Daniel Boucher : Lâché lousse
Cordial, mesurant chaque geste, DANIEL BOUCHER irradie. Il diffuse une onde indicible qui déferle secrètement dans la pièce. Il a toujours cette assurance, ce visage qui ne doute que rarement, cet œil clair qui vous traverse sans pudeur, mais il y a plus. Le calme profond? La sagesse ? Ou serait-ce une fierté silencieuse, celle d’être parvenu à transcender le succès populaire pour faire de son nouvel album, La Patente, un recueil de musiques authentiques qui n’a rien de racoleur? Examen en profondeur.
Au cou de Daniel Boucher pendent cinq petites perles de plastique sur lesquelles on peut lire les lettres qui composent le prénom de son enfant. Un fils qui devrait naître dans les prochains jours, à peu près au moment où son second album, La Patente, doit lui aussi paraître.
Dans un cas comme dans l’autre, l’accouchement n’apparaît pas comme une source de tracas. "À un moment donné, tu ne peux plus rien faire, ou enfin, oui, mais il faut savoir s’arrêter et laisser les choses aller d’elles-mêmes", lancera-t-il en fin d’entretien à propos des arrangements de ses chansons. Peut-être aurait-il pu en dire autant à propos de l’imminente naissance de son enfant?
Mais c’est de son nouvel album qu’il est venu parler.
Un disque surprenant, remarquable, suffisamment fort pour au moins reléguer le syndrome du deuxième essai aux oubliettes. On y retrouve le même plaisir de jouir des mots que sur 10 000 Matins, cet indéfectible renvoi à l’univers des Charlebois et Ducharme qui lui a valu la faveur de la critique et du public. Mais à cet artisanat lyrique se mêle une recherche musicale approfondie. Y règnent des effluves de guitares saturées, des loops et des pistes renversées d’un psychédélisme consommé, ainsi que divers effets électroniques, ceux-là d’une discrétion tout à fait appropriée dans un univers vastement dominé par un esprit rock.
La Patente est de ces disques qui méritent qu’on les observe avec attention, chanson par chanson, avec le concours du meilleur des commentateurs: l’auteur lui-même.
Piste 1: Rasseye 1 (Homme d’intérêt)
Homme d’intérêt/Proposeur d’attrait/Revendeur de bouette/Sourieur de pas vrai
"C’est le genre de groove qu’on n’entend plus. Le genre que j’entendais tout le temps quand j’étais petit, à la radio, à la télévision. C’est rattaché à des feelings merveilleux… Je trouvais ça l’fun de commencer et de finir le disque avec ce groove-là. Et en ce qui concerne le texte, je dirai seulement: que ceux qui sentent que le chapeau leur fait le mettent."
Piste 2: La Patente
La patente tente de vendre/Ton âme blanche/(…)/Et d’en faire sa servante/(…)/Ça t’atteint sans qu’tu l’sentes/Ton âme flanche/Soit qu’on choisit d’se rendre/Soit qu’on s’défend
"Là, le thème est assez évident (rires). Si la machine [du show-business] m’a bouffé? J’espère que non… Mais faut toujours que tu te surveilles. Quand je suis arrivé dans ce milieu-là, j’aimais tout le monde, je faisais confiance à tout le monde. Astheure, c’est relatif. Je me "watche". La Patente, c’est une chanson d’engagement, il faut que c’en soit une. Faut arrêter de demander des permissions, faut prendre des décisions."
Piste 3: Voyons donc
Assis seul au bar de/L’hôtel/Je brette/Même en vacances/J’ai la tête/À la défaite
"C’est une chanson de course après l’amour. Oui, exactement. C’est aussi une chanson de voyage; je sortais de quelque chose de dur, j’étais parti au Maroc, j’en suis revenu avec plein d’idées, puis aussi avec des sons que j’avais enregistrés là-bas avec un Mini Disc. Le voyage m’a aidé à traverser cette épreuve-là, pis ça a donné une touche arabisante à cette chanson en particulier, et puis plusieurs échantillons sonores sur d’autres tounes."
Piste 4: Momme
J’aimerais que ma moman m’aime quand même/Même quand je ne mène pas/ Le classement
"Le personnage de ma mère est plutôt symbolique ici, c’est plus pour la sonorité qu’autre chose. (…) Mais aussi, j’suis un premier de classe, ça a ses conséquences… (rires) Non, j’étais pas un p’tit gars à maman, mais j’étais un premier de famille, je voulais plaire à mes parents, il y a un pattern, là, c’est sûr. C’est déjà pas mal de s’en rendre compte et de l’admettre. C’est le premier pas vers une transformation… Mais cette chanson-là, c’est avant tout un trip de son."
