Bérurier Noir : Macadam tribuns
Musique

Bérurier Noir : Macadam tribuns

Ayant mis un terme à un hiatus de 15 ans, les décapants anars de Béru reprennent du service avec fracas. Pendant que les fans des quatre coins du Québec s’apprêtent à converger (sic!) par bus entiers, les Bérus exigent que toutes les publicités de la grande scène du Festival d’été de Québec où ils se produiront soient masquées. Un premier geste politisé avant d’avoir joué la première note, avant d’avoir donné la première entrevue. Mais 15 ans à l’écart du radar, c’est long. Qu’ont-ils retenu de ces dernières années dans les milieux politiques et sociaux? Contre qui ou quoi leur lutte s’oriente-t-elle désormais? L’ennemi a-t-il changé de  visage?

Depuis 1983, Bérurier Noir a éveillé des milliers de jeunes consciences en dénonçant une pléthore d’injustices déshumanisantes. Puis, près de 15 ans après la séparation de 1989, les destins du troupeau se sont croisés à nouveau: à la suite d’un concert-réunion monstre en décembre dernier à Rennes, la deuxième prestation officielle du groupe ressuscité aura lieu au Festival d’été de Québec, le 11 juillet prochain.

Débarqués en ville deux semaines à l’avance, question de préparer le terrain, François, Loran et Masto (voix et textes, guitare, saxophone) profitent de l’occasion pour discuter de certaines des plaies sociales qui justifient, aux yeux de plusieurs, la présence sur scène de Bérurier Noir en 2004 et celle d’associations et de labels indépendants. Extraits.

Quelles différences voyez-vous entre le climat social et politique de 1989 et celui de 2004?
François: "On a un clin d’œil en début de concert à ce sujet. Effectivement, on est passés d’un monde bipolaire à un monde éclaté. Aujourd’hui, il y a pas mal de cas d’urgence et de problèmes qui ressurgissent, il y a une autre construction qui est en train de se faire avec la Chine et les États-Unis et ça va pas super bien."

Loran: "Au niveau social en France, il y a une régression terrible, il y a eu cette fameuse loi Sarkozy, c’est terrible pour les libertés. (…) Mais selon moi ça va imploser. Ce qui se passe en France, ce sera les fondations d’un mouvement rebelle et alternatif plus grand et fort peut-être que celui des années 80, en tout cas c’est ce que j’espère. (…) Mais il suffit pas de dénoncer, il faut aussi construire."

Masto: "On est un tout petit peu dépassés par la parole aujourd’hui, un peu désabusés par ça."

François: "Dire, c’est bien, mais faire, c’est mieux…"

En 1989, vous chantiez "plus jamais de 20 %"…
Loran: "C’est sûr que pour nous il y avait urgence, comme en 1985 lors des élections européennes. (…) Mais en même temps Porcherie est un morceau qui ne parle pas que du Front national, ça parle de l’oppression à travers le monde, des G.I. américains, de l’élevage en batterie. Tout le monde a focalisé sur le FN, mais c’est vraiment un morceau qui est intemporel dans le sens où il parle vraiment de la porcherie humaine dans le monde."

Et quand vous avez vu Le Pen se rendre au deuxième tour des présidentielles, ça vous a donné envie de gueuler contre lui à nouveau?
François: "Bien sûr."

Loran: "Ça démontre encore une fois que le vote et la politique française sont arrivés à un bout, tout le monde s’est retrouvé à voter…"

François: "Tout le monde s’est retrouvé d’abord à chanter "la jeunesse emmerde le Front national" dans la rue, sans nous, et puis après effectivement il y a eu un jeu politique qui s’est créé, Chirac a eu un vote quasi soviétique, pour reprendre les mots de Le Pen. C’était pour contrer; ce qui s’est passé, c’est un vote de sanction contre la gauche qui n’a pas fait son travail pendant cinq ans et contre le Front national."

