La Voix humaine selon DJ Christelle : Téléphone rouge
Musique

La Voix humaine selon DJ Christelle : Téléphone rouge

Qu’arrive-t-il lorsqu’une pièce de Jean Cocteau se fraye un chemin jusqu’aux oreilles d’une D.J. montréalaise surtout connue du public pour ses apparitions au Festival International de Jazz de Montréal, aux FrancoFolies, à Montréal en lumière, appréciée pour ses sets du dimanche soir au Laïka? "Bien avant que je sois D.J., cette pièce est venue à moi sous forme d’enregistrements sonores, raconte Christelle Franca, 29 ans, grands yeux pétillants, cils comme des pattes d’araignée, gestuelle d’une ballerine détournée, inondée de lumière dans son loft avec vue sur la ville. J’étais à Nice (où elle a ses racines), j’avais la vieille table tournante de ma grand-mère et je suis tombée sur un vinyle de La Voix humaine. Je trouvais le titre magnifique, il me déconcertait, Simone Signoret jouait le rôle. Cette pièce a continué de venir à moi par le biais d’enregistrements, mes oreilles étaient toujours sollicitées, et la dernière fois que je l’ai tenue entre mes mains, je me suis dit bon O.K., là il faut faire quelque chose."

Écrite en 1930 en réaction à un reproche qu’on lui avait adressé – trop compter sur la mise en scène -, Cocteau avait voulu faire une pièce qui s’effacerait derrière le jeu de l’actrice, servirait de prétexte à celui-ci. Un acte, le désordre d’une chambre, un personnage et le téléphone… au bout duquel un homme quitte celle qu’il n’aime plus. "À travers leur ultime conversation, cette femme traverse sa propre nuit, qui est dure et froide, elle va au bout de sa tristesse et de sa douleur, fait un deuil."

Puisqu’il s’agit d’un long monologue, qui est aussi un dialogue reposant entièrement sur le jeu de la comédienne, à qui l’auteur recommande de ne pas laisser libre cours à ses larmes mais de plutôt donner "l’impression de saigner, de perdre son sang, comme une bête qui boite", la pièce exige beaucoup de son interprète. "Oui, j’ai lu les recommandations de Cocteau, précise DJ Christelle qui a aussi fait des études en dramaturgie à l’UQÀM. Mais j’ai abordé le rôle de façon instinctive. Le texte est venu à moi, il me parle, il fallait que je le fasse. C’est presque un exorcisme personnel."

Contrairement à Cocteau, qui déplorait le côté insensible et blasé des publics fréquentant les théâtres d’avant-garde et avait "donné" la pièce à la Comédie-Française, désireux de la voir jouée devant un auditoire habitué aux classiques, "encore avide de sentiments", Christelle Franca, elle, la présente à la Société des arts technologiques. "En janvier dernier, j’étais à la gare de Nice et un type est arrivé avec une énergie de colère, détaille-t-elle de sa voix souple et veloutée. Il cherchait à joindre quelqu’un à l’aide d’un portable. Quand il a réussi à avoir la communication, je me suis retrouvée exactement dans la position du témoin auditif que je souhaite recréer à la SAT en mettant en scène La Voix humaine dans le noir. Dès qu’il s’est mis à discuter avec son interlocuteur, j’ai senti qu’un drame se jouait. Ensuite il a appelé son père et s’est mis à pleurer… Une demi-heure plus tôt, je lui aurais mis une claque, et là, j’avais envie de le prendre dans mes bras. C’est à ce moment-là, précisément, que j’ai eu un flash pour la mise en scène."

À entendre les 20, 21, 22 et 23 mai, plongé dans le noir total, sur le nouveau système de son multicanaux 8.1 de la SAT, dans une mise en scène de Christelle Franca, David Drury et Frédéric Berthiaume-Gabbino.