Entretien avec M : Étoile filante
Sensible, charmeur et rêveur, MATTHIEU CHEDID, alias M, vient d’accoucher de Qui de nous deux. Un disque où l’adulte au cœur de bambin se dévoile avec élégance. Trop tôt pour le consacrer album français de l’année, ce n’est pourtant pas l’envie qui manque.
Troisième véritable album studio de M, Qui de nous deux est de ces disques qui vous transforment un quotidien. En fond sonore, l’album fait d’un simple souper ou d’une balade en voiture un moment délectable où la douceur des rythmes et des arrangements vous inonde le cortex d’une légèreté mélodique. Nous pourrions, bien sûr, vous ensevelir de calembours liés au pseudonyme de Matthieu Chedid, vous disant qu’on M cette merveille d’M pour toute la magie qu’il s’M, mais avant tout, son dernier-né a l’effet d’une pointe au cœur. Un trésor acidulé de la pop française éclectique.
Derrière cette douceur plus centrale que sur les précédents Je dis aime et Baptême, une fille d’à peine 10 mois. "J’ai écrit cet album avec un petit bout de chou à côté de moi", confie Matthieu, maintenant père de la jeune Billie. "Ça m’a inspiré douceur, mélodie, et même humanité. C’est bête à dire, mais je ne me voyais pas jouer du hard rock alors que ma fille dormait dans la pièce d’à côté. Je préférais y aller de ballades. Épurer la musique pour me concentrer sur l’essentiel: les mélodies."
Si Ma mélodie, sublime clin d’œil aux Beatles, traite justement de cette recherche d’airs assassins, le fils du chanteur Louis Chedid frappe concrètement sur La Bonne Étoile qui, avec ses arpèges de guitare gratouillés, propulse rapidement l’album vers les grandes sphères célestes. Une pièce où l’inclassable compositeur s’étonne du rayonnement de sa propre étoile qui fit de lui une star de l’Hexagone et un père de famille heureux. "Oui, j’ai de la veine. En France, on dit que j’ai le cul bordé de nouilles. J’aurais jamais pu rêver à la vie que je mène maintenant tellement elle est loin de ma nature de départ. Je suis quelqu’un de l’ombre. Je ne suis pas fait pour être dans la lumière. Je suis plutôt intimidé par la vie. C’est mon personnage qui me donne des ailes et me permet de faire le malin."
Parlons-en de ce personnage. Tout comme la sortie de Je dis aime, celle de Qui de nous deux relance le débat sur l’importance que Matthieu gruge sur le dos de son alter ego. Ses compositions revêtent plus que jamais un côté personnel qui le distingue d’M, cet être onirique à la coiffure symboliquement gommée, arborant des costumes rouges, bleus et maintenant rose bonbon (ah, la paternité). Si le titre du compact réfère directement au déchirement identitaire, il en va de même pour la pièce Je me démasque, écrite par la poétesse Andrée Chedid, grand-mère du chanteur. "Dans ma tête, la distinction entre Matthieu et M est maintenant claire. Sur scène, c’est M qui chante, mais en studio, et lorsque tu écoutes l’album, c’est Matthieu qui présente ses chansons. La vie de M est sur scène. Il est important puisque, aujourd’hui, on écoute aussi la musique avec les yeux. Il faut jouer avec l’image et M en est une très percutante."
Il n’y a pas que M qui serve Matthieu. Son jeu de six cordes inspiré de Hendrix le démarque, bien sûr, et sa plume illuminée gagne constamment en maturité. Un raffinement qu’il qualifie d’enfantin, compte tenu de son habileté à jouer avec les mots. Traitant du sida, mais sans jamais le nommer, Le Radeau s’avère un véritable joyau phonétique. "Tout est parti d’une phrase que j’ai écrite, mais qui me semblait un peu trop clichée: "Do, ré, mi, fa, sol, la, sida, une fausse note et la vie s’en va". J’aimais bien l’image d’une simple fausse note à la fin d’une gamme qui bouleverse tout. Cependant, par pudeur pour la maladie, je ne voulais pas entrer dans de la démagogie facile. J’ai alors décidé d’écrire un texte qui propose l’idée sans pour autant la divulguer." Du coup, la gamme s’est camouflée pour devenir: "Tu dors, émue, face / Au soleil, lascive / Docile, la seule Femme / Du radeau de l’amour". "Le thème s’en trouve élargi, poursuit-il. C’est ma manière de jouer avec les mots sans pour autant faire de jeux de mots."
En attendant son prochain passage à Montréal – parions sur les FrancoFolies de cet été -, Matthieu risque bien d’être devant son poste de télévision ce dimanche afin de regarder les Oscars. Tirée de la trame sonore des Triplettes de Belleville couronnée il y a quelques jours aux César, la pièce signée Benoît Charest et Sylvain Chomet qu’il y interprète est en nomination pour la meilleure chanson extraite d’un film. Lorsqu’on comprend bien la nature enfantine et curieuse de Chedid, on s’explique facilement son ouverture face au projet. "J’aime découvrir de nouvelles choses. J’aime écouter la vie. J’aime l’inconnu et j’évite les a priori. Ça m’amène parfois vers certains dérapages puisqu’il faut avoir des certitudes pour avancer. Aujourd’hui, je contourne le problème en faisant semblant d’en avoir."
Qui de nous deux
M
(Virgin/EMI)