Les Amazones : Totems tabous
"C’est formidable! C’est formidable!" s’exclame Mamadou Condé qui me parle avec une véritable fébrilité de ces amazones guinéennes qu’il dirige depuis bientôt deux ans et qui commencent à peine à se promener d’un continent à l’autre. Et je le crois sur parole. Parce que ces guerrières du rythme que j’ai vu se déchaîner sur mon petit écran "Real Payer" sont vraiment hallucinantes. Si ce n’était que de la grâce qui anime leurs mouvements ou l’intensité des rafales virtuoses qu’elles déclenchent sans répit sur les tambours qu’elles portent en bandoulière, mais c’est l’expression de leur visage, littéralement transformé et ruisselant de sueur qui me renverse. Un truc sauvage et fascinant entre la crise de possession mystique et l’énergie bien réelle qui conjure le désespoir.
Il faut dire que les filles ont été recrutées dans les ghettos de Conakry, chez leur mère monoparentale en grande difficulté. Orphelines ou droguées, sans emploi, il leur restait néanmoins la force de briser l’ultime tabou. Celui qui veut que l’instrument national, inventé par l’ethnie malenke il y a bien plus d’un millénaire, reste l’apanage des hommes dans la société, tel un véritable symbole de virilité. "La Guinée, c’est 85 % de musulmans, poursuit au téléphone mon interlocuteur avisé. Non seulement la tradition ancestrale n’accepte pas certaines choses, mais la religion musulmane ne le permet pas non plus. La religion vient souvent appuyer la tradition et condamne les femmes à ne même jamais toucher ces objets. Les Amazones elles vont de l’avant. Cette entreprise les amène à faire quelque chose pour elles-mêmes. À se produire, à gagner leur vie, à aller partager leur message avec les femmes à travers le monde. Pouvoir faire sortir les femmes guinéennes de cette prison, c’est extraordinaire!"
Danseur précoce dans son village de Siguiri, Condé a quitté la Guinée pour la Côte d’Ivoire, puis pour l’Europe et les États-Unis. Comme une espèce de tête chercheuse, il espionne les structures de l’industrie culturelle en Occident afin de mieux faire la promotion des talents de son pays. Ayant remarqué que les femmes en Amérique, en Allemagne et au Japon jouaient librement du djembé, il rentre à la maison pour proposer… et se heurter à un mur de protestation. Scandalisés par son projet hérétique, ses compatriotes lui rappellent vertement les vertus et les fonctions sociales et mystiques de l’instrument rassembleur qui, comme le balafon magique du roi Kante, est chose sacrée. Après un premier échec en 2000, son ultime tentative est sauvée in extremis par le directeur national de la Culture, Dr Saidou Dioubaté, qui écrit la trame du spectacle et l’aide enfin à organiser son projet.
Entraînées par les sept meilleurs percussionnistes de Guinée dont Condé gérait déjà la carrière avec les Grands Ballets nationaux, avec le support des ministères de la Culture de Guinée et de France, certaines recrues vont préférer abandonner, craignant l’intolérance et l’humiliation. D’autres vont tout braver et mériter le nom d’Amazones, la rédemption et la dignité à la sueur de leur front et à la force leurs paumes.
Les 24 et 25 septembre à 20 h
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des arts