

Yann Perreau : Le vagabond solitaire
En cette ère dominée par le divertissement prémâché, les vedettes instantanées et les diktats du marketing, il est à l’occasion très agréable de se faire rappeler l’Art, et toute la démarche impliquée. Parmi les irréductibles de la résistance se dresse YANN PERREAU. Aide-mémoire.
					
											Patrick Ouellet
																Photo : Jocelyn Michel
																
																				
				
			"J’ai tout le temps fait un peu de musique; aussitôt que j’ai eu l’âge de monter sur le banc de piano, j’ai commencé à jouer un peu, autodidacte, comme ça…" Et c’en était fait. Cela peut sans doute paraître trivial, mais Yann Perreau est tombé dedans lorsqu’il était petit, un peu à l’image du célèbre gaulois aux menhirs. Dès la fleur de l’âge, dans son village natal de Berthier, le jeune homme a entendu l’appel de la musique, sauté sur le train qui passait en trombe et n’a jamais regardé en arrière depuis.
La piqûre
  "Mes parents avaient un snack-bar qui servait de salle de  réception la fin de semaine, se souvient-il. Il y avait tout le  temps plein de monde et de la musique, que ça soit un  disc-jockey ou un band. Le party, j’ai pas mal grandi  là-dedans!" Après un interlude derrière la batterie, il se met  à écrire des chansons. Puis s’amorce rapidement l’épopée Doc et  les Chirurgiens, pendant laquelle il chope la virulente piqûre  de la scène. "En fait, je pense que c’était un peu inné chez  moi; je suis le dernier de la famille, de 10 ans plus jeune que  l’autre avant moi (il a deux frères et deux sœurs), donc c’est  sûr que j’ai tout le temps eu beaucoup d’attention (rires);  aussitôt que le petit "pit" rentrait dans le salon, c’était le  centre d’attraction! Alors les portes m’étaient un peu  entrouvertes pour tout ça, puis avec Doc, je les ai toutes  défoncées…"
L’école
  Avec une moyenne d’âge d’à peine 20 ans, la jeune formation  donnera près de 300 concerts, incluant une victoire au concours  Cégep Rock, qui mènera à une tournée en Belgique. Suivront un  autre triomphe, cette fois à l’Empire des futures stars, des  apparitions remarquées aux FrancoFolies de Montréal et au  Festival d’été de Québec, puis de nombreuses premières parties,  dont celles de Kevin Parent, Alannah Myles, Zébulon, Stephen  Faulkner et Éric Lapointe. Le groupe signe avec DisQuébec, mais  alors que le premier extrait Shake Your Fire Maker  tourne à la radio et à MusiquePlus, la compagnie doit fermer  ses portes et les disques sont retirés des tablettes.  Malheureusement, aucun sauvetage téléphonique de  téléspectateurs consternés ne viendra ici changer le cours des  événements. Ses compères se réfugiant dans d’autres projets,  Perreau décide de faire une pause et de prendre le large.
L’excursion
  "J’ai carrément pris la route; un peu comme dans On the  Road, parce que j’étais en train de lire une biographie de  Jack Kerouac…" Avec un simple sac à dos et bien peu de  moyens, il prend un autobus jusqu’à Oakland, en Californie. Il  vagabonde sur le campus de Berkeley, passe des nuits à jammer  avec toutes sortes de gens rencontrés dans les pubs ou les rues  de San Francisco. "Dans ces conditions-là, t’as pas le choix  d’aller vers les gens puis de te démerder", note-t-il,  soulignant vraisemblablement un des principaux objectifs du  périple. "Après ça, j’ai fait du pouce jusqu’au Grand Canyon où  j’ai aussi passé quelques semaines, un peu  clandestino… Parce que sur le pouce, j’ai été  ramassé par une femme qui travaillait là, une Amérindienne, et  elle m’a fait rentrer gratos sur le site puis m’a hébergé."  Avant d’être pris par la direction et expulsé du site, il écrit  beaucoup sur le bord de la rivière Colorado, joue de  l’harmonica et tisse des liens étroits avec son hôtesse, qui ne  serait pas la Fille d’automne de sa chanson, même s’il  admet s’en être inspiré. "Une rencontre faste, comme ça, qui  finalement s’est transformée en amitié digne d’un film; c’était  vraiment spécial, confie-t-il, les souvenirs à vif. Le son du  désert, la guitare de Ry Cooder, le trip amérindien; ce  voyage-là a été un peu le point de départ de Western  Romance…"
Les devoirs
