Ani DiFranco : Indépendantiste
Musique

Ani DiFranco : Indépendantiste

L’œuvre d’ANI DIFRANCO décape sans cesse le vernis qui recouvre les vieilles idées conformistes, les attitudes réfractaires au changement. Et devant la chanteuse, vous ne pouvez mentir, vous ne pouvez être que vous-même. Au plan musical, le folk, le punk, le soul et le jazz ont influencé sa façon de chanter et de jouer de la guitare, forgeant cette langue originale qui vient vous chercher au fond des tripes. Certes, le double album Revelling/Reckoning s’avère une réussite remarquable. Toutefois, l’entrevue que l’artiste nous a accordée permet de considérer le récent album en solo, Educated Guess, non comme un épisode transitoire, mais comme une œuvre importante, à part entière. Ani DiFranco se raconte au temps présent.

Dans quel contexte particulier en êtes-vous venue à créer Educated Guess?
"J’étais profondément abattue. Je venais de quitter mon chum, je venais de dissoudre mon groupe. Je n’étais jamais seule. La solitude vint à me manquer. J’ai quitté la maison de ma mère à 15 ans. Dans ma jeune vingtaine, je voyageais d’un océan à l’autre, jouant dans les cafés. J’ai écrit Educated Guess pour créer un équilibre avec la rupture. Je l’ai conçu dans un état de solitude, chez moi, au Dust Bowl.

Dans Grand Canyon et dans Animal, vous êtes très critique vis-à-vis de la société américaine. Paradoxalement, comme Sean Penn, Tim Robbins, Susan Sarandon et Johnny Depp, vous dites aimer votre pays mais souffrir de sa brutalité…
"Je pense que c’est devenu important pour les Américains de saisir la différence entre le pays et l’administration gouvernementale. C’est facile pour un Américain d’être plein de honte, de colère, de rage. Mais ces sentiments ne sont pas très positifs. C’est quand je chante Animal sur scène que je m’en rends compte. J’ai écrit Grand Canyon comme en réaction à Animal, comme pour relever les choses."

Croyez-vous qu’un changement soit possible?
"C’est inévitable. Il doit arriver. Il finit toujours par se produire. Je le crois sincèrement. Fondamentalement, un patriote est un artiste ou un activiste. Nous avons été cyniques pendant un bon moment. Nous avons été victimes d’une propagande qui voulait nous amener à ne pas réfléchir, à n’être que des consommateurs, à rompre avec nous-mêmes."

Pourquoi n’y a-t-il pas de mobilisation comme dans les années 60?
"Ce qui est arrivé dans les années 60, c’est que le gouvernement et la CIA nous ont délibérément écrasés. Les assassinats de John F. Kennedy et de Martin Luther King ont eu un effet dévastateur. J’appartiens à une génération qui a perdu ses illusions. Notre héritage fut la perte de l’innocence."

Les chansons d’Educated Guess mettent l’accent sur les rapports hommes-femmes. Bodily semble suggérer qu’il est impossible que l’un ou l’autre conserve sa propre nature…
"Toutes les relations humaines sont un ballet conflictuel. Ce n’est pas évident. Je me suis trouvée à explorer la dynamique du pouvoir autant à petite échelle qu’à grande échelle. Nous sommes les produits d’une famille, d’une société. Cela devient parfois une arène de boxe, une sorte de boîte de Pandore."

The True Song of What It Was semble remettre en question le passé, le pouvoir des anciennes chansons?
"Fondamentalement, c’est une interrogation, sur les plans social, intime et linguistique, sur les mots que j’ai utilisés, tantôt trompeurs, abusifs, froids, tantôt créant une distance. Quand nous cherchons à nous décrire nous-mêmes, nous avons des motivations que nous ne comprenons pas. Ce que nous avons dit n’est pas ce que nous voulions dire."

Vous avez collaboré avec des musiciens aussi divers que Maceo Parker et Arto Lindsay…
"Maceo est un ami très proche. Nous nous visitons l’un l’autre dans nos studios respectifs. Nous avons pris conscience que nous avions une forte parenté, tant sur le plan de l’éthique du travail que sur celui de la performance. La pièce The Interview a été inspirée par lui. J’y discute du lien entre arts et politique. Maceo ne parle pas de politique mais quand il joue, il réussit à nous rendre joyeux. Je suis comme une éponge, j’absorbe un tas de choses. Maceo agit comme un mentor. Pour ce qui est d’Arto Lindsay, je suis une fan depuis longtemps. Il va faire paraître un troisième disque sur Righteous Babe."

Parlant de votre maison de disques (Righteous Babe), à quel point est-il toujours important pour vous de produire vos disques, de ne pas faire de compromis avec l’industrie?
"J’éprouve tout simplement une aversion profonde pour le big business. Je ne peux m’imaginer m’associer avec quelqu’un pour produire. C’est naturel chez moi."

Enfin, quels sont vos projets immédiats?
"Je travaille présentement avec un magnifique auteur-compositeur-interprète, Joe Henry, qui a déjà enregistré un disque avec Ornette Coleman, Scar. J’ai fait une petite tournée avec lui et je l’ai invité à coproduire mon prochain disque. Par ailleurs, je vais mettre sur pied mon nouveau groupe."

Le 3 juillet
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