Yann Perreau : Le vagabond solitaire
En cette ère dominée par le divertissement prémâché, les vedettes instantanées et les diktats du marketing, il est à l’occasion très agréable de se faire rappeler l’Art, et toute la démarche impliquée. Parmi les irréductibles de la résistance se dresse YANN PERREAU. Aide-mémoire.
"J’ai tout le temps fait un peu de musique; aussitôt que j’ai eu l’âge de monter sur le banc de piano, j’ai commencé à jouer un peu, autodidacte, comme ça…" Et c’en était fait. Cela peut sans doute paraître trivial, mais Yann Perreau est tombé dedans lorsqu’il était petit, un peu à l’image du célèbre gaulois aux menhirs. Dès la fleur de l’âge, dans son village natal de Berthier, le jeune homme a entendu l’appel de la musique, sauté sur le train qui passait en trombe et n’a jamais regardé en arrière depuis.
La piqûre
"Mes parents avaient un snack-bar qui servait de salle de réception la fin de semaine, se souvient-il. Il y avait tout le temps plein de monde et de la musique, que ça soit un disc-jockey ou un band. Le party, j’ai pas mal grandi là-dedans!" Après un interlude derrière la batterie, il se met à écrire des chansons. Puis s’amorce rapidement l’épopée Doc et les Chirurgiens, pendant laquelle il chope la virulente piqûre de la scène. "En fait, je pense que c’était un peu inné chez moi; je suis le dernier de la famille, de 10 ans plus jeune que l’autre avant moi (il a deux frères et deux sœurs), donc c’est sûr que j’ai tout le temps eu beaucoup d’attention (rires); aussitôt que le petit "pit" rentrait dans le salon, c’était le centre d’attraction! Alors les portes m’étaient un peu entrouvertes pour tout ça, puis avec Doc, je les ai toutes défoncées…"
L’école
Avec une moyenne d’âge d’à peine 20 ans, la jeune formation donnera près de 300 concerts, incluant une victoire au concours Cégep Rock, qui mènera à une tournée en Belgique. Suivront un autre triomphe, cette fois à l’Empire des futures stars, des apparitions remarquées aux FrancoFolies de Montréal et au Festival d’été de Québec, puis de nombreuses premières parties, dont celles de Kevin Parent, Alannah Myles, Zébulon, Stephen Faulkner et Éric Lapointe. Le groupe signe avec DisQuébec, mais alors que le premier extrait Shake Your Fire Maker tourne à la radio et à MusiquePlus, la compagnie doit fermer ses portes et les disques sont retirés des tablettes. Malheureusement, aucun sauvetage téléphonique de téléspectateurs consternés ne viendra ici changer le cours des événements. Ses compères se réfugiant dans d’autres projets, Perreau décide de faire une pause et de prendre le large.
L’excursion
"J’ai carrément pris la route; un peu comme dans On the Road, parce que j’étais en train de lire une biographie de Jack Kerouac…" Avec un simple sac à dos et bien peu de moyens, il prend un autobus jusqu’à Oakland, en Californie. Il vagabonde sur le campus de Berkeley, passe des nuits à jammer avec toutes sortes de gens rencontrés dans les pubs ou les rues de San Francisco. "Dans ces conditions-là, t’as pas le choix d’aller vers les gens puis de te démerder", note-t-il, soulignant vraisemblablement un des principaux objectifs du périple. "Après ça, j’ai fait du pouce jusqu’au Grand Canyon où j’ai aussi passé quelques semaines, un peu clandestino… Parce que sur le pouce, j’ai été ramassé par une femme qui travaillait là, une Amérindienne, et elle m’a fait rentrer gratos sur le site puis m’a hébergé." Avant d’être pris par la direction et expulsé du site, il écrit beaucoup sur le bord de la rivière Colorado, joue de l’harmonica et tisse des liens étroits avec son hôtesse, qui ne serait pas la Fille d’automne de sa chanson, même s’il admet s’en être inspiré. "Une rencontre faste, comme ça, qui finalement s’est transformée en amitié digne d’un film; c’était vraiment spécial, confie-t-il, les souvenirs à vif. Le son du désert, la guitare de Ry Cooder, le trip amérindien; ce voyage-là a été un peu le point de départ de Western Romance…"
Les devoirs
À son retour, Perreau donne quelques concerts avec Doc, mais le groupe rend officiellement l’âme en décembre 98. Pas de mise au ballottage en direct; simplement la vie qui suit son cours. Il survit ensuite grâce à une variété de jobines puis élargit ses champs de connaissances. Il suit une formation de marionnettiste pendant six mois, tourne un brin, puis s’inscrit à un cours de gestion de carrière artistique. C’est à cette époque qu’il fait une rencontre déterminante pour la suite des événements. "J’ai rencontré Gilles Brisebois (Jean Leloup, Voivod…), avec qui j’ai commencé à "taper" des tounes, à temps perdu, quand il pouvait…" Infatigable, le junkie de sensations fortes auditionne pour la troupe théâtrale de Pol Pelletier puis est sélectionné. Pendant un an, il y apprendra nombre de trucs qui rehaussent aujourd’hui ses prestations scéniques, tout en écrivant l’essentiel de Western Romance. "Cette femme-là te fait vraiment travailler dans les extrêmes, autant au niveau spirituel qu’émotionnel. Je pense que je l’ai écrit dans une de mes passes les plus zen; on faisait beaucoup de méditation et de yoga alors ça a été un peu une période de purification pour moi. Je pense aussi que j’étais très observateur, autant du monde que je côtoyais que de la télé, des journaux, et de moi-même aussi… J’ai eu des moments d’illumination – le mot est peut-être fort – où j’étais vraiment bien, mais il y a aussi eu des périodes de peur où je me demandais ce qui se passait et ce que je faisais là", avoue-t-il. Puis, au retour d’un atelier de théâtre au Pérou, Brisebois lui parle de Nicole Bouchard, en train de mettre sur pied l’étiquette Foulespin. En novembre 2002 paraît enfin le premier album solo de Yann Perreau.
L’assiduité
Le goût du risque et le rejet de la routine; voilà ce qui continue de nourrir l’artiste, même après un déluge d’éloges et plusieurs prix, le récompensant autant pour son album que pour son spectacle. En pleine écriture de son deuxième essai, Perreau a toujours soif de nouveaux défis. "Au mois de mai, je pars six semaines à Paris pour faire un stage d’écriture et d’arrangements avec Bertrand Burgalat et Joseph Racaille, entre autres; c’est vraiment des tops selon moi. Je m’en vais là-bas pour pousser encore un peu, chercher et me déstabiliser; parce que là, je vais sortir d’une tournée de 40 shows, plus les télés et les entrevues, alors je pense que j’aurai besoin de me retrouver un peu face à moi, de me détacher de ce que je fais et de me préparer à aller vers autre chose", poursuit celui qui partagera la scène avec David Brunet (guitare), Daniel Thouin (claviers), François Chauvette (batterie) et Maxime Lepage (basse), lors de son passage à Québec.
La bataille
Certes, l’auteur-compositeur-interprète n’a pas volé sa part de succès. Et dans le contexte actuel, la lutte pour la survie se doit d’être plus que soutenue. "Surtout avec le piratage, Star Académie et tout ça; c’est des choses qui n’existaient pas quand j’ai commencé avec Doc. C’était pas nécessairement plus facile, mais sûrement plus vivable. Maintenant, c’est vraiment un double combat; il faut faire de la bonne musique puis essayer d’écrire des bons textes, et en plus, il faut que tu te battes parce que c’est pas facile avec tout ça, en plus des coupures; ça te ramène sur terre en estie", laisse-t-il échapper, ajoutant qu’il participera prochainement à une table ronde sur les nouveaux défis de l’industrie du disque. Et tous ces artisans de la nouvelle chanson québécoise, ils se tiennent fort heureusement les coudes bien serrés. "Mets-en! Moi, je ne me gêne pas pour en suggérer des shows à aller voir, parce qu’il y en a de la bonne musique au Québec: Ariane Moffatt, Dumas, Martin Léon, Stefie Shock, Ève Cournoyer et tout ça… Fred Fortin! C’est peut-être celui qui nous a ouvert le plus de portes, vers la fin des années 90; il est là pour rester ce gars-là!.. C’est cool parce qu’il y a une compétition saine, dans le sens où on veut tous vivre de ça puis on s’entraide; on fait tous partie de la même grande famille!" Et c’est pas fini, ce n’est qu’un début.
Le 20 mars à 20 h
Au Théâtre Petit Champlain/Maison de la chanson
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