

Daniel Boucher : Lâché lousse
Cordial, mesurant chaque geste, DANIEL BOUCHER irradie. Il diffuse une onde indicible qui déferle secrètement dans la pièce. Il a toujours cette assurance, ce visage qui ne doute que rarement, cet œil clair qui vous traverse sans pudeur, mais il y a plus. Le calme profond? La sagesse ? Ou serait-ce une fierté silencieuse, celle d’être parvenu à transcender le succès populaire pour faire de son nouvel album, La Patente, un recueil de musiques authentiques qui n’a rien de racoleur? Examen en profondeur.
					
											David Desjardins
																Photo : Stéphane Najman
																
																				
				
			Au cou de Daniel Boucher pendent cinq petites perles de plastique sur lesquelles on peut lire les lettres qui composent le prénom de son enfant. Un fils qui devrait naître dans les prochains jours, à peu près au moment où son second album, La Patente, doit lui aussi paraître.
Dans un cas comme dans l’autre, l’accouchement n’apparaît pas comme une source de tracas. "À un moment donné, tu ne peux plus rien faire, ou enfin, oui, mais il faut savoir s’arrêter et laisser les choses aller d’elles-mêmes", lancera-t-il en fin d’entretien à propos des arrangements de ses chansons. Peut-être aurait-il pu en dire autant à propos de l’imminente naissance de son enfant?
Mais c’est de son nouvel album qu’il est venu parler.
Un disque surprenant, remarquable, suffisamment fort pour au moins reléguer le syndrome du deuxième essai aux oubliettes. On y retrouve le même plaisir de jouir des mots que sur 10 000 Matins, cet indéfectible renvoi à l’univers des Charlebois et Ducharme qui lui a valu la faveur de la critique et du public. Mais à cet artisanat lyrique se mêle une recherche musicale approfondie. Y règnent des effluves de guitares saturées, des loops et des pistes renversées d’un psychédélisme consommé, ainsi que divers effets électroniques, ceux-là d’une discrétion tout à fait appropriée dans un univers vastement dominé par un esprit rock.
La Patente est de ces disques qui méritent qu’on les observe avec attention, chanson par chanson, avec le concours du meilleur des commentateurs: l’auteur lui-même.
Piste 1: Rasseye 1 (Homme d’intérêt)
Homme d’intérêt/Proposeur d’attrait/Revendeur de  bouette/Sourieur de pas vrai
  "C’est le genre de groove qu’on n’entend plus. Le genre que  j’entendais tout le temps quand j’étais petit, à la radio, à la  télévision. C’est rattaché à des feelings merveilleux… Je  trouvais ça l’fun de commencer et de finir le disque avec ce  groove-là. Et en ce qui concerne le texte, je dirai seulement:  que ceux qui sentent que le chapeau leur fait le mettent."
Piste 2: La Patente
La patente tente de vendre/Ton âme blanche/(…)/Et d’en  faire sa servante/(…)/Ça t’atteint sans qu’tu l’sentes/Ton  âme flanche/Soit qu’on choisit d’se rendre/Soit qu’on  s’défend
  "Là, le thème est assez évident (rires). Si la machine [du  show-business] m’a bouffé? J’espère que non… Mais faut  toujours que tu te surveilles. Quand je suis arrivé dans ce  milieu-là, j’aimais tout le monde, je faisais confiance à tout  le monde. Astheure, c’est relatif. Je me "watche". La  Patente, c’est une chanson d’engagement, il faut que c’en  soit une. Faut arrêter de demander des permissions, faut  prendre des décisions."
Piste 3: Voyons donc
Assis seul au bar de/L’hôtel/Je brette/Même en  vacances/J’ai la tête/À la défaite
  "C’est une chanson de course après l’amour. Oui, exactement.  C’est aussi une chanson de voyage; je sortais de quelque chose  de dur, j’étais parti au Maroc, j’en suis revenu avec plein  d’idées, puis aussi avec des sons que j’avais enregistrés  là-bas avec un Mini Disc. Le voyage m’a aidé à traverser cette  épreuve-là, pis ça a donné une touche arabisante à cette  chanson en particulier, et puis plusieurs échantillons sonores  sur d’autres tounes."
Piste 4: Momme
J’aimerais que ma moman m’aime quand même/Même quand je ne  mène pas/ Le classement
  "Le personnage de ma mère est plutôt symbolique ici, c’est plus  pour la sonorité qu’autre chose. (…) Mais aussi, j’suis un  premier de classe, ça a ses conséquences… (rires) Non,  j’étais pas un p’tit gars à maman, mais j’étais un premier de  famille, je voulais plaire à mes parents, il y a un pattern,  là, c’est sûr. C’est déjà pas mal de s’en rendre compte et de  l’admettre. C’est le premier pas vers une transformation…  Mais cette chanson-là, c’est avant tout un trip de son."
Piste 5: Le vent soufflait mes  pellicules
J’avais fait dix mille tours de terre/Gagné, perdu,  quelques nulles/Ma face de bummeur funambule/Faisait peur aux  mères/Des filles de familles nucléaires
