Pierre Lapointe : Moi et l'autre
Musique

Pierre Lapointe : Moi et l’autre

Au-delà du personnage extravagant que projette PIERRE LAPOINTE sur scène, le nouvel espoir de la chanson québécoise est passé par de multiples tortures intérieures. Il a beau avoir cumulé prix, bourses et nombreuses invitations à se produire en sol français, l’accouchement de son album éponyme résulte d’une espèce de dédoublement intérieur.

Vous le savez peut-être déjà, Pierre Lapointe se présente sur scène en costard, les pieds nus et l’air hautain. Très dada et chiante attitude. Narcissique à souhait, il installe même un miroir sur son piano, histoire d’admirer sa belle petite gueule de fendant alors qu’il pianote. Il s’arrête parfois même en pleine exécution, narguant la foule d’un chantage éhonté. "Dites-moi que vous m’aimez, que je suis le plus beau et le meilleur. Autrement, je vous crache au visage et je quitte cette scène."

Attablé dans un resto rue Sainte-Catherine, hors des feux de la rampe, le jeune homme de 22 ans se comporte tout autrement. Sensible et humain, on sent même chez lui une pointe d’insécurité alors qu’il demande mon avis sur l’album qu’il vient tout juste de lancer chez Audiogram. Le prince de la scène loin derrière, aux antipodes se trouve le vrai Pierre Lapointe. "Pendant le Festival international de la chanson de Granby (qu’il a gagné en 2001), j’étais gelé, je ne parlais à personne, je vomissais et je pleurais en petite boule, me demandant pourquoi je m’étais inscrit. C’était de l’autoflagellation." L’instant d’après, il performait sur les planches, l’air imbu de lui-même. "Je vivais un sentiment d’infériorité grandiose. Je montais sur scène pour combler un immense trou qui me grugeait de l’intérieur. Ce vide me motivait, je devais le remplir en prouvant aux gens mon potentiel et mon intelligence. Lorsque j’ai remporté Granby, j’ai pleuré pendant deux mois. J’étais bouleversé et complètement déchiré. Je voyais ce manque de confiance qui régissait ma vie et ma motivation prendre le bord. Avant, je me disais que si les gens m’aimaient, c’était pour être polis, et s’ils ne m’aimaient pas, c’est qu’ils avaient raison."

Son personnage lui servait alors de bouée. Ancien étudiant en art dramatique, Pierre se livrait avec une arrogance si poussée qu’il allait chercher l’audience par le rire. "C’était pour moi une façon d’éviter la critique. Avec mon air hautain, je pouvais conquérir l’auditeur sans même avoir joué une note."

Geste délibéré, on ne devine absolument pas cette prétention scénique à l’écoute de son premier album éponyme. "Je voulais me laisser cette liberté. À présent, je vis beaucoup mieux la situation. Je conserve le rôle pour son efficacité. Vais-je le laisser tomber d’ici un an? Je n’en sais rien, mais à l’époque, je voulais que le personnage soit si fort qu’il puisse éclipser ma musique au cas où les gens détesteraient mes pièces."

Qu’on se le tienne pour dit, l’inverse s’avère aujourd’hui bien plus probable. Le magnétisme de son premier disque pourrait faire taire n’importe quel détracteur. Une oreille attentive relèvera toujours quelques détails d’une réalisation méticuleuse signée Jean Massicotte (Lhasa), mais Pierre préfère la simplicité au beurrage musical. Sa voix douce et apaisante aux accents français vous chatouille le tympan pour frapper votre cœur de plein fouet. Nourri au classique de la chanson française (Gainsbourg, Birkin, Brel, Barbara, Brigitte Fontaine), sans pour autant renier un esthétisme moderne par ses arrangements et la présentation artistique de l’album, le compositeur s’affirme avec fraîcheur accessible aux puristes plus âgés sans se mettre à dos une jeunesse avide de surprises. Sans ambiguïté comme sur Octogénaire où Pierre raconte l’enlèvement de sa mère par une bande de vieillardes nymphomanes voleuses de banques, le message peut être beaucoup plus abstrait sur des titres comme Pointant le nord, Place des Abbesses ou Tel un seul homme. Chose certaine, le choix des mots alignés dépend plus souvent qu’autrement d’une recherche phonétique qui prend le dessus sur le sens qu’il peut donner.

"Deux morceaux m’ont amené à écrire des textes pour mes compositions: Belle Abandonnée de Brigitte Fontaine et La nuit je mens d’Alain Bashung. Deux pièces extrêmement prenantes, où les textes n’ont pas de signification précise. J’ouvre Reine Émilie par "Mais c’est l’hermaphrodite, celui de l’acolyte". Demande-moi pas ce que ça veut dire, la phrase s’insère parfaitement dans la chanson, voilà tout! Adolescent, je passais ma paye en abonnements de théâtre, de danse et de musées. On me disait souvent: "L’art est une perte de temps, on n’y comprend jamais rien!" Et c’est vrai! Les trois quarts du temps, je n’y comprenais rien moi non plus, mais je pouvais être complètement subjugué par un tableau alors que j’ignorais tout de son créateur, son contexte et sa signification. C’est ce que j’ai cherché à faire sur plusieurs pièces de l’album: fasciner l’auditeur pour qu’il se concentre sur ce qu’il ressent à l’intérieur plutôt que sur le contexte extérieur."

Pierre Lapointe en spectacle du 29 juillet au 1er août au Monument-National lors des FrancoFolies de Montréal

Album éponyme disponible en magasin sur étiquette Audiogram

Quartier de résidence: Centre-Sud

Clin d’œil montréalais: regarder Habitat 67 depuis le Vieux-Port, juste à côté des immenses silos

Disque qui marqua sa vie: Opéra cirque de Diane Dufresne