ai vraiment eu besoin de sortir de Montréal, raconte-t-elle. De m’éloigner du regard des gens. Le côté glamour ne me plaisait pas, j’en étais rendue à me créer une carapace. C’était ridicule. À 27 ans, je me sentais obligée de me fermer à la vie, alors que je la commençais. Que j’avais tout à apprendre…" Lhasa De Sela met donc le cap sur la Bourgogne. Virage draconien mais nécessaire, qui n’épargne rien ni personne. Elle s’en va rejoindre ses trois sœurs, avec qui elle monte un spectacle de cirque, un rêve qu’elle caresse depuis longtemps. Toutes les quatre étaient disponibles, c’était maintenant ou jamais. Secondées par quelques équipiers, elles créent pendant six mois, pour finalement partir en tournée une autre demi-année.

Vous aurez sans doute deviné qu’on ne parle pas de l’infrastructure du Cirque du Soleil, pas plus que de ses moyens financiers d’ailleurs. Ici, tout le monde met la main à la pâte. Lhasa chante, bien sûr, mais elle joue la comédie aussi un peu. Et puis elle monte et démonte le chapiteau à chaque ville ou village qui accueille la joyeuse bande. Paradoxe sur deux pattes, la menue chanteuse avoue que de cette aventure, c’est justement ce dernier élément qu’elle préfère: "C’était génial, s’illumine-t-elle. Très physique, vraiment pas intellectuel, et pas angoissant du tout. Ça faisait du bien. J’avais tellement été dans ma tête pendant longtemps, à vivre des trucs très émotionnels, que de faire travailler mes muscles était salutaire…" Lhasa voyage donc en caravane, flanquée de ses trois sœurs, d’enfants, d’artistes. Chaque fois, elle plante son univers pour deux ou trois semaines au même endroit. Tout le contraire de cette vie de tournée routinière, trop souvent synonyme de solitude, où l’on additionne les villes comme on comptabilise les chiffres. Anonyme.

L’aventure du cirque terminée, Lhasa suit son amoureux qui veut vivre à Marseille. Elle aime l’endroit et n’est surtout pas prête à revenir à Montréal. La mer et le côté un brin sauvage de la ville française la séduisent: "C’est une ville sans pitié, chaotique et anarchique, qui n’est pas précieuse comme plusieurs endroits dans l’Hexagone. Elle possède aussi un aspect triste qui me plaît."

C’est là que la création de The Living Road débute vraiment. Un piano à sa portée, elle compose et écrit en anglais, en français et en espagnol. Comme si, loin de Montréal, la question linguistique ne comptait plus. Lhasa s’imbibe de Marseille, ville ouverte. Ce deuxième disque est ainsi plus perméable aux influences extérieures. Les ambiances sont diversifiées. Si La Llorona est un tout, The Living Road tient d’abord dans l’individualité de chaque chanson. Voilà peut-être pourquoi le sentiment de tristesse et de solitude qui habitait le disque initial est moins omniprésent cette fois. Marseille, le soleil et l’amour lui conviennent décidément à merveille: "Et pourtant, si tu savais comme je n’étais pas heureuse quand j’ai écrit les textes, avoue-t-elle. Lorsque je suis arrivée à Montréal pour enregistrer mes chansons, j’ai eu très peur que ce soit un album super noir. Les paroles sont très sombres, mais j’étais tellement heureuse d’être ici, de faire enfin le disque, de travailler avec François Lalonde et Jean Massicotte, que mon état d’esprit a déteint sur les chansons. Au final, c’est effectivement plus léger."

The Living Road a donc été conçu dans la douleur. Pas surprenant, me direz-vous, considérant le genre mis en chant par Lhasa. Comment parvenir à un tel degré d’intensité sans avoir précisément les blessures, les déchirements et la souffrance comme moteurs artistiques? Comment construire pareilles charges émotionnelles le cœur léger et l’esprit en fête? "Je suis pas d’accord, se défend-elle. Je souhaite sincèrement parvenir à créer dans le bonheur. Je suis même convaincue que la douleur n’est pas nécessaire à la création. Au contraire. Plus ça va et plus je parviens à aller chercher la flamme créatrice lorsque je suis heureuse. Et puis je ne trouve pas que ces idées sont plus superficielles. Au risque de paraître un peu new-age, je te dirais que l’endroit que j’ai le plus envie de visiter n’est pas physique. Il est en moi. Au fait, la route (ndlr: thème central de The Living Road), ce n’est pas juste une question de voyage et de kilométrage. C’est aussi le voyage de la vie…"

Chose certaine, la route qu’a empruntée Lhasa depuis notre dernier entretien fut longue, sinueuse, remplie de détours, et sans doute de bons gros de nids-de-poule aussi. Lors de l’entrevue, on l’a entendue rire avec peu de retenue comme rarement auparavant. Heureuse. "J’ai fait un bon bout de chemin, conclut-elle. Mais j’en ai beaucoup à faire encore…"

Le 21 février à 20h30
Au Théâtre Granada