  À son retour, Perreau donne quelques concerts avec Doc, mais le  groupe rend officiellement l’âme en décembre 98. Pas de mise au  ballottage en direct; simplement la vie qui suit son cours. Il  survit ensuite grâce à une variété de jobines puis élargit ses  champs de connaissances. Il suit une formation de  marionnettiste pendant six mois, tourne un brin, puis s’inscrit  à un cours de gestion de carrière artistique. C’est à cette  époque qu’il fait une rencontre déterminante pour la suite des  événements. "J’ai rencontré Gilles Brisebois (Jean Leloup,  Voivod…), avec qui j’ai commencé à "taper" des tounes, à  temps perdu, quand il pouvait…" Infatigable, le junkie de  sensations fortes auditionne pour la troupe théâtrale de Pol  Pelletier puis est sélectionné. Pendant un an, il y apprendra  nombre de trucs qui rehaussent aujourd’hui ses prestations  scéniques, tout en écrivant l’essentiel de Western  Romance. "Cette femme-là te fait vraiment travailler dans  les extrêmes, autant au niveau spirituel qu’émotionnel. Je  pense que je l’ai écrit dans une de mes passes les plus zen; on  faisait beaucoup de méditation et de yoga alors ça a été un peu  une période de purification pour moi. Je pense aussi que  j’étais très observateur, autant du monde que je côtoyais que  de la télé, des journaux, et de moi-même aussi… J’ai eu des  moments d’illumination – le mot est peut-être fort – où j’étais  vraiment bien, mais il y a aussi eu des périodes de peur où je  me demandais ce qui se passait et ce que je faisais là",  avoue-t-il. Puis, au retour d’un atelier de théâtre au Pérou,  Brisebois lui parle de Nicole Bouchard, en train de mettre sur  pied l’étiquette Foulespin. En novembre 2002 paraît enfin le  premier album solo de Yann Perreau.
L’assiduité
  Le goût du risque et le rejet de la routine; voilà ce qui  continue de nourrir l’artiste, même après un déluge d’éloges et  plusieurs prix, le récompensant autant pour son album que pour  son spectacle. En pleine écriture de son deuxième essai,  Perreau a toujours soif de nouveaux défis. "Au mois de mai, je  pars six semaines à Paris pour faire un stage d’écriture et  d’arrangements avec Bertrand Burgalat et Joseph Racaille, entre  autres; c’est vraiment des tops selon moi. Je m’en vais là-bas  pour pousser encore un peu, chercher et me déstabiliser; parce  que là, je vais sortir d’une tournée de 40 shows, plus les  télés et les entrevues, alors je pense que j’aurai besoin de me  retrouver un peu face à moi, de me détacher de ce que je fais  et de me préparer à aller vers autre chose", poursuit celui qui  partagera la scène avec David Brunet (guitare), Daniel Thouin  (claviers), François Chauvette (batterie) et Maxime Lepage  (basse), lors de son passage à Québec.
La bataille
  Certes, l’auteur-compositeur-interprète n’a pas volé sa part de  succès. Et dans le contexte actuel, la lutte pour la survie se  doit d’être plus que soutenue. "Surtout avec le piratage,  Star Académie et tout ça; c’est des choses qui  n’existaient pas quand j’ai commencé avec Doc. C’était pas  nécessairement plus facile, mais sûrement plus vivable.  Maintenant, c’est vraiment un double combat; il faut faire de  la bonne musique puis essayer d’écrire des bons textes, et en  plus, il faut que tu te battes parce que c’est pas facile avec  tout ça, en plus des coupures; ça te ramène sur terre en  estie", laisse-t-il échapper, ajoutant qu’il participera  prochainement à une table ronde sur les nouveaux défis de  l’industrie du disque. Et tous ces artisans de la nouvelle  chanson québécoise, ils se tiennent fort heureusement les  coudes bien serrés. "Mets-en! Moi, je ne me gêne pas pour en  suggérer des shows à aller voir, parce qu’il y en a de la bonne  musique au Québec: Ariane Moffatt, Dumas, Martin Léon, Stefie  Shock, Ève Cournoyer et tout ça… Fred Fortin! C’est peut-être  celui qui nous a ouvert le plus de portes, vers la fin des  années 90; il est là pour rester ce gars-là!.. C’est cool parce  qu’il y a une compétition saine, dans le sens où on veut tous  vivre de ça puis on s’entraide; on fait tous partie de la même  grande famille!" Et c’est pas fini, ce n’est qu’un début.
Le 20 mars à 20 h
Au Théâtre Petit Champlain/Maison de la  chanson
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