FrancoFolies : Amis d’en France
Quelques classiques d’ici et une poignée de copains et copines sélectionnés par un amateur éclairé pour cette 16e édition.
Bashung
Les albums Fantaisie militaire, Le Cantique des cantiques et L’Imprudence ont certainement transfiguré l’art d’Alain Bashung, lequel flotte désormais parmi les légendes les plus impénétrables de la chanson française. Après neuf ans d’abstinence, le public québécois n’attendait presque plus cette visite qui s’annonce comme un événement majeur de la programmation 2004 des Francos. Autre bonne nouvelle: le spectacle présenté chez nous n’est pas une version édulcorée de la tournée européenne, mais comprend tout l’arsenal d’instruments et de lumières qui fut déployé autour du langage inventif et volontairement cryptique du chanteur-récitant. À entendre la captation de sa performance parisienne au Zénith, on imagine difficilement meilleure période pour accueillir Bashung.
La Grande Sophie / Martin Léon
Une sorte d’affinité spontanée s’est développée entre La Grande Sophie et le Québécois Martin Léon au cours des derniers mois. Forte de trois albums sans concession, La Grande Sophie semble avoir trouvé un de ses meilleurs interlocuteurs à travers l’ex-Ann Victor, dont le disque Kiki BBQ l’a immédiatement séduite. C’est pourquoi elle l’a réclamé pour officier en ouverture de sa première présence aux FrancoFolies. Assumant leurs ascendants psychédéliques, les deux larrons se font les chroniqueurs effervescents et impétueux d’une génération houleuse. Une fréquentation qui risque de produire des flammèches tout à fait salutaires.
Kate et Anna McGarrigle
Plus de 24 années se sont écoulées entre le French album et La vache qui pleure, le deuxième disque en langue française des sœurs McGarrigle. Malgré ses nombreuses productions et collaborations du côté anglo-saxon, notamment aux côtés de Nick Cave et de Lou Reed, le duo s’est également fait très rare en spectacle. De Complainte pour Ste-Catherine à des nouveautés comme Rose blanche et Petite annonce amoureuse, les textes de Philippe Tatartcheff marient l’évocation pastorale avec des vibrations plus urbaines, créant des ponts imaginaires entre l’Irlande, le Québec, les Maritimes et Sudbury. On ne souhaite qu’une chose à l’écoute de ces complaintes intemporelles, c’est de voir Kate et Anna McGarrigle poursuivre leur lancée francophone dans les plus brefs délais.
Jeanne Cherhal
Elle nous avait été présentée au Festival de la chanson de Tadoussac, puis lors de Coup de cœur francophone l’an dernier. Jeune recrue de l’étiquette Tôt ou tard (Thomas Fersen, Têtes raides, Dick Annegarn, etc.), Jeanne Cherhal est une savoureuse multi-instrumentiste au verbe légèrement surréaliste et, surtout, adroitement ciselé. Entre le piano et l’accordéon, elle utilise sa formation de chanteuse d’opéra pour faire vivre tout un théâtre miniature, dans un juste mélange de simplicité et d’intellect. Ce sera l’occasion de découvrir le deuxième album de cette voix montante de la musique francophone, digne descendante des Piaf, Juliette et Anne Sylvestre, avec bien sûr une généreuse touche d’incomparable.
Dan Bigras
Il était écrit dans le ciel que Dan Bigras reprendrait la route, ce qui n’est peut-être que le prélude à d’autres avancées discographiques. Pour l’heure, on pourra renouer avec l’intensité scénique de l’homme, qui se présente en incarnation solo au Cabaret Music-Hall durant une semaine complète. Digne héritier du blues-rock québécois des premiers jours, Bigras s’est approprié son espace dans le paysage de la chanson contemporaine, faisant appel aux meilleurs auteurs d’ici tout en passant par chez Brel, Ferré ou Vian. C’est avec joie qu’on le voit reprendre du service après une relative retraite, durant laquelle il s’est consacré au cinéma documentaire tout en servant ses causes sociales privilégiées, le Refuge en tête.
Anne Sylvestre
Avant de s’offrir le reste du Québec en 2005, l’inestimable Anne Sylvestre investira les FrancoFolies pour deux soirs. Artiste à la maturité prolifique, elle offrait récemment la suite du très beau Partage des eaux avec Les Chemins du vent, incluant des titres aussi évocateurs que Berceuse de Bagdad et Langue-de-pute. Engagée à sa manière, la dame consacre sa langue riche et colorée à la peinture de notre condition précaire, dans un registre qui n’appartient qu’à elle. Chacune de ses prestations bouleverse l’auditeur sans retour, dans un grand vent de générosité et de clairvoyance. Un des plus beaux joyaux de la chanson féminine contemporaine, et ça dure depuis 1961 dans un parcours double qui comprend autant de disques pour enfants que pour adultes.
Thomas Fersen
Il serait bien inutile de présenter à nouveau Thomas Fersen, que l’on retrouvera ici avec autant de joie qu’on en a à réécouter son inépuisable Pièce montée des grands jours. Ce disque – peut-être le meilleur cru du chanteur – n’a de cesse de dévoiler de nouveaux parfums, alors que sa transposition scénique confirme la place centrale de Fersen dans la chanson actuelle. De plus en plus à l’aise sur les planches, il est entouré par des musiciens qui instaurent des espaces proprement cinématographiques, à mille lieues de la nostalgie et du cliché. Faisant surgir le grand du petit tel un alchimiste de foire, ce futé gaillard a les mots qu’il faut pour alléger toutes choses.
Plume Latraverse
Jouant tour à tour à l’ours mal léché ou au polisson à gants blancs, Plume Latraverse est loin d’avoir émis ses dernières stances, comme en témoigne son excellent album Chants d’épuration. Littéraire comme jamais, ce vieux routier sait faire la grimace comme pas un, dépeignant les affres du couple aussi bien que les tiraillements de cette petite planète, faisant de la dérision un puissant chemin vers la tendresse. Jaloux de son intimité par les temps qui courent, Plume n’accorderait que cette unique prestation pour l’année 2004, raison de plus pour apprécier sa fraternelle présence.
Pleymo / Ludger
Une soirée imprévisible et fort probablement déjantée peut être déduite de l’addition Pleymo + Ludger (alias Karl Chiasson). Sait-on, le rap métallique des Français pourrait bien se découvrir certaines racines communes avec le fouillis sonore du patenteux de Sept-Îles, lequel ne se gêne pas pour brasser des moûts à base de chanson québécoise autant que de divers affluents du rock underground. Gare!
Pierre Lapointe
Pierre Lapointe propose un des plus grands dépaysements depuis Jean Leloup et Jérôme Minière, avec un premier disque éponyme qu’avaient préfiguré de nombreuses prestations. Dandy frondeur et narcissique, âgé d’à peine 22 ans, il joue la carte de l’assurance pour mieux surmonter nos multiples petitesses. Mais il faut d’abord écouter ses créations, escapades poétiques alimentées autant par Bashung que par Brigitte Fontaine, où le son et le sens tourbillonnent sans autre résolution qu’une nouvelle dynamique de l’oreille. Un personnage audacieux qu’on n’a pas fini de rencontrer, et qui marquera probablement la chanson des 10 prochaines années.