Lhasa : Le confort et la différence
Musique

Lhasa : Le confort et la différence

Précédée d’une faste tournée européenne, la première montréalaise du tout nouveau spectacle de LHASA marque un point tournant dans l’existence de cette chanteuse au registre ténébreux. Car plutôt que de fuir le succès, de céder sous la pression comme ce fut autrefois le cas, elle embrasse désormais son fabuleux destin avec sérénité. Un cas de transfiguration.

Lorsqu’on la joint au téléphone, Lhasa enfile les entrevues depuis une chambre d’hôtel de Toulouse. La veille, elle chantait à Bordeaux, quelques jours plus tôt, à Berlin, et lorsqu’elle atterrira à Montréal pour enfin y présenter le spectacle issu de son second et magnifique album, The Living Road, elle aura fait frémir Londres, Bruges, Bruxelles, Genève, Cologne, Paris, Marseille et Bourges, ainsi qu’une douzaine d’autres villes de l’Hexagone.

Avec ses chansons parfois tristes à pleurer, d’autres fois cauchemardesques, Lhasa et sa voix magnifiquement torturée ont fait leur chemin jusqu’à l’âme des mélomanes, lui assurant un succès de moins en moins confidentiel, à une échelle qui lui sied parfaitement.

Et dans ce petit tourbillon de popularité internationale, la frêle chanteuse semble naviguer avec une assurance qu’on ne lui connaissait pas.

Visiblement plus sereine qu’à l’époque où l’explosion médiatique de son premier essai, La Llorona, lui avait pesé au point où elle avait choisi de tout laisser tomber, la chanteuse s’avoue non seulement confortable, mais sa voix trahit même une pointe de fierté lorsqu’elle évoque les 2700 places du Grand Rex, à Paris, où elle et son groupe se sont produits deux soirs. Un revirement qu’elle explique simplement: "Les craintes que j’avais et qui, je crois, étaient légitimes avaient à voir avec ma peur de me perdre dans tout ça. Mais aujourd’hui, ça va, je sais que je ne me perdrai pas. Le succès que j’obtiens ressemble beaucoup à ma musique, ajoute-t-elle, et c’est une musique qui trouve son public par ce qu’elle est, d’elle-même, alors je suis à l’aise avec ça."

La quête
Chercher, trouver. Deux termes qui reviennent constamment à la bouche de Lhasa et qui trahissent un sentiment autrement plus profond qu’une analyse en surface du bonheur dans la réussite.

En évoquant les contours d’une quête spirituelle sur laquelle reposeraient les fondations de son existence et de son métier, on sent la chanteuse, même à des milliers de kilomètres, s’illuminer et trouver là un sujet qui la passionne véritablement. "J’ai été élevée différemment, dans un environnement complètement à part, sans télé, sans école, raconte-t-elle. J’ai appris quand j’étais très jeune que j’avais un destin particulier, que ma vie était intéressante et précieuse. Et c’est le cas pour tout le monde, sauf qu’on a l’impression d’avoir tous vécu la même chose. Nos expériences personnelles ne le sont même plus, jusqu’à un certain point."

"Nous nous voyons nous-mêmes comme des faits de société, poursuit-elle, des êtres sociaux. On remplit des sondages, et toutes sortes d’autres choses du genre que je trouve horribles, alors que ce qui m’intéresse dans la vie, c’est la différence. Il faut nous-mêmes aller à la recherche de notre essence, sinon personne ne le fera à notre place. On peut se servir de la vie, de notre corps, de nos sens pour apprendre à connaître notre âme, et c’est ça qui m’intéresse, c’est ma religion. Mais attention, je ne suis pas une gourou", rigole-t-elle.

La quête n’est cependant pas indolore si l’on en croit les textes de The Living Road. Trahison, mensonge, culpabilité et souffrance sont au cœur de ces mélopées languissantes qu’on devine être autant d’exutoires. "Personne n’a dit que la vie était sans douleur, s’amuse Lhasa, alors autant choisir quelle sorte de douleur on doit subir, si possible… Je me suis toujours posé des questions d’ordre philosophique, depuis que j’ai cinq ans, poursuit-elle. Et c’est encore comme ça aujourd’hui; quand je suis sur scène, je vois les gens dans la salle, et je me dis qu’ils ont tous une existence particulière, qu’il s’agit d’êtres vivants devant moi, qui respirent, qui pensent et qui vivent des choses différentes. Je trouve ça magnifique."

