Sonic Youth : Sonic selon Lee
Depuis la parution de A Thousand Leaves en 1998, SONIC YOUTH produit avec une régularité inhabituelle pour une formation de plus de 20 ans. NYC Ghosts & Flowers, Murray Street et le récent Sonic Nurse se sont succédé à un tel rythme que personne ne peut imaginer à présent la fin du combo. Le secret? L’adaptation aux nombreux changements vécus par le milieu alternatif. LEE RANALDO explique.
Joint à Phoenix pour une entrevue précédant leur passage dans la région de la capitale nationale, Lee Ranaldo confirme que le public de Sonic Youth ne cesse de se renouveler. Et puisque la majorité des spectateurs présents au prochain arrêt de la formation ignoraient encore l’existence du groupe à la sortie de Daydream Nation, le guitariste se penche aujourd’hui sur ce qu’était l’univers Sonic Youth au tournant des années 90 et ce qu’il est devenu aujourd’hui.
"C’est à la fin des années 80 que nous avons pleinement réalisé que notre musique s’écartait considérablement des sentiers explorés par le rock. Nous vivions à New York depuis nos débuts et notre style nous apparaissait bien sûr torturé, mais sans plus. Les voyages en Europe, au Japon et en Australie se sont alors multipliés et les foules subjuguées que nous rencontrions nous ont réellement ouvert les yeux. Complètement sidérés, les gens sortaient de nos concerts en affirmant n’avoir jamais rien vu de la sorte." Un constat flatteur qui aujourd’hui, dans une moindre mesure, reste attaché au groupe. "Les gens considèrent notre travail comme moins radical, mais notre approche reste la même. Il faut dire que le paysage musical a nettement changé. Le public entre fréquemment en contact avec des groupes plus expérimentaux que notre mouture actuelle."
"À l’époque, les jeunes qui fréquentaient nos concerts avaient grandi au son des groupes alternatifs des années 80. L’avènement de MTV a graduellement changé le portrait, rajeunissant notre public", poursuit Lee. Le récent DVD Corporate Ghost, qui inclut tous les vidéoclips produits par Sonic entre 1990 et 2002, confirme d’ailleurs l’importance que le groupe a jadis accordée au réseau, réalisant même un clip pour chaque pièce de l’album Goo (1990). "Le cinéma nous passionne et notre participation à l’éclosion de MTV n’y est pas étrangère, avoue Ranaldo. On souhaitait réellement que le poste privilégie l’esthétisme du court-métrage, on y présentait donc des œuvres innovatrices." On connaît la suite: la chaîne principale de MTV ne diffuse maintenant que des émissions humoristiques à la Jackass et des concepts de télé-réalité comme The Osbournes. Les vidéoclips ont perdu la cote et la rentabilité qui l’accompagnait. "MTV donne dans la stupidité. J’écoute encore ses équivalents lorsque je vais au Canada ou en Europe, car on y diffuse toujours des vidéos, mais je ne l’écoute jamais aux États-Unis. Je crois que l’avenir du clip passe par une approche maison. Il ne suffit que d’une caméra numérique et d’un ordinateur pour réaliser un produit de qualité facilement diffusable sur Internet. Mieux vaut éviter d’y investir des sommes importantes puisque MTV l’ignorera. Il n’y a que l’argent qui lui importe."
Élément récurrent de la conversation, l’argent a fortement empoisonné l’industrie de la musique indépendante, selon Ranaldo. Une situation que de nombreux observateurs ont d’ailleurs imputée à Nirvana et Sonic Youth, qui ont mené la musique alternative sur les chemins pavés d’or des multinationales du disque. "Lorsque Geffen nous a approchés, nous nous considérions comme des agents doubles qui allaient infiltrer un monde redoutable. Avoir présenté Nirvana à Geffen demeure la seule responsabilité que l’on puisse nous attribuer. Autrement, l’argent est absent de l’optique Sonic Youth. Je trouve d’ailleurs surprenant que Universal – propriétaire de Geffen – ne nous ait pas encore montré la porte. Les étiquettes majeures ne conservent pas dans leurs rangs des groupes qui ne leur rapportent pas. Avec Geffen et notre propre label SYR où nous lançons des disques plus expérimentaux, notre position en 2004 nous comble parfaitement. Nous avons un pied dans chacun des deux mondes, ce qui favorise notre compréhension du milieu."
L’explication de Lee quant à la récente déconfiture de la tournée Lollapalooza s’inscrit directement dans ce sens. "Je ne crois pas qu’il faille blâmer l’industrie ou les méchantes maisons de disques. La faute revient aux organisateurs qui ont visé trop haut en créant un événement s’étendant sur deux jours. Prends les meilleurs groupes de la tournée et rebâtis le festival sur une seule journée: je te jure que Lollapalooza roulerait vers le succès. L’an passé, le prix trop élevé du billet avait nui à son rayonnement. On prévoyait cette année un coût d’entrée raisonnable, mais en ajoutant une journée à l’événement, on s’est éloigné de cet objectif primordial."
Lee conclura son analyse ainsi: "Ce qui a le plus changé entre 1990 et 2004, c’est l’unité entre les groupes qui régnait dans le monde alternatif. En 94, les Smashing Pumpkins, les Beastie Boys, Nick Cave et A Tribe Called Quest pouvaient se rassembler pour un même concert et attirer des masses. Aujourd’hui, la scène est fragmentée par des millions de groupes partant dans toutes les directions. L’unité s’est perdue au profit de différents courants qui doivent se partager l’auditoire. Les foules s’en trouvent forcément réduites."
Le 6 août
Au Capital Music Hall
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