Est-ce que la droite n’a pas servi l’extrême droite en tenant un discours axé sur l’insécurité?
François: "Tout le monde s’est nourri de ça. La France est dans un carrefour, c’est la pointe de l’Europe et elle réagit à un contexte international qui est très fort. On le voit pour la guerre en Irak et pour plein de choses, et la réaction du vote FN est protestataire en même temps que c’est un repli identitaire sur la peur de l’inconnu. D’un autre côté, ils stagnent, il n’y a pas de progression flagrante. (…) Je ne suis pas d’accord pour centrer la politique française sur ce phénomène-là. (…) Les gens qui ont cru à ce parti se rendent compte que c’est un échec."

Masto: "Je crois que c’est le reflet d’une réelle misère culturelle qu’il y a en France, et un des gros actionnaires de cette misère, c’est la télévision. C’est la lobotomisation générale de la curiosité et de l’humanité qu’il y a en chacun de nous, et je pense qu’être réellement actif contre tout ça, ce n’est pas se positionner en gauche contre la droite, c’est lutter, ouvrir les esprits à ce que c’est que la vie, à ce que c’est l’odeur, les plaisirs de l’engagement, le fait d’être responsable de son propre quotidien avant tout et éventuellement d’un bout de jardin, d’un terrain, et de la planète en général. C’est comme ça qu’on peut aborder réellement une évolution, pas en se cloisonnant dans un jeu gauche-droite. C’est vraiment important."

Vous sortez un triple DVD-CD qui se vend à prix raisonnable, vous jouerez à Québec dans une zone "dépolluée de toute propagande commerciale", il y aura présence de diverses associations et de tables de presse alternative: est-ce la preuve qu’il y a moyen de faire du rock en flirtant avec les gros circuits tout en résistant?
François et Loran: "Voilà, exactement."

Masto: "C’est super important pour nous de passer à nouveau à l’acte et de présenter des solutions de rechange viables qui permettent d’avancer."

Loran: "Quand on nous interviewe, on nous demande si les textes de Béru sont encore militants, s’ils ont encore cette virulence… Que les gens arrêtent d’entendre ce qu’on dit, mais qu’ils regardent ce qu’on fait! C’est le plus important! Ici, ça paraît clair, on n’a fait aucune concession. (…) Béru, c’est pas juste un groupe, c’est une façon de voir les choses; les Bérus, c’est pas que nous, c’est aussi vous tous, c’est la presse alternative, c’est le RASH, c’est les gens qui se bougent, voilà!"

Les organisateurs du Festival disent que c’est un précédent qui ne se reproduira plus (masquer la publicité sur un site de concert)…
Masto: "J’espère que non, j’ai pas envie de croire ça, moi. Ils ont dit ça peut-être pour se défendre dans un premier temps par rapport à leurs commanditaires, mais c’est une apparence; ils ont gagné en disant oui à ce qu’on demandait, ce sont eux qui ont gagné et j’espère qu’avec le temps ils vont se rendre compte que l’avenir, il est là."

Vous semblez placer beaucoup d’espoir dans le monde associatif, les coopératives?
Masto: "Ils sont sur le terrain, c’est du concret, c’est pas des idées vues d’en haut ou une tentative d’imbiber les gens."

Loran: "Oui, parce que ce sont des gens qui font les choses avec cœur. (…) Je pense que le monde politique va être foutu en l’air, et peut-être qu’il sera remplacé par plein de petites assos et de petites communautés autogérées et libres qui arriveront à se regrouper pour faire une nation ou un pays, on s’en fout, je vois plus les choses comme ça. Le monde politique, tel qu’il est, est dans une impasse; les politiciens ont trop menti aux gens, ils sont trop intéressés, ça ne marche pas. On peut pas leur faire confiance, au contraire des associations qui donnent de leur temps en cette époque de profits."

Le 11 juillet à 17 h, avec Akuma, Ethnopaire, Junior Cony et les Vulgaires Machins
Sur les plaines d’Abraham
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