Isabelle Boulay : Lumineuse légèreté
Autrefois tourmentée, ISABELLE BOULAY revient d’un congé sabbatique avec un album et une nouvelle maturité dans sa musique, laissant davantage d’espace à la lumière et à l’ouverture chez celle qui chantait la nostalgie. Le saule inconsolable a ainsi fait place à un grand chêne robuste. Dépouillement de l’écorce…
C’est sereinement qu’Isabelle Boulay m’a reçue, dans un salon du CNA, prête à se livrer tout entière le temps d’une courte entrevue. Ses yeux bien ancrés dans les miens, elle répond aux questions en trouvant toujours un moyen d’illustrer sa pensée, la laissant parfois en suspens et citant ici et là des paroles empruntées à des orateurs qu’elle apprécie. Hospitalière et chaleureuse, Isabelle est de ce genre de femmes qui rendent tout de suite leurs interlocuteurs à l’aise. Pas surprenant qu’elle ait encore cette année été choisie meilleure interprète féminine à l’ADISQ, pour une cinquième année consécutive. De retour de sa sabbatique, elle cultive le bonheur du mieux qu’elle peut. Avec Tout un jour, septième album en carrière, Isabelle confirme qu’elle est maintenant une interprète qui a la liberté de choisir ses chansons et ses collaborateurs. "La liberté, ça implique de choisir, mais c’est aussi forcément exclure quelque chose. La liberté nous impose le deuil et c’est extrêmement difficile. C’est donc une plus grande responsabilité vis-à-vis de soi-même et un engagement à assumer ses choix, à les défendre, à les porter jusqu’au bout, à vraiment habiter ce qu’on fait."
La chanteuse de 32 ans dévoile ainsi ses chansons tels des secrets, prête à s’investir dans plus d’intimité. "J’ai l’impression que j’ai moins besoin de me protéger qu’avant. Les auteurs qui m’écrivent des chansons ont cette espèce de faculté de me sonder, d’entendre ce que je ne dis pas." La chanson Celui qui dort avec moi est la seule commande de l’album, les autres chansons ayant été offertes par les Francis Cabrel, Louise Forestier, Daniel Seff, Zachary Richard, Patrick Bruel, Catherine Durand, Roger Tabra et autres. "C’est quand même formidable que quelqu’un comme Étienne Roda-Gil, qui ne me connaît pas, avec qui je n’ai jamais parlé, m’écrive une chanson (Je sais ton nom) sur la tyrannie, sur le pouvoir et toutes ces choses que je voulais évoquer, sans jamais en parler à personne. Je souhaitais des mots durs et violents, mais je voulais aussi beaucoup de sensualité et c’est ce qu’il m’a offert. "Dieu des voleurs, Dieu des menteurs, tu fais croire aux gens des balcons qu’il fait enfin beau pour de bon"."
Isabelle Boulay ne choisit donc pas ses chansons au hasard, elle doit s’y reconnaître, les mots doivent faire écho en elle. "Je sens vraiment que c’est un album charnière et c’est comme si, à partir de maintenant, je voulais que l’alchimie soit présente partout. Donner une direction et un sens à ce que je fais, témoigner d’un esprit."
Telle qu’elle est
L’album représente donc les variantes de l’état d’esprit de l’artiste qui a pu investir plus de temps dans cet opus que dans les précédents. "Pour moi, c’est un autre chapitre d’une même histoire, c’est comme si j’étais passée de la jeune fille à une vie de femme. Ça m’a fait du bien de prendre le large, je trouve que je vais de mieux en mieux, j’ai hâte d’avoir 40, 50, 60 ans… Je trouve beaucoup de bénéfices à avancer dans la vie, en âge, en expérience. Je suis beaucoup moins tourmentée que je l’étais. De 20 à 30 ans, j’ai laissé le navire voguer et ça m’a plutôt réussi. Maintenant, j’ai plus envie de mettre le cap dans une direction, de choisir un horizon." On reconnaît bien, à ses paroles, la jeune fille qui a grandi au bord de la mer à Sainte-Félicité en Gaspésie. Tout le concept de l’album et de la pochette ont d’ailleurs été élaborés selon une thématique des quatre éléments, et les photos ont été prises en Gaspésie. "Je voulais que l’on sente la lumière de la vie dans ces photos, l’horizon, la mer, les falaises, les ronces, tout. Les reliefs aussi, les textures. Que ce soit âpre et beau comme la vie, splendide, mais violent… Je voulais aussi des musiques élémentaires dans cet album, des arrangements qui soient justement à l’image des ça." Ses désirs ont été transcendés par ses deux réalisateurs français, Benjamin Biolay et Pierre Jaconelli, qui ont favorisé les instruments à cordes. Marc Pérusse réalise aussi deux chansons, dont la très réussie Telle que je suis, que Daniel Bélanger a écrite pour Isabelle.
L’interprète s’est également offert un duo avec l’imperturbable Johnny Hallyday. "C’est quelqu’un d’extrêmement animal et d’instinctif; et comme tous les animaux, il est très sauvage. Quand il regarde une personne, il la scanne, il sait exactement ce qu’elle est. C’est un grand seigneur très protectionniste. Chaque fois que je le voyais, il m’apparaissait comme quelqu’un d’immatériel, jusqu’à ce qu’il vienne m’adresser la parole." Lorsqu’elle a lu la chanson Tout au bout de nos peines écrite par Didier Golemanas, qui collabore aussi avec Hallyday, elle a voulu qu’il la fasse avec elle. "C’est comme un frère pour moi. Quand j’ai mis ma main dans la sienne et qu’on a commencé à chanter ensemble, c’était comme si on allait s’amuser, faire des mauvais coups ensemble. C’est une connivence de vraie fraternité, un lien filial, comme si j’avais reconnu un membre de ma famille."
Une autre surprise de l’album est sans nul doute la chanson inédite du regretté Coloc Dédé Fortin, À vous, qu’il avait écrite lors du 50e anniversaire de mariage de ses parents: "Dédé avait le sens du clan en lui, il a formé des familles musicales extraordinaires, c’était un des plus beaux manifestants des questions que se pose notre génération. C’était quelqu’un qui se commettait, qui touchait tout le monde parce qu’il y avait plusieurs degrés de compréhension (dans ses chansons)… Dédé Fortin, pour le monde artistique, c’était comme René Lévesque pour le monde politique", conclut Isabelle, de sa voix de sable.
Tout un jour
Isabelle Boulay
(Sidéral)
En spectacle le 7 décembre
Au Centre national des Arts