Jonathan Richman : Grand naïf
Après avoir déversé sur l’humanité la peste, l’herpès génital et le nouveau Parti conservateur, Dieu, toujours très en colère que l’humanité se moque des incontinences de son vieux représentant sur terre, créa JONATHAN RICHMAN simplement pour emmerder la profession.
Né le 15 mai 1951, le fléau du journalisme, pourri de charme et de talent par quelques fées rabbiniques penchées sur son berceau, n’attendit que 15 ans, une guitare et le désir de séduire les filles avant de monter sur les planches bredouiller dans une Boston indifférente ses premières chansons naïves et légères. Insatisfait de ces débuts confidentiels mais convaincu de l’irrémédiabilité de son destin, Richman squatta durant 12 mois l’entourage de son groupe fétiche, le Velvet Underground, puis, ayant probablement appris l’art de se quereller avec des partenaires, il fonda en 1973 les désormais mythiques Modern Lovers. S’ensuivirent 25 albums et plus de 200 chansons naïves en 30 ans. Et quel corpus fascinant!
Richman n’aurait pas suivi les conseils de Joselito ni appliqué la recette des beuglantes amoureuses de Roger Tabra. Les bluettes romantiques qui forment la moelle épinière de son œuvre sont légères et aussi réfléchies qu’un coup de dents dans un sorbet aux fruits. Le printemps y semble perpétuel, ponctué d’incidents comiques, d’autodérision et, aussi quétaine que cela puisse paraître, du vivifiant plaisir de s’écouter chanter. Malheureusement, les trois quarts de ces délices folk et pop, enregistrées sur de petites étiquettes dans des conditions délibérément minimalistes, demeurent introuvables, même en s’introduisant par effraction chez l’auteur qui passe sa vie à parcourir les campus et les petites salles d’Amérique. Richman n’a pas conservé ses disques. Il ne les écoute même pas. Pas plus d’ailleurs qu’il n’écoute l’intervieweur.
Car, vous l’ai-je dit, le but de cet exercice étant de parler spectacle et de promouvoir ce nouvel album affichant la délicieuse image en contre-jour d’une fille embrassant son chien, je tiens l’artiste au bout du fil…
Mais peu importe, il ne nous apprendra rien. Car cet instinctif n’est pas foutu d’expliquer ce qui l’habite. La cortex frontal en marmelade, la conscience en panne volontaire, les questions, pourquoi? ou comment? au pire, emmerdent Richman, au mieux, le font rire candidement. Pour ajouter au malheur, Richman, qui a évidemment des amis plein la France, tient mordicus à baragouiner un français très "gentleman 18e siècle".
Ainsi, en 30 minutes, il dira à propos de son inspiration hétéroclite: "C’est… naturel, les chansons viennent comme ça. Elles viennent, c’est tout."
À propos des turpitudes corruptrices de l’industrie: "J’ai une bonne compagnie de disques, c’est tout."
À propos des manières de préserver la spontanéité de ces chansons de geste modernes: "Je ne pense pas à ça."
À propos de son inaltérable image de collégien romantique: "Venez me voir à Montréal, vous verrez si j’ai vieilli…"
À propos de cette stupéfiante capacité d’écrire sur tout ce qui lui passe par la tête, l’homosexualité féminine, l’électricité, Picasso, Abu-Jamal ou les appartements qu’il a habités: "Je ne choisis pas les sujets, ils me viennent…"
À propos de son seul hit international, la chanson qui clôt le générique du film There’s Something About Mary: "Personne ne me la demande en spectacle."
Percevant bien tard mon dernier soupir de désespoir, l’artiste me lance une bouée de sauvetage sur la gueule: "Eh! mon gérant ne vous a pas averti que je n’avais rien à dire sur mes chansons! Je les chante, c’est tout!" On le saura.
S’ensuit une conversation sur les plaisirs du terrassement (il dit "maçonnerie") puisque l’artiste adore fabriquer des barbecues et des patios chez ses amis dès qu’il trouve le temps…
Quoi d’autre? L’âge du capitaine et la migration des pélicans?
Un peu de sérieux…
Et les autres artistes? Le chanteur, hilare, respire: "Ah oui, Vic Chessnut, quel talent! Et Leonard Cohen, j’aimerais tellement lui dire à quel point j’aime son dernier disque… avez-vous son adresse? Oui! Formidable!"
J’entends des cris; Richman explique: "Je t’appelle d’une cabine téléphonique sur un boulevard de New York City. Mon copain qui m’attend dans la bagnole s’impatiente, il faut que je parte. N’oublie pas de m’apporter l’adresse."
Ben oui, compte là-dessus mon pote, compte là-dessus…
Le 17 juin
Au Cabaret Music-Hall
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