Rencontre Eve Egoyan : Haut de gamme
On ne voit pas la Torontoise EVE EGOYAN très souvent au Québec. Un concert à Montréal cette semaine et un autre au Domaine Forget offriront donc une visibilité bien méritée à cette pianiste exceptionnelle. Discussion.
Eve Egoyan faisait paraître il y a quelques mois son troisième enregistrement, The Art of Touching the Keyboard, un titre qui peut paraître prétentieux tant qu’on n’a pas écouté le disque. L’art d’Egoyan ne tient pas dans une virtuosité faite d’éclats techniques ou de traits vertigineux, mais dans une subtilité de tous les instants et une étonnante capacité à rendre facile l’écoute de cette musique contemporaine que tant d’auditeurs jugent rébarbative.
En conversation téléphonique, je lui fais remarquer qu’il est surprenant que ce disque, distribué par S.R.I., paraisse sous sa propre étiquette, de façon indépendante; les grandes compagnies de disques n’étaient-elles pas intéressées par un enregistrement de cette pianiste à la réputation grandissante? "Oh, bien sûr, répond-elle, elles étaient intéressées par la pianiste, mais pas par la musique! Il y a malheureusement une différence entre ma réputation et la new music que j’interprète qui pose un gros problème aux compagnies de disques… En fait, n’importe quelle musique contemporaine est bien loin dans la liste de leurs priorités… J’ai donc pensé que cette musique serait mieux servie si je m’occupais moi-même de la mettre sur disque."
Pour un interprète, quel qu’il soit, faire le choix de se consacrer à la musique contemporaine comporte des risques. Pourquoi Eve Egoyan a-t-elle choisi cette musique si peu populaire? "Par curiosité… et par ennui! J’étais vraiment fatiguée du répertoire habituel et, au contraire, la musique de mon époque et les choses que je n’ai jamais entendues m’attirent. Elles me permettent souvent d’explorer le piano comme je ne l’ai jamais fait auparavant. Présenter de nouvelles musiques au public est difficile, mais quand la communication s’établit, c’est aussi très gratifiant. En fait, même lorsqu’il y a un problème de communication, il est intéressant de se demander pourquoi!"
Pour son plus récent disque, la pianiste a choisi un éventail de compositeurs (trois hommes et trois femmes) aux langages assez différents pour offrir un bon échantillon des musiques d’aujourd’hui; des œuvres que son toucher lumineux rendra agréables aux oreilles les moins habituées. "Oh, vous savez, j’ai quand même choisi des œuvres dont je savais qu’elles ont un certain potentiel pour établir une bonne communication avec l’auditeur. Même la pièce Trail, de Stephen Parkinson, qui pourrait être la plus "difficile" est généralement très bien accueillie par le public. À vrai dire, mon prochain disque sera probablement plus "difficile", avec des œuvres de Michael Finnissy, Jo Kondo, Martin Arnold et James Tenney."
On trouve sur son plus récent disque une œuvre du compositeur montréalais José Evangelista, Nuevas monodias españolas, une commande de la pianiste où le compositeur explore, avec son sens très sûr de la mélodie, 21 airs traditionnels espagnols. On pourra l’entendre lors des deux concerts qu’Eve Egoyan donnera au Québec dans les jours qui viennent. À la cathédrale Christ Church, ce samedi, 17 h, on entendra aussi une longue pièce d’une cinquantaine de minutes de Maria de Alvear, Asking; "J’aime les pièces qui ont une durée importante et j’aimerais bien que les compositeurs en fassent davantage, parce que ça induit un autre type d’écoute, ça permet d’entrer bien mieux dans leur univers. J’espère que le contraste ne sera pas trop important lors du concert entre le recueil de miniatures d’Evangelista et cette longue pièce". Notons que la pianiste a enregistré la musique de Maria de Alvear; c’est le troisième disque sur sa liste d’enregistrements à paraître.
Au Domaine Forget, le programme comptera aussi un autre extrait de son plus récent disque Crystalline, de Karen Tanaka, en ouverture ("C’est une pièce qui débute bien une soirée, un petit hors-d’œuvre!") et une pièce qu’elle a commandée à James Tenney, To Weave (a meditation), une musique "à processus" qui imite le mouvement des vagues, qui n’est pas toujours calme, malgré ce que peut suggérer le titre.
La pianiste tâte aussi de l’installation sonore et de l’improvisation depuis quelques années. "Je suis très attirée par l’exploration et ça me permet de me rapprocher de l’idée de la composition, une tâche à laquelle je compte me mettre dès cet automne pour composer une pièce de concert pour le piano." Eve Egoyan sera de retour à Montréal en février pour un concert au cours duquel elle interprétera aussi des œuvres d’Érik Satie (son deuxième disque, Hidden Corners, lui est entièrement consacré).
Le 28 août, 17 h
À la cathédrale Christ Church
Le 1er septembre, 20 h 30
Aux Rencontres de Musique Nouvelle du Domaine Forget
À noter
Le concert d’œuvres canadiennes pour le clavecin de Rachel Taylor, aussi présenté dans le cadre du festival Jusqu’aux oreilles, le vendredi 27, est à 19 h, contrairement à ce qui avait été annoncé.