Maryse Letarte : Psycho-pop
Musique

Maryse Letarte : Psycho-pop

Si son projet Rita Rita fut vite oublié, son premier album intitulé En dedans continue de hanter ceux qui s’y sont plongés, séduits par cet aveu d’impuissance devant les forces du destin. Aussi, la touchante MARYSE LETARTE poursuit sur la même lancée de simplicité volontaire et d’authenticité avec Le Motif, un second essai qui confirme son statut d’auteure imprudente, laissant parler le cœur plutôt que le style. Entretien.

"T’aimes ça, l’analyse", rigole Maryse Letarte avant de répondre à une première question qui doit lui paraître comme une descente en apnée vers les profondeurs de son inspiration.

Ce que l’auteure-compositrice ne réalise pas, c’est que ses textes autobiographiques auxquels on avait déjà goûté sur son premier essai, En dedans, invitent justement à l’exploration de sa part d’ombre.

Pas qu’ils soient complexes, qu’ils abordent des drames sordides ou évoquent clairement une inclinaison pour l’approche lacanienne. Au contraire. Les chansons de Maryse Letarte sont d’une simplicité touchante et d’une familiarité parfois déconcertante. Il y règne une impression de vérité et d’authenticité dans le lexique qui se retrouve aussi dans le propos: intime, direct, franc, s’appuyant sur un discret mouvement de va-et-vient dans le ton qui oscille entre la gêne et l’impudeur.

Des chansons qui sont autant de miroirs de son âme.

Sur le divan
"J’aurais aimé ça être psy, avoue candidement Maryse Letarte. Je lis un paquet de livres que je ne comprends parfois qu’à moitié et que des psychologues dans la famille me prêtent de temps en temps. Dans Jamais assez [extrait de son nouvel album, Le Motif], quand je parle de revenir en arrière pour guérir un manque d’amour dans le passé, c’est une réflexion qui m’est venue à la lecture de ces livres-là."

Et lorsqu’on lui soumet le cliché éculé qui veut que la plupart des psys aient choisi cette profession afin d’en finir avec leurs propres angoisses, elle éclate de rire et lance: "Ça aurait sûrement été mon cas, mais à la place, j’écris des chansons."

La chose est dite. Maryse Letarte conjure les démons passés, présents et futurs par sa petite voix de tête à la Juliana Hatfield. Voix qui navigue en douceur sur des arrangements d’une subtilité et d’une finesse qu’on rencontre trop rarement.

Mais si la pièce d’ouverture de ce nouvel album, Tour de contrôle, paraît annoncer qu’elle en a fini avec ce qui la démangeait sur le disque précédent, on la retrouve aussitôt dans une posture qu’on lui connaît déjà, deux ou trois chansons plus loin, abordant le mal de vivre d’une époque qui se déroule à vitesse grand V, renouant avec la douleur de la perte de l’autre ou l’insaisissable nature de l’amour.

"Ça se peut, peut-être que j’ai ouvert quelque chose avec mes premières chansons, que j’ai trouvé une voie à suivre. Je ne sais pas, c’est difficile pour moi de voir ça d’aussi près. Mais j’avais l’impression que ce ne serait pas pareil, puisque ces chansons-là ont été composées dans un état d’esprit complètement différent. J’avais l’impression que ma vision n’était plus altérée par le sentiment que j’avais alors que tout était noir. Mais faut croire que t’as raison, j’ai été rattrapée par ça", observe-t-elle, laissant ensuite planer un premier silence dans la conversation.

"En fait, Tour de contrôle, c’est surtout un besoin que j’ai de tout crisser là dans ma tête une fois de temps en temps, reprend-elle. C’est un peu illusoire, ça te donne seulement une impression de contrôle sur ta vie, mais j’ai besoin d’avoir ce sentiment-là des fois. Ça fait du bien."

Dire vrai
La poésie de Maryse Letarte est à l’image de son propre nom. Aucun glamour, pas de paillettes. La vérité vraie. Qu’elle chante ses élans de misanthropie sur L’Isolement, l’univers-machine de Parmi les robots ou le sentiment que la vie lui échappe dans La Combine, elle évite le plus souvent les boursouflures de style, préférant l’authenticité.

La force de ses mots réside donc essentiellement dans leur attachement au réel, dans l’honnêteté avec laquelle ils résonnent lorsqu’elle les chante.

"Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai besoin que les chansons que je fais soient totalement sincères, que je les vive, explique-t-elle. Je ne peux pas faire semblant. Je ne veux pas perdre la sincérité, je veux parler de ces choses-là comme je t’en parle maintenant, et dans la vie, je m’exprime assez simplement. Ces chansons-là, c’est comme si je parlais à un ami."

"Quand j’interprète des chansons qui ne sont pas sincères, enchaîne-t-elle, comme à l’époque de Rita Rita, ça me fout le cafard. Ne pas être moi-même, c’est comme si ça me décevait. J’ai pensé que ce serait intéressant d’être un personnage, mais ça m’a vite déplu."

Ainsi, Maryse Letarte est en quelque sorte condamnée à étaler ses tripes sur disque et sur scène. Ce qui ne manque pas de la réjouir. Car non seulement cette impudeur du cœur la guérit-elle de maux qu’il lui faudrait soigner, mais elle s’y découvre autrement, réalisant d’abord que certains traits de caractère ne sont que parade, puis que ces morceaux d’âme qu’elle éparpille dans ses textes ont l’effet d’un baume sur nos existences disloquées par les exigences du quotidien.

Des constats ou des questions qui paraissent sortir de la bouche d’une psy: "J’en viens à me dire que l’erreur, c’est de penser que je suis timide. Peut-être que je suis seulement compliquée et que je me referme un peu sur moi parfois. Mais c’est vrai que si j’étale tout ça dans mes chansons, que je t’en parle maintenant, je ne dois pas être si gênée que ça. On ne passe pas assez de temps à parler de nos sentiments, on retombe vite dans la dure réalité, puisqu’on a tellement développé notre côté rationnel et productif qu’on oublie les émotions. Au quotidien, entre amis, au boulot, on parle plutôt de sexe."

Le Motif
Maryse Letarte
(Disques Rococo)