Jorane : Sauvez mon âme
Moins complexe, plus sereine, malgré un horaire qui, depuis deux ans, est au contraire ultra-compliqué. Entre la France, l’Allemagne, le Japon et l’Espagne, la menue Québécoise transporte son immense violoncelle vers de nouvelles oreilles à charmer, enregistre pendant quelques mois à Los Angeles et trouve de moins en moins de temps pour reprendre son souffle.
Dans un loft de l’avenue du Parc, tout le monde s’affaire autour de Jorane. Le photographe et son assistant préparent le plateau, la maquilleuse lui colore des vignes dorées sur les bras, le gérant entre, puis sort, et moi je la questionne sur tout et sur rien, un magnéto bien en vue. Il y a quelques années, vous n’auriez pas lu le papier que vous avez sous les yeux si l’entrevue avait eu lieu dans le même contexte. C’eût été un aller simple vers la catastrophe. Pas aujourd’hui. La violoncelliste que j’ai devant moi est nettement plus simple, plus ouverte et chaleureuse que celle rencontrée il y a quelques années. Faut-il s’en surprendre, Évapore, son dernier compact six titres, en est le témoin évident.
Quand on s’est rencontrés, elle arrivait d’une entrevue radio, se préparait pour une séance photo avant de foncer vers Drummondville pour un concert le soir. Elle serait de retour à Montréal au début de la nuit, malgré la tempête de neige qui sévissait: "Depuis 16 mm, ça n’a juste pas arrêté, convient-elle. Pendant deux ans et demi, je me suis promenée partout, il y avait toujours des nouveaux projets, ça roulait tout le temps… Mais effectivement, malgré cet horaire chargé, ma vie est moins compliquée. Longtemps, ce sont les émotions qui m’ont contrôlée. Aujourd’hui, c’est moi qui les utilise. Je me comprends mieux et, conséquemment, je suis moins sur mes gardes, notamment avec les journalistes. Mais c’est normal. C’était mes premiers pas, tout le monde me parlait de la grosse machine du showbiz, des artistes qui finissaient par entrer dans des moules. Alors je préférais faire ma petite guerre, pour être sûre d’être bien comprise."
On soupçonnera Jorane d’avoir voulu être rapidement considérée par les médias comme une artiste avec un grand A. S’assurer qu’on comprenne que derrière cette magnifique jeune femme aux traits enfantins, se dressait une créatrice forte et intense. Ce qui fut d’ailleurs rapidement réglé, et qui n’avait de toute façon pourtant jamais fait beaucoup de doute. Peu importe. À l’époque, la jeune première est sur la défensive, forte sur les silences, les explications un brin abstraites et pas mal courtes. C’est du moins mon souvenir: "Il a fallu que j’apprenne à parler de moi, se défend-elle. Au début de ma carrière, j’avais peur des questions des journalistes, mais aussi de mes réponses. Je parle beaucoup. J’essayais donc de ne pas répondre en répondant, juste pour être certaine de ne rien regretter. Je pense que j’ai réussi, les journalistes m’ont acceptée telle quelle. Tu vois, je n’arrête pas de te parler, je t’en dis des affaires, mais en même temps j’ai l’impression de me respecter. Si j’avais tout donné au départ, il n’y aurait plus rien eu à venir chercher… Les gens savent que je n’aime pas étaler ma vie privée et je pense qu’ils le respectent. Ils savent que ce que j’ai à offrir est ma musique, ce qui est aussi beaucoup de moi en quelque part. C’est en gardant ce qui est à moi que je vais pouvoir avancer. Si je donne tout, je ne m’appartiendrai plus et là je ne serai pas à l’aise."
