Stefie Shock : Shock en stock
Sans parler trop vite de consécration, on peut avancer que Le Décor, second album de STEFIE SHOCK, est celui de la confirmation. Dévoré par une ambition qu’on devine par ailleurs saine, fondée sur le rapport à l’art plutôt que sur les stratagèmes du marketing, l’image et les faux-semblants, l’auteur-compositeur nourrit le rêve de faire le tour du monde avec ses chansons qui, le plus souvent, abordent l’universelle fascination qu’entretiennent les hommes à propos des femmes. Mission possible?
"Le rapport aux gens, c’est ce qui rend mon métier noble", dira Stefie Shock en toute fin d’entrevue. Une phrase qui scelle à merveille un long entretien au cours duquel il aura peut-être éludé de nombreuses questions plus personnelles, par pudeur, mais où il se sera révélé bien plus rieur et joueur qu’on ne l’aurait cru. Une entrevue qui aura souvent dérapé, les réponses se dilatant parfois pour se terminer en cul-de-sac, mais au cours de laquelle on aura toutefois eu la certitude de saisir certains principes fondamentaux qui régissent son univers.
À prendre ou à laisser
D’ailleurs, c’est Shock qui choisit le ton que prendra la rencontre, courant dans une boutique de farces et attrapes au coin de la rue pour y acheter des pétards qu’il disposera sur le sol du café afin que ceux qui les piétinent les fassent exploser. Si on en croit la familiarité avec laquelle il s’adresse à la vendeuse de la boutique, puis l’accueil chaleureux mais inquiet des serveuses qui se déhanchent avec une lascivité bien involontaire pour éviter les bombes qui dorment à leurs pieds, on devine qu’il n’en est pas à ses premières armes. "J’en mets partout, j’en ai versé une boîte au complet sur le plancher d’un restaurant l’autre soir, ça pétait sans arrêt. Là, je pense que j’ai perdu l’effet de surprise", avoue-t-il, gamin, amorçant une rafale de fous rires habituellement réservés aux complices de délits adolescents, propices à un rapprochement qu’on aurait cru plus difficile.
Car Shock affiche non seulement cet air assuré et frondeur qui peut parfois faire peur, mais il cultive aussi une certaine distance. D’abord dans ses chansons, où il peut aisément affirmer que Tout le monde est triste sur une rythmique synthétique à faire danser les morts, mais aussi dans la vie, où il s’avoue farouche, difficile à apprivoiser.
Aussi, il paraît insensible aux attentes d’une faction du public qui souhaiterait des artistes éternellement souriants, affables et attentifs aux moindres caprices. Le musicien favorise plutôt un rapport au monde tissé par la musique, et non pas par une popularité cosmétique: "Je ne sais pas ce qu’on attend de moi, mais ce que j’ai à offrir, ce sont des chansons. Je ne suis pas un grand frère", lance-t-il avec détermination.
"On pense souvent que la politique, ce n’est que gouvernemental, mais l’art de fabriquer la popularité, ça aussi, c’est de la politique, poursuit-il. (…) Et je suis un politicien absolument exécrable. Je n’ai pas la séduction hypocrite. Je n’ai aucune envie de jouer avec l’image de cette manière-là. Je pourrais sûrement m’organiser pour me rendre plus sympathique aux yeux de tout le monde, mais c’est un non-sens. Si qui que ce soit me trouve gentil, intéressant, je suis certain que cette personne m’apprécie pour ce que je suis, parce que peu importe le contexte, je suis moi-même. Je n’ai pas envie de jouer avec la naïveté de personne. Si je ne suis pas capable de rassembler du monde avec mes chansons, tant pis."
"Mais ce n’est pas ça qui se passe", enchaîne-t-il. Et on peut difficilement le contredire, puisque son second album, Le Décor, connaît déjà un succès remarquable, et ce, malgré le piratage qu’on l’a vu dénoncer en boucle sur nos écrans de télé.
Alors, qu’est-ce qui explique la réussite de Stefie Shock? Son approche qui réconcilie chanson et planchers de danse, qui, par la plus improbable des conjonctures, parvient à rejoindre des publics aussi vastes que les écarts du bassin démographique québécois? Ou simplement parce qu’il aborde dans presque toutes ses chansons le plus vieux thème de l’humanité: les relations hommes-femmes?
