Ginette : La vie, la vie
Lumineuses, légères et espiègles, les chansons country-folk de GINETTE nous ont charmés tout autant que désarmés. La bonne nouvelle, c’est que personne ne pourra l’accuser de fausse représentation. En vrai de vrai, la dame est identique aux tranches de vie qu’elle nous offre en musique. Coup de charme garanti.
Urbaine jusqu’au bout des ongles; rurale au point d’élever ses propres chèvres sur le bord de la mer. Solitaire, un tantinet sauvage, quoique ultra-généreuse en entrevue; capable de faire la fête jusqu’à l’aurore, pour finalement se retrouver missionnaire dans les Caraïbes… Voilà Ginette, une femme apparemment semblable aux autres, mais prise à 14 ans dans une descente de police d’un bar de danseuses de la Gaspésie, alors qu’elle jouait des claviers entre les sets de Manon et de Vanessa. Une chanteuse comme vous en avez déjà vu des dizaines, mais qui s’est retrouvée à l’Institut Pinel pour aider, via la musique, un père qui venait de tuer ses enfants. Quoi? Vous vous demandez encore pourquoi Ginette en couverture? C’est simple. Nous, des chanteuses qui se font plaquer deux fois par des mecs qui virent gais, puis qui trouvent le moyen d’en rire et d’en faire une chanson, on aime ça… Convaincus?
Alors qu’elle s’attable à un café du boulevard Saint-Laurent, rien ne semble vraiment distinguer cette jeune femme des autres, sinon des yeux bleu très clair. L’approche est facile, le sourire généreux, la fille est à l’image de ses chansons: simple, légère, pétillante et débordante de vitalité. Elle ne mord pas dans la vie, elle la dévore, et pour être bien honnête, sa passion pour l’humanité est contagieuse.
Née au Nouveau-Brunswick d’une famille de musiciens où "les partys de Noël duraient huit jours", elle entreprend des cours de piano à quatre ans, question d’obtenir les mêmes récompenses que sa sœur, qui a commencé ses cours d’orgue un peu avant. À sept ans, elle forme la paire avec son cousin et plonge dans le répertoire folk-rock des Eagles et de Supertramp, pour finalement se frotter au country. Elle n’a pas dix ans qu’elle se passionne pour la musique religieuse: "J’allais à la messe quatre fois par semaine et je tripais sur l’orgue parce que j’avais l’impression de diriger mon propre orchestre. Je pouvais faire des solos de hautbois en y ajoutant des cordes, il y avait plein de possibilités." Concertos de Bach et musique de chambre sont au programme.
Le répertoire sérieux en prend pour son rhume quand elle amorce la tournée des bars gaspésiens à 13 ans. Ginette officie derrière ses claviers trois ou quatre soirs par semaine et touche 150 $ de la soirée: "Presque plus payant que maintenant…" En 1994, la pianiste a 17 ans et entreprend ses études à l’Université de Moncton. En descendant avec ses bagages (dont des aquariums pleins de tarentules et de pythons royaux), elle croise Cap-Pelé vibrant au rythme du Congrès mondial acadien. Quatre jours plus tard, elle reprend la route pour Moncton. La suite logique – et celle de tellement de musiciens francophones des Maritimes – voudrait que le Congrès ait été une révélation pour son identité acadienne. Que Zachary Richard chantant Réveille l’ait émue aux larmes: "Pas du tout. Moi j’y suis allée pour le party. Épicurienne à 100 %; le reste, je m’en foutais. Je ne suis pas très patriotique. T’aurais dû me voir essayer de trouver des souris pour nourrir mes serpents et mes tarentules dans les champs de Cap-Pelé. C’était n’importe quoi…"
Les études à peine commencées, elle opte pour une année sabbatique: "Ma vie avait toujours été facile. Quand je voulais quelque chose, je l’obtenais, c’était aussi simple que ça. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que tous n’avaient pas cette chance et j’ai senti un appel pour l’entraide, un appel à voyager et à voir quelles étaient les autres réalités. J’avais besoin de sortir de mon nombril, de briser des frontières, de faire l’équilibre avec la fille inconsciente qui avait fait le party, ben happy, flower power." Question de ne pas faire les choses à moitié, elle visite les quartiers les plus crados d’Haïti, de la République Dominicaine et du Mexique. Quelque temps après son retour, elle finit son bac, laisse son chum, se casse une jambe et empoigne sa guitare: "J’avais pas mal de choses à raconter…" On la croit.