L’artiste originaire de Québec lance donc Évapore, un mini-album de six chansons à des années-lumière des émotions autrefois mises en musique. Moins rageuse, plus structurée, la nouvelle mouture de Jorane est également empreinte de la candeur de celles qui embrassent la vie. L’amour des petites choses simples, comme la chanson, par exemple, lorsqu’elle est dénuée de toute prétention. Exactement à l’image de celle que crée son copain, passionné de folk, de country, des émotions vraies, et chouette garçon au demeurant. Doit-on y voir une influence majeure? "Lui, ça sort des tripes et il ne se pose pas mille questions, confirme-t-elle. Être amoureuse, ça fait toujours grandir. Ça donne des ailes. Mais il faut faire attention avant de faire des raccourcis et de penser que si ma musique est plus simple, c’est à cause de lui. Si la musique d’Évapore est moins complexe, c’est d’abord parce qu’elle me ressemble. J’ai réglé une couple de facettes de mon cube Rubik et là je commence à apercevoir les couleurs en entier…"
Reste qu’au cours des mois précédant l’enregistrement d’Évapore, Jorane a été plongée dans un univers folk et country. Dans un chalet en bois rond, au cœur des Laurentides, avec la rivière du Nord pour la bercer. Rien de tel pour maintenir son équilibre et s’enticher d’une forme chansonnière plus classique: "Tu serais surpris, réagit-elle prestement. Des albums folk, j’en ai un paquet. Quand mon chum écoutait du country dans l’auto, je les chantais, ses tounes. Je connaissais tout ça. Gillian Welch, Kelly Joe Phelps, tout ce qui est American roots, amenez-en, je tripe là-dessus depuis longtemps. Bien sûr que je possède aussi des disques de jazz africain et autres curiosités que les gens connaissent moins, mais quand j’étais jeune, c’était moi la fille qui amenait la guitare sur le bord du feu. C’est de là que je viens aussi… Led Zep, Yes, Jethro, j’en ai écouté en masse, comme tout le monde. Je suis simple, et je l’ai toujours été. Je suis facile d’approche et j’aime bien parler…"
Course destination monde
Depuis deux ans, donc, son gérant et elle s’évertuent à construire les pistes propres à l’amener vers des aventures aux effluves toujours plus exotiques. L’influence de ces voyages représente d’ailleurs un nouveau moteur d’inspiration hyper-efficace pour elle. Est-ce parce que nous fûmes colonisés? Chose certaine, la conquête de marchés inédits par des artistes locaux nous excite toujours pas mal. Encore plus dans ce cas-ci, alors que la formule exportée est en tous points originale. Devant cette carrière, Jorane, elle, refuse de jouer la carte de l’humilité. Pas prétentieuse, non plus. Juste réaliste et confiante en sa musique: "Je ne m’étais jamais mis de barrières ni d’attentes, réfléchit-elle. Sur le coup, quand on m’annonce qu’on va jouer dans un nouveau pays, je trouve ça fantastique. Mais une fois arrivée, je fais exactement la même chose qu’au Québec: essayer de jouer le mieux possible sur la scène pour partager ma musique. Comme beaucoup de monde, quand j’étais jeune, j’avais envie de partir et de voyager. Aujourd’hui, il m’arrive souvent d’avoir juste envie de revenir."
De farniente et domicile fixe, Jorane est mieux de faire son deuil. M’est avis que d’autres pays sont à l’agenda, dont le gros territoire, juste au sud de chez nous. Et puis comme son nom circule désormais à grande vitesse, les commandes et les demandes de collaboration sont plus nombreuses. C’est sans compter un nouveau disque déjà emballé, mais disponible pour livraison à l’automne prochain seulement. De quoi satisfaire la femme ambitieuse désormais prête pour la séance photo: "C’est vrai que je suis ambitieuse. Mais pas d’argent ou de conquête de marchés. Le but, c’est de continuer à avancer, d’écrire de la musique que j’aime et de faire des rencontres. Ça, oui, j’en ai envie. Bien sûr que j’aime ça quand mes salles sont remplies, mais aujourd’hui, le concept de
Les 22, 23, 25 et 26 février
Au Cabaret Music-Hall
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