Wyclef Jean : Créole desperado
Bandit au grand cœur, génial et cabotin, généreux et insaisissable, le plus musical et le plus éclectique des artistes hip hop se jette à l’eau avec un projet fou: le lancement d’une nouvelle bannière créole pour défendre les couleurs du tiers-monde et des langues minoritaires. Et la primeur est au Québec!
La première fois que j’ai rencontré Wyclef Jean, c’était en 96, dans le sud de la France, pendant la tournée des Fugees The Score. Dans les jours – ou plutôt les nuits – qui ont suivi, j’ai eu la chance de le suivre dans les différents studios d’enregistrement où il allait s’éclater après chaque concert pour créer jusqu’à l’aube The Carnival, un album de hip-hop à nul autre pareil, qui allait élargir d’un coup le petit monde de la musique urbaine nord américaine et le ramener des ghettos de New York vers tous les ports de la Caraïbe et de l’Amérique centrale.
Konpa Forever
"L’idée me poursuit depuis longtemps, me dit l’artiste avec son téléphone portable alors qu’il semble naviguer en plein dans un party privé au sous-sol de son domicile. J’ai commencé à travailler sur ce disque il y a au moins quatre ans. Voilà pourquoi sur chacun de mes trois derniers albums, il y avait toujours une chanson en créole qui était, en fait, comme un emprunt à ce projet. En plus, j’aime mélanger les styles musicaux du début à la fin d’un même disque et je voulais mettre cette même énergie dans mon projet créole de manière à ce que les anglophones, les francophones et les hispanophones s’y retrouvent tous d’une certaine manière. Il fallait tout fusionner en un bloc. On a même rajouté une version hip hop de La Bamba sur le disque, et au bout de deux minutes et demie, elle chavire complètement dans le compas !"
Le compas (ou konpa, en créole) est le style dominant de la musique haïtienne depuis déjà un demi siècle. C’est une musique urbaine qui se danse et qui s’est modifiée et mise à jour (grosso modo, chaque décennie) avec des ajouts jazz, rock, soul et rap, tout en restant parfaitement malicieuse et originale. Des groupes comme D.P.Express ou Tabou Combo, que Wyclef cite abondamment, ont aussi créé un mélange incisif, parfois carrément détonnant, dont on retrouve les germes à travers toute cette nouvelle mouture mise à jour (et au goût du jour) par ce créateur aussi prolifique que déluré.
"Cette musique et ses dérivés totalisent plus de trente-deux rythmes différents qui ont souvent été plagiés. Les gens lèvent les sourcils quand ils entendent ça! Le konpa maintenant doit se fondre avec le hip hop et le reggae et non pas se jouer comme les big bands d’antan. Beaucoup d’artistes sont venus de loin mais l’Amérique ne les a pas endossé et ils ont restés marginaux parce qu’ils n’avaient jamais fait de disques pop avant de tenter leur musique à eux."
Jean et son inséparable comparse Jerry "Wonder" Duplessis ravivent l’idée de défendre les musiques du monde et le parti des boat people. La saga de l’immigrant illégal est d’ailleurs largement évoqué dans le nouveau projet à travers mille allusions. Et Wyclef, qui a gardé l’esprit de famille – il faut lui donner ça -, se met en devoir de nommer tous les membres de son clan, de la grand mère jusqu’au dernier petit cousin.
Né à Croix des Bouquets, une bourgade brûlée par le soleil au milieu de nulle part, ce petit brigand devenu rap star a tenu à afficher ses couleurs. Kreyol 101 et le spectacle qui l’accompagne sont aussi le résultat d’une promesse solennelle proclamée à Montréal il y a deux ans. À l’époque, le rapper débarquait au Québec pour la promo de l’album Masquarade, mais ne parlait que de Sak Pasé?, sa nouvelle boîte dont le nom créole est l’équivalent de "Quoi de neuf?"
"J’ai une certaine notoriété, je veux ouvrir une étiquette créole; il faut bien que je me mette sur la ligne de tir pour démontrer à tout le monde que ça peut marcher. J’assume la prise de risque. Mais le plus important c’est de révéler au reste du monde cette formidable mouvance créole qui existe depuis des années et qui évolue avec succès dans des marchés parallèles. Ce disque est aussi le prototype de ce que j’aimerais signer dans cette maison de disques."
Le Québec est dans la place!
Surprise: à part sa sœur Melky et la sémillante Foxy Brown et Passi, le sympathique rapper d’origine congolaise que l’on peut entendre sur le nouveau disque événement, la liste des invités de marque de Clef commence par un groupe d’ici: "Je pense que Muzion est un des groupes les plus hot dans tout le Canada, affirme le chanteur sans équivoque. Moi je vis à New-York et ce n’est pas évident, avec ce qui sort et qui résonne déjà dans Brooklyn ou dans le New Jersey, de se tenir au courant de tout ce qui se fait de bien ailleurs. Mais ils ont ce qu’on appelle le buzz, la vibe, et ça fait un bout de temps que j’attendais le moment de collaborer avec eux. Je voulais que ça soit la bonne chanson, au moment opportun, qui fasse un maximum de bruit."
Le 14 juillet
Au Dôme
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