Au final, bien que la question soit un peu brutale, on ne peut s’empêcher de demander à Lhasa si tout ce revirement ne tiendrait pas qu’à une attitude dont elle se serait enfin débarrassée, soit la crainte de la réussite.

Précédée d’un court silence de réflexion, puis d’un long soupir, la réponse est sans équivoque: "Là il y a une chose que je voudrais dire à propos de ça: c’est facile d’être effrayé par le succès quand tu l’as (rires). J’ai eu ce luxe-là, j’ai vécu une très belle histoire avec mon premier album et puis il y a eu toute la pression qui est venue avec, le doute, l’angoisse. Maintenant, je comprends beaucoup mieux que je suis une chanteuse et que je ferai tout en sorte de pouvoir continuer. Je ne veux pas brûler comme une comète, j’ai envie d’exister, d’évoluer et de m’exprimer encore longtemps."

L’année dernière, alors que Lhasa était toujours portée disparue, elle reparaissait au radar dans une collaboration pour le moins inattendue avec le groupe britannique The Tindersticks. Le temps d’une chanson, Sometimes It Hurts, extraite de leur plus récent album, Waiting for the Moon, sa voix plaintive nous rappelait combien elle manquait à l’univers de la musique tout en annonçant le retour en force qu’elle connaît aujourd’hui. Le temps de quelques questions et autant de réponses, Lhasa raconte l’histoire d’une connivence instantanée avec le chanteur de ce groupe au succès confidentiel mais néanmoins fabuleux.

Posons la question simplement: comment t’es-tu retrouvée à chanter en duo avec Stuart Staples sur le dernier disque des Tindersticks? Tu les connaissais bien?
"Non, pas du tout. En fait, à une certaine époque, je cherchais à rencontrer toutes sortes de gens: des réalisateurs, des musiciens… Il y a un album que j’avais beaucoup aimé, c’était Fantaisie militaire de Bashung, alors j’avais regardé qui avait travaillé là-dessus et c’est Ian Caple qui l’avait réalisé. J’ai donné une copie de La Llorona à un ami qui le connaissait et qui devait la lui donner, puis il ne s’est rien passé avec ça pendant un moment. Deux ans plus tard, j’ai reçu un coup de fil de ce même ami qui me disait qu’Ian Caple (réalisateur de Waiting for the Moon) avait fait écouter mon album aux Tindersticks, qu’ils avaient beaucoup aimé ça et qu’ils voulaient que je chante un duo sur leur nouvel album. Ils m’ont envoyé une copie de la chanson, pour pratiquer, puis je suis allée à Londres pour l’enregistrer avec Stuart. Et ça, c’est une très, très belle expérience que je n’oublierai jamais. C’est vraiment une très belle personne, un chanteur très intègre, très intelligent, très drôle…"

…qui est, paraît-il, beaucoup moins sombre et franchement plus rigolo que ses chansons peuvent le laisser croire; comme toi, finalement…
"(rires) Eh oui… On ne peut pas être ténébreux tout le temps (rires)."

Alors tu ne connaissais même pas leur musique avant qu’ils t’invitent?
"Non, pas du tout. Mais j’ai écouté tous leurs albums et j’adore ce qu’ils font. Ce sont des gens qui sont en marge depuis très longtemps, qui font leur truc à leur façon et qui se sont quand même trouvé une place, j’admire ça. Et puis ils sont devenus des amis, des gens que je suis très contente de connaître."

Il y a quelque chose de très instinctif et viscéral dans leur musique qui doit rejoindre la tienne en quelque sorte, non?
"Ah oui. Il y a beaucoup de gens qui travaillent séparément en studio maintenant, mais Stuart tenait vraiment à ce qu’on la chante ensemble, et on l’a faite 29 fois! Au début, on était très timides tous les deux, et puis on s’est rendu compte qu’on la chantait mieux quand on se regardait. Alors on a fait la chanson une vingtaine de fois en se regardant dans les yeux du début à la fin. C’était très intense comme expérience, très intime, avec quelqu’un que je venais tout juste de rencontrer; et à la fin de la journée, nous nous connaissions, nous étions devenus amis. Effectivement, nous avions la même façon d’aborder la chanson, à fleur de peau tous les deux, avec beaucoup de volonté d’être complètement présent dans la chanson. J’ai vraiment adoré faire ça."