  "Une chanson d’autoflagellation, tu dis? Man… C’est  important de se remettre en question. Tu peux pas juste écrire  sur ce que tu vois, tu fais partie de ce qui se passe. (…)  Cette chanson-là date de 1999, avant le big bang. Elle a failli  se retrouver sur l’autre disque. Pour moi, ça me semblait  approprié de la sortir en premier, même si elle tranche sur les  autres, qu’elle est pas mal moins slack…"
Piste 6: Hôtel
Ché qu’t’aimes pas ça quand j’me pousse/Ché qu’tu rushes,  ché qu’tu doutes de toute/Ché qu’tu penses que j’me lâche  lousse/À chaque fois que j’pogne la route
  "Il y a un peu de douleur ici, mais pas juste ça. Je dis: "Oui,  je m’ennuie de toi moi aussi, mais laisse-moi vivre!" C’est  drôle, parce que cette chanson-là, je l’ai commencée il y a  très longtemps. C’est comme s’il avait fallu que je rencontre  plusieurs personnes pour cerner ce texte-là. Il a fallu qu’il  se passe deux, trois ans pour que je trouve comment ça allait  finir. Contrairement à 10 000 Matins où les chansons  se suivent et ont une sorte de direction, ce disque-ci est plus  simple. Plus simple à assumer aussi."
Piste 7: Minuit et demi
Mon dedans me dit/Que j’aime ma vie même si/Est tout à  l’envers/Mon univers luit/Partout je souris/J’ai donc l’air  prospère
  "C’est une chanson sur le mode de vie rock, c’est  essentiellement de ça que ça parle. Effectivement, c’est aussi  une chanson sur l’écriture. C’est-à-dire que même si tu  apprécies pas toujours ce qui t’arrive, même si t’es pas  toujours fier de toi, au moins, tu fais quelque chose avec.  C’est ça qui importe."
Piste 8: Matin
Le matin l’écriture c’est ben mieux/Le matin c’est comme le  soir ben tard/(…)/Le matin j’fais rien que c’que je veux/Rien  que des tounes à rien qu’un accord
  "Je peux pas écrire sur commande, je fonctionne par flashes.  Mais des fois, il faut pousser un peu, retravailler, finir les  tounes. Matin, c’est une photo, une image. Ça remonte  à quand je restais sur la rue Ontario et que j’écrivais toute  la nuit. J’allais finir ça sur le bord du fleuve, entre les  containers, près du pont. J’apportais deux ou trois textes pas  terminés avec moi, je me sentais vraiment bien pour travailler  à cet endroit-là."
Piste 9: Comment ça
Comment ça/Qu’on sort pus d’la ouate/À moins qu’ça  paye/Comment ça/Qu’on trouve toutte ça plate/Si on l’fait  pareil
Piste 10: Sympathique Colley
C’tu l’fun dehors/C’tu l’fun le sport/C’tu l’fun de  jouer/C’tu l’fun encore/J’ai oublié
  "On est à une époque où il y a plus de monde qui manifeste  qu’il y a quatre ou cinq ans, mais en même temps, c’est pas  assez. Et puis manifester, c’est une chose, agir dans ton  quotidien, c’est autre chose. Il faut seulement se sortir des  patterns dans lesquels on est pris. Je ne sais pas si  Comment ça est une chanson de découragement, j’espère  que non. Mais bon, es-tu toujours fier de ta race, toi? (…)  Sympathique Colley, c’est quand tu constates que  malgré les choix que tu as faits et qui sont un carcan, c’est  possible de faire autrement."
Piste 11: Chose
Y’a pas grand prose/Assez brave pour se nuire
  "Chose, c’est la facilité. C’est mettre les pieds dans un  système pour pas perdre ta job. C’est un choix que tu fais.  (…) Le jour où on va décider qu’on fait ce qu’on veut, ça va  marcher. Mais tant qu’il y en a qui marchent dans la  game, qui veulent en profiter, on est faits. Pour moi,  ceux-là, c’est comme des scabs."
Piste 12: Windshield craqué
Piste 13: Le Berbère
Piste 14: Gaspésie
Piste 15: Petit Miel
Viens-t’en donc/Que coudonc/L’on te bécotte les flancs/L’on  te morde les bajoues/L’on t’aide à devenir grand/Petit  grelot/Petit miel
  "Il y a comme une espèce de grande toune qui part de  Chose et qui finit avec Petit Miel.  Windshield craqué, c’est un feeling: c’est de  l’épuisement, c’est pas important de savoir à quoi c’est relié  spécifiquement. Je ne veux pas emprisonner le feeling des  tounes non plus, je ne les vivrai plus de la même manière dans  quelques mois, quelques années. (…) Pour Le Berbère,  j’ai enregistré un bonhomme avec qui je jasais dans un souk,  c’est une fantaisie. Pris globalement, ça fait partie du voyage  de toutes ces tounes collées ensemble."
Piste 16: Rasseye 2
Tout d’un coup on forme tous ensemble/Une seule et même  âme/Une seule et même personne
  "Oui, c’est un coup de pied au cul à moi-même, entre autres. Un  boss de compagnie qui a peur d’afficher ses convictions  politiques parce qu’il a peur de perdre des clients, ça devrait  pas exister. Son produit est bon? Alors c’est quoi le problème?  Quand les Anglais ou les Français sont pas contents, on le sait  jusqu’ici. Pis nous, on demande quasiment la permission d’aller  manifester.."
La Patente
Daniel Boucher
  (Boucane bleue)