J’aime les filles
"Les filles, c’est un autre monde", avance-t-il d’abord, avec prudence. On pourrait aussi dire que c’est le sien, puisqu’elles semblent omniprésentes, au cœur même de sa musique. Dans la chanson-titre, Le Décor, il y a celle qui est disparue sans laisser de traces; avec Un homme à la mer, il poursuit dans la veine de la rupture amoureuse; puis il y a la caressante L’Amour dans le désert, pièce plus sibylline; il évoque aussi une relation en phase terminale avec Il, elle; chante les louanges de Chantal, la "bouée de sauvetage qui lit l’avenir dans les flaques d’eau" et harangue ensuite l’"indifférente" de sa reprise de la Mano Negra, Pas assez de toi… Pour ne nommer que celles-là.
"C’est une grande magie. J’ai toujours eu un rapport très spécial avec les filles. S’il n’y avait pas de filles, il n’y aurait probablement pas de musique. Je ne ferais sûrement pas de chansons, je ne ferais sûrement pas de spectacles", confie Shock, non sans pudeur. Poussé à en remettre, il parle "simplement de fascination, profonde, animale. Parfaitement inépuisable. Si j’avais une raison de vouloir vivre éternellement, ce serait ça. Ça me donnerait peut-être le temps de les connaître mieux".
Et dire que celui qu’on croirait séducteur impénitent avoue pourtant n’avoir jamais eu le courage d’aborder une fille qu’il ne connaissait pas. Pas même avec un verre dans le nez. "Il faut qu’elle me soit présentée. J’ai dû en rater des occasions, il y a beaucoup des filles à qui j’aurais voulu parler, mais j’en suis parfaitement incapable. (…) Et pourtant, je suis certain que si tu abordes une fille en lui disant qu’elle est la plus belle du monde – et que tu le penses -, ça peut fonctionner. Pourquoi? Parce que je crois qu’elles sont loin d’être connes, et que les femmes ont cette ressource de naïveté qui peut rejaillir et qui leur permet d’accepter ce genre de compliment qui, en plus, les fait se sentir bien pour le reste de la journée. (…) C’est peut-être une tare générationnelle, je ne sais pas trop, mais je ne comprends pas pourquoi nous sommes si nombreux à être incapables de faire ça."
Un homme à l’amer
Si le succès ne semble pas avoir eu de répercussions majeures sur ses rapports à l’autre sexe, il est tout de même parvenu à réconcilier Stefie Shock avec un monde qui a parfois paru s’éloigner de lui. "Parce que tu peux être pris d’amertume dans ce métier-là, dit-il. J’en ai passé du temps, trop de temps, à me sentir loin du monde, seul avec mes chansons, mais là, enfin, je me sens proche de lui."
"Et ça va vraiment bien, ajoute-t-il, à mon rythme, pas trop vite. J’ai toujours eu l’ambition de faire le tour du monde avec mes chansons, et là, je sais que mes chansons sont partout: en Afrique, en Europe, en Australie, aux États-Unis… Le monde ne se réduit pas au Québec et à la France, même si je chante en français."
Seule ombre au tableau: les empêcheurs de tourner en rond, la business qui rend, par exemple, la sortie du Décor en France plutôt périlleuse. "C’est pour ça que je dis, comme John Lennon: power to the people! Là, ça gosse pour que l’album sorte, seulement pour des raisons administratives. J’ai donné quatre shows en France l’automne dernier, et ça s’est très bien passé. J’ai des chansons qui tournent à la radio, aussi… Je sais que les gens ont aimé ça."
Sans s’étendre sur la nature profonde des problèmes qu’il mentionne, Stefie Shock revient encore à cette relation avec le public, fondée sur l’authenticité, sur le rapport à la musique, sur cette complicité qu’il souhaiterait pure, sans entraves. Car si ce n’était du domaine des affaires trop intimement relié à celui de l’art, à l’en croire, il serait à la conquête du monde.
"Parce que pour ce qui est de plaire au public, je n’ai plus de doute. Ça marche", conclut-il.
Les 11, 12 et 13 mars
Au Club Soda