Piste 5: Le vent soufflait mes pellicules
J’avais fait dix mille tours de terre/Gagné, perdu, quelques nulles/Ma face de bummeur funambule/Faisait peur aux mères/Des filles de familles nucléaires
"Une chanson d’autoflagellation, tu dis? Man… C’est important de se remettre en question. Tu peux pas juste écrire sur ce que tu vois, tu fais partie de ce qui se passe. (…) Cette chanson-là date de 1999, avant le big bang. Elle a failli se retrouver sur l’autre disque. Pour moi, ça me semblait approprié de la sortir en premier, même si elle tranche sur les autres, qu’elle est pas mal moins slack…"
Piste 6: Hôtel
Ché qu’t’aimes pas ça quand j’me pousse/Ché qu’tu rushes, ché qu’tu doutes de toute/Ché qu’tu penses que j’me lâche lousse/À chaque fois que j’pogne la route
"Il y a un peu de douleur ici, mais pas juste ça. Je dis: "Oui, je m’ennuie de toi moi aussi, mais laisse-moi vivre!" C’est drôle, parce que cette chanson-là, je l’ai commencée il y a très longtemps. C’est comme s’il avait fallu que je rencontre plusieurs personnes pour cerner ce texte-là. Il a fallu qu’il se passe deux, trois ans pour que je trouve comment ça allait finir. Contrairement à 10 000 Matins où les chansons se suivent et ont une sorte de direction, ce disque-ci est plus simple. Plus simple à assumer aussi."
Piste 7: Minuit et demi
Mon dedans me dit/Que j’aime ma vie même si/Est tout à l’envers/Mon univers luit/Partout je souris/J’ai donc l’air prospère
"C’est une chanson sur le mode de vie rock, c’est essentiellement de ça que ça parle. Effectivement, c’est aussi une chanson sur l’écriture. C’est-à-dire que même si tu apprécies pas toujours ce qui t’arrive, même si t’es pas toujours fier de toi, au moins, tu fais quelque chose avec. C’est ça qui importe."
Piste 8: Matin
Le matin l’écriture c’est ben mieux/Le matin c’est comme le soir ben tard/(…)/Le matin j’fais rien que c’que je veux/Rien que des tounes à rien qu’un accord
"Je peux pas écrire sur commande, je fonctionne par flashes. Mais des fois, il faut pousser un peu, retravailler, finir les tounes. Matin, c’est une photo, une image. Ça remonte à quand je restais sur la rue Ontario et que j’écrivais toute la nuit. J’allais finir ça sur le bord du fleuve, entre les containers, près du pont. J’apportais deux ou trois textes pas terminés avec moi, je me sentais vraiment bien pour travailler à cet endroit-là."
Piste 9: Comment ça
Comment ça/Qu’on sort pus d’la ouate/À moins qu’ça paye/Comment ça/Qu’on trouve toutte ça plate/Si on l’fait pareil
Piste 10: Sympathique Colley
C’tu l’fun dehors/C’tu l’fun le sport/C’tu l’fun de jouer/C’tu l’fun encore/J’ai oublié
"On est à une époque où il y a plus de monde qui manifeste qu’il y a quatre ou cinq ans, mais en même temps, c’est pas assez. Et puis manifester, c’est une chose, agir dans ton quotidien, c’est autre chose. Il faut seulement se sortir des patterns dans lesquels on est pris. Je ne sais pas si Comment ça est une chanson de découragement, j’espère que non. Mais bon, es-tu toujours fier de ta race, toi? (…) Sympathique Colley, c’est quand tu constates que malgré les choix que tu as faits et qui sont un carcan, c’est possible de faire autrement."
Piste 11: Chose
Y’a pas grand prose/Assez brave pour se nuire
"Chose, c’est la facilité. C’est mettre les pieds dans un système pour pas perdre ta job. C’est un choix que tu fais. (…) Le jour où on va décider qu’on fait ce qu’on veut, ça va marcher. Mais tant qu’il y en a qui marchent dans la game, qui veulent en profiter, on est faits. Pour moi, ceux-là, c’est comme des scabs."
Piste 12: Windshield craqué
Piste 13: Le Berbère
Piste 14: Gaspésie
Piste 15: Petit Miel
Viens-t’en donc/Que coudonc/L’on te bécotte les flancs/L’on te morde les bajoues/L’on t’aide à devenir grand/Petit grelot/Petit miel
"Il y a comme une espèce de grande toune qui part de Chose et qui finit avec Petit Miel. Windshield craqué, c’est un feeling: c’est de l’épuisement, c’est pas important de savoir à quoi c’est relié spécifiquement. Je ne veux pas emprisonner le feeling des tounes non plus, je ne les vivrai plus de la même manière dans quelques mois, quelques années. (…) Pour Le Berbère, j’ai enregistré un bonhomme avec qui je jasais dans un souk, c’est une fantaisie. Pris globalement, ça fait partie du voyage de toutes ces tounes collées ensemble."
Piste 16: Rasseye 2
Tout d’un coup on forme tous ensemble/Une seule et même âme/Une seule et même personne
"Oui, c’est un coup de pied au cul à moi-même, entre autres. Un boss de compagnie qui a peur d’afficher ses convictions politiques parce qu’il a peur de perdre des clients, ça devrait pas exister. Son produit est bon? Alors c’est quoi le problème? Quand les Anglais ou les Français sont pas contents, on le sait jusqu’ici. Pis nous, on demande quasiment la permission d’aller manifester.."
La Patente
Daniel Boucher
(Boucane bleue)