Coral Egan : Étoile filante
Sur une trajectoire stellaire qui la situe exactement entre Joni Mitchell et Norah Jones, la belle CORAL EGAN livre un premier album solo qui va laisser sa trace dans notre ciel immense. C’est une chanteuse en plein épanouissement qui s’installe au piano, épaulée par l’étiquette Justin Time et Charles Papasoff, un réalisateur inspiré qui a tout compris.
On l’avait vue au Complexe Desjardins avec le guitariste Alex Cattaneo dans le cadre du Festival de Jazz, il y a deux ans. Et leur premier album en duo, The Path of Least Resistance, reprenait des ballades, des standards jazz et bossa-nova, mais aussi Tom Waits et Gainsbourg dans une facture digne d’intérêt. Pourtant rien ne laissait prévoir ce pas de géant, ce décollage à la verticale, cet album rayonnant de maturité d’une chanteuse en état de grâce. Dans un mélange indicible d’audace et de vulnérabilité, voici une auteure et compositrice qui joue le tout pour le tout, prête à se dévoiler complètement. Chansons intimes, existentielles; d’allure intellectuelle mais complètement émotionnelles, comme l’artiste qui les a portées dans son ventre. Je lui parle de Joni Mitchell, et Coral rougit presque de bonheur:
"Joni Mitchell est une de mes plus grosses influences. Je l’ai écoutée sans arrêt pendant six ans au moins. C’est comme ma mère. Quand je me vois chanter, c’est fou! je vois ma vraie mère (Karen Young) avec ses mains qui bougent. Mais musicalement: Joni Mitchell, c’est sûr et certain. C’est pratiquement la seule artiste dont j’ai appris les chansons et c’est ainsi que je me suis éduquée à la guitare et au piano."
Coral a donc commencé à écrire ses propres chansons à quatorze-quinze ans. "Chanter, c’était plus ou moins important, affirme-t-elle, je voulais surtout composer." Elle aura quand même mis un autre quinze ans pour ramasser son courage, se commettre à son propre répertoire. Intimidée par sa mère, par le jazz peut-être?
"Le jazz, c’est super le fun. Tu peux interpréter ce que tu veux, comme tu veux, en pleine liberté et c’est bon. Mais quand tu fais ton propre répertoire, c’est beaucoup plus spécifique. Il faut que tu mettes tout ton corps, et maintenant que c’est fini et que le disque sort, je me sens intimidée, presque gênée."
Parce que My Favorite Distraction est l’un de ces disques infiniment personnels qui vous captive dès les quinze premières secondes, mais qui ne se livre pas complètement avant plusieurs écoutes. Et Coral Egan n’est pas une nouvelle diva anglophone qui débarque dans notre univers avec ses gros sabots pour fredonner des airs faciles. Plus proche d’Ariane Moffatt, en fait, que d’une quelconque "sophisticated lady". Parfaitement bilingue, pétillante d’énergie, c’est une sportive plutôt physique qui éclate de rire à tout bout de champ. Elle écrit des chansons sur le coût de la vie, la simplicité volontaire, les power trips. Des chansons graves aussi comme Sacrifice, inspirée par un manifestant qui voulait s’immoler par le feu devant le Parlement, ou empreintes de fantaisie comme la pièce titre. Des chansons rêveuses, comme cette pochette en clair de terre de Michael Slobodian, avec une voix limpide et une écriture belle, comme l’aérienne Just Animals avec sa superbe envolée. Le tout mis en scène par l’un des grands musiciens de jazz en ville qui ne joue pas une seule note sur tout le disque, trop occupé qu’il est à brouiller les pistes et à chercher en studio des textures inattendues. Toute une aventure, une prise de risques à quitte ou double.
"On a travaillé fort pendant six mois, confirme Coral encore fébrile. Je me disais ça va s’en aller loin ou ça va passer complètement au-dessus de la tête des gens." Dans une chanson cachée – en français, s’il vous plaît – la blonde murmure: "Je révèle tous mes secrets, j’ai tellement peur que tu ne veuilles pas me suivre dans mon délire." Vas-y fort, Coral. On va te suivre…
My Favorite Distraction
(Justin Time / Fusion iii)