Corneille : Oiseau rare
L’histoire de Corneille ferait l’objet d’un film qu’on ne s’en étonnerait pas. Rescapé du génocide rwandais, devenu star de la chanson française, le chanteur a suivi un parcours qui frappe l’imaginaire.
Plus que n’importe quel autre artiste, Corneille semble condamné à ressasser son passé dans les entrevues qu’il accorde aux médias. Et cette journée-là, le chanteur alignait les interviews, lui qui était de passage pour un court séjour au Québec entre deux allées et venues en France. "C’est particulier d’avoir à parler de soi autant, constate-t-il. C’est comme si on était en constante psychanalyse. Mais ça se passe généralement bien. Les journalistes sont assez respectueux."
Attablé devant une assiette de poulet au cari, Corneille évoque donc, une fois de plus, son parcours. Celui d’un adolescent qui a vu sa famille se faire assassiner au Rwanda, qui est allé se réfugier en Allemagne et qui a abouti, à 20 ans, à Montréal, une ville où il s’est tout de suite senti chez lui. Celui aussi d’un jeune homme qui a toujours voulu devenir chanteur, et qui, à 24 ans, a lancé un premier album. Celui enfin de ce chanteur devenu star en France. Tellement qu’il ne peut plus sortir là-bas sans garde du corps.
L’artiste a vendu plus de 700 000 albums dans la francophonie. Si on inclut les singles, le chiffre s’élève à plus d’un million. On a déjà vu pire pour un album qui, au départ, avait été produit de façon indépendante.
Pourtant, le jeune homme de 27 ans n’est pas du genre à se laisser impressionner par les chiffres. "Qu’un album vende 600 000 exemplaires ou 50 000, ça n’en fait pas un meilleur album, observe-t-il. Les chiffres, ça ne veut pas dire grand-chose. Il faut le voir comme un salaire, tout simplement. Quand on fait un travail qu’on aime, ce n’est pas à la paie qu’on évalue son bonheur. Il faut qu’on soit content de ce qu’on fait. En musique, c’est la même chose. Tant qu’on peut en vivre…"
Et en vivre, ça a toujours été son rêve. Au Rwanda, Corneille faisait partie d’un band avec trois de ses copains d’école. Arrivé à Montréal, il forme un autre groupe, O.N.E., qui se produit régulièrement dans les bars de la métropole. Vient ensuite le projet solo, Parce qu’on vient de loin; un album où il se raconte comme un livre ouvert.
Car lorsqu’il a écrit "J’ai vu des enfants fuir sans savoir où aller/Courir avant même de savoir marcher/Venir au monde et déjà orphelins", c’était pour exorciser la douleur vécue et non pas pour conscientiser le public à ce qui s’était passé au Rwanda. "Quand j’ai fait cet album, c’était ma thérapie à moi. Cet aspect presque ésotérique – ou la thérapie que les autres peuvent y trouver -, c’était pas pensé au départ. Le seul message que je pensais faire passer, c’est celui de m’affirmer en tant qu’individu et de raconter mon histoire. La mission, je l’ai sentie après coup. La réaction des gens m’a responsabilisé."
OPUS 2
Plus de deux ans après la sortie de Parce qu’on vient de loin, le chanteur écrit et compose présentement son deuxième album. L’enregistrement est prévu pour le début 2005. Et comment il sera, cet album? "Ça sera toujours moi, avec deux ans en plus. Ce sera un peu plus mature musicalement."
Cette fois-ci, pas de batterie programmée; que des vrais musiciens. Et semble-t-il qu’on pourra moins lui accoler l’étiquette R’n’B. Corneille souhaite métisser ses diverses influences musicales, lui qui a grandi en écoutant de la pop british, de la musique américaine et des grands de la chanson française. "Quantitativement, il y aura probablement moins de chansons qui parleront de moi, poursuit le chanteur. Mon état d’esprit est différent aujourd’hui."
Depuis que sa famille a été victime du génocide, Corneille n’est pas retourné en Afrique, mais il prévoit une tournée là-bas pour l’an prochain. Même si son album n’a pas été distribué sur le continent noir, le chanteur y est relativement connu. "Il n’y a pas beaucoup d’artistes africains qui réussissent en Occident. Donc, dès qu’il y en a un, c’est apprécié", fait-il remarquer.
BÊTE DE SCÈNE
Chanter sur son continent d’origine représentera sans doute une étape marquante dans le parcours de Corneille. Car pour lui, tout passe par la scène. "C’est là que la musique vit vraiment. Tant que la musique n’a pas été entendue, appréciée et vécue par d’autres personnes que celui qui l’a créée, elle n’a pas vraiment de valeur, elle ne vit pas encore. C’est sur la scène que tout ça se fait. […] Les gens qui se déplacent pour venir te voir, ce sont ceux qui viendront encore quand tu vendras moins de disques."
Pour sa première tournée québécoise, il n’a donc pas lésiné sur les effectifs: une douzaine de musiciens l’accompagnent, dont trois choristes. "J’aime la voix. Y’a beaucoup de voix sur mon album et j’aimerais pas que le spectacle en souffre par rapport à l’album", explique-t-il.
Mais qu’il chante à Paris devant des milliers de fans en délire ou au Québec devant des centaines de spectateurs, Corneille ne fait pas de distinction. "Dans un concert devant 7000 personnes ou 500, ce qu’on donne ou ce qu’on reçoit reste pareil." Le chanteur se dit d’ailleurs très détaché de son succès et de son personnage public. "C’est comme si c’était quelqu’un d’autre, lance-t-il. J’ai beaucoup de recul par rapport à ce succès-là. Ce que je vis concrètement, c’est la scène. C’est les moments que je passe avant et après la scène, quand je rencontre le public."
ET LA SUITE?
Après avoir percé le marché français d’aussi jolie façon, Corneille dit ne pas avoir d’objectifs pour la suite des choses. "J’avais un plan avant, mais je n’en ai plus. Le seul plan de carrière que j’ai, c’est de continuer à écrire des chansons et à faire de la scène. Mais ce n’est pas vraiment un plan, car c’est ce qu’il me faut pour vivre."
D’autres semblent pourtant en avoir pour lui. En appelant la relationniste pour vérifier les chiffres de vente, on apprend que la sortie du prochain album est prévue pour l’automne 2005 et qu’un album en anglais pourrait sortir d’ici deux ans. Sans parler du DVD prévu pour cet automne. Autant d’étapes qui jalonnent la route du succès…
Quand on lui demande s’il considère lui-même sa destinée comme exceptionnelle, Corneille offre une réponse empreinte de sagesse. "Dans mes moments de grande lucidité, de grand réalisme, je me dis que ça va peut-être s’arrêter demain."
En fait, on aurait pu lire la réponse dans les paroles de la chanson-titre de son album: "Alors on vit chaque jour comme le dernier/Parce qu’on vient de loin".
Le 3 octobre, 20h
À la salle Odyssée de la Maison de la culture
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