100 % Ginette
Avec pareil parcours de vie, rien de surprenant à ce que le premier album éponyme de Ginette carbure au "je". Les 11 chansons sont autant de petits bouts de vie couchés sur laser et désormais disponibles au public. Des anecdotes comme cette folle virée en moto avec un gars (qu’on supposera sauvage et viril), mais aussi des textes nettement plus intimes comme cette panne amoureuse, ou cette fameuse histoire du fiancé qui la quitte pour un autre gars. Un journal intime que les auditeurs sont invités à feuilleter. D’autres pour lesquels elle prétexterait la fiction, mais notre courte conversation de 60 minutes a été suffisante pour comprendre que Ginette n’est pas du genre à chercher les faux-fuyants ou à se cacher derrière une épaisse couche de maquillage: "Y a des chansons que j’ai pas envie de voir interprétées de dix mille façons. C’est ça l’histoire, c’est mon scénario et je veux vous en faire part. Je n’ai rien à cacher, j’assume ma vie. Je ne suis pas du genre à entretenir un mystère autour de ma personne pour favoriser une certaine démarche artistique. Si je cache des choses, c’est par respect pour les autres, pas pour moi. J’aime parler avec les gens, partager notre vécu, prendre le temps de vivre. Je me suis toujours dit que le jour où je n’aurais pas le temps de vivre, je remettrais ma vie en question. Peu de mes amis sont dark, je ne côtoie que des gens qui tripent sur la vie."
La principale énigme de cet album, et également ce qui fait de la chanteuse une véritable artiste à contre-courant, c’est que la majorité des textes furent écrits dans un état de bonheur presque euphorique. La belle était à se construire un nid d’amour avec son nouveau copain sur une terre de Miguasha, entre la mer, ses chèvres et la forêt, quand les mots et les mélodies se mirent à débouler. Le curieux de l’affaire, c’est que dans nombre de chansons, Ginette a l’air de tout, sauf amoureuse: "Tsé, à un moment donné, y a des histoires que tu veux régler. Je suppose que dans mon passé, y avait encore des dossiers ouverts qu’il fallait dédramatiser. On dirait qu’en écrivant ces chansons, j’ai fermé certains chapitres à tout jamais. J’ai l’impression, par contre, que ce sont des chansons que je ne traînerai pas longtemps sur scène. Des tounes que j’avais besoin d’écrire et d’exprimer à un certain moment. L’Homme à la moto, par exemple, va crever assez vite. Je le sens venir."
Ce qui ne risque pas de mourir toutefois, c’est cette dualité entre la fille de la ville et celle de la campagne. Une dualité qui trouve écho dans l’aspect urbain de la musique et les thématiques plus pittoresques de ses textes: "On n’en sort pas, ma vie est toujours une recherche d’équilibre entre deux extrêmes, confirme-t-elle. J’ai besoin de la ville comme des grands espaces et ma vie est bâtie pour satisfaire ces deux pôles. Tout mon entourage professionnel sait que j’ai besoin de retourner m’oxygéner en Gaspésie au moins six mois par année." Ce qui n’empêche pas la chanteuse de jouer avec le démon. Au retour d’une tournée française en première partie de Robert Charlebois, de sérieux pourparlers avec une maison de distribution auraient été entrepris et ce premier disque pourrait être disponible chez les Gaulois dès l’automne. De quoi remiser Miguasha au statut de fantasme: "Pas du tout. Ça va être la même chose. Une semaine et demie là-bas, une semaine et demie ici, une semaine et demie en Gaspésie et le reste dans les avions…" Question d’équilibre, bien évidemment.
Le 15 avril
Au Cabaret Music-Hall
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