Kelly Joe Phelps : Le blues au corps
Musique

Kelly Joe Phelps : Le blues au corps

Kelly Joe Phelps s’en vient nous remplir l’âme avec son blues opaque et réconfortant qui annule les nôtres. Entretien avec ce virtuose de la guitare slide et professionnel du slingshot.

Une voix feutrée, un grain mat où filtre la lumière par de rares lézardes, une voix de barbe bleuissante, une lenteur dans le phrasé et une économie de mots: Kelly Joe Phelps parle comme il chante. Bien entouré sur son dernier album paru l’an dernier – le très joliment nommé Slingshot Professionals – le chanteur et guitariste virtuose parle de cette collaboration avec huit musiciens d’exception, dont Bill Frisell et le duo canadien Zubot et Dawson: "Ce fut fantastique, on a eu du bon temps. Nous nