Stereolab : Repartir à zéro
"Goodbye Mary, goodbye!" souffle Laetitia Sadier sur l’intro de Feel and Triple, pièce tirée du remarquable Margerine Eclipse. Ce morceau et l’album sont tout spécialement dédiés à la mémoire de Mary Hansen, guitariste et chanteuse de la formation franco-britannique Stereolab.
Décédée tragiquement à vélo dans un accident de la route en décembre 2002, Mary repose depuis dans le cœur et l’esprit de ses amis dont la force de caractère, dans une période particulièrement mouvementée, la rendrait fière. "Hier soir (à Portland, Oregon), j’ai vraiment souffert de son absence, sa présence sur scène me manquait terriblement." L’émotion, palpable, saisie la caressante voix de Laetitia Sadier, désormais seule chanteuse du groupe depuis cet événement affligeant qui a bouleversé la formation. Crevée et prise depuis le matin avec ses camarades dans les fastidieuses formalités douanières, Laetitia raconte néanmoins avec sérénité cette amitié: "Ma relation avec Mary a été complexe et difficile pendant des années puis elle a connu une déhiscence, un déblocage. Après 1997, on a commencé à se montrer qu’on s’aimait! Je suis heureuse, c’était beau, nous avons réussi à partager un amour très simple, mais on s’est battu et nous y sommes arrivées!" Non seulement l’écriture du successeur de Sound-Dust était terminée à moitié, mais le groupe vivait l’effervescence de la construction de leur propre studio d’enregistrement chez Laetitia, dans les environs de Bordeaux. "Il y a eu cette tragédie au beau milieu d’une naissance, celle du studio et de l’album. C’était évident que nous allions continuer, que nous allions le faire pour elle, son énergie nous habite. C’est toujours une leçon de vie de perdre quelqu’un aussi rapidement, si violemment." Puis elle ajoute cette très belle réflexion: "Eh bien la vie peut justement vous faire écoper à n’importe quel moment, il faut profiter de celle-ci, il faut la vivre! Il ne faut pas se voiler la face ni reculer devant sa peur. Au contraire, il faut embrasser la vie! Sois dans l’action, ne t’endors pas, essaye d’être dans le vrai, dans le juste. Ce n’est pas toujours facile à faire mais…"
Voilà des paroles fort représentatives de l’écriture de Laetitia, elle qui n’hésite pas, entre autres, à chanter la liberté et l’espoir. L’usage de l’étiquette pop-marxiste ou mieux, situationniste, est d’ailleurs répandu dans la presse pour qualifier la portée sociale de ses textes. En évoquant Guy Debord (essayiste et cinéaste français) et ce passage de La société du spectacle: "Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien du sommeil", nous lui demandons où se situe Stereolab entre le discours et la culture pop?: "C’est paradoxal! On y participe à cette société du spectacle en donnant une représentation chaque soir, mais nous ne sommes pas là pour endormir les gens, au contraire. On vient nous voir pour planer, la musique nous porte, ça les met en face de la réalité. Notre musique donne plus envie d’agir que de végéter et il y a ce coté esthétique qui fait du bien." Et nous insuffle de plus en plus le goût de danser!
"C’est vrai qu’il y a plus de chaleur dans notre musique. Notre son était très anglais, très distancié, il n’y avait pas assez d’émotions. Je peux difficilement l’expliquer!" Stereolab, sous la férule de Tim Gane, a choisi d’enregistrer ce disque à la manière des classiques Pet Sounds et Sgt Pepper. Sans entrer dans les détails techniques, disons que Margerine Eclipse s’apprécie en multipliant les écoutes, on s’y accroche sans cesse un peu plus. Chaque élément caractéristique de leur son depuis leurs débuts et les influences récentes de leurs anciens collaborateurs de Chicago, John McEntire et Jim O’Rourke, sont ingénieusement imbriquées. Un dur labeur que ces quatre mois d’enregistrement, mais qui au bout du compte fait de Margerine Eclipse le meilleur album de Stereolab depuis Emperor Tomato Ketchup.
Le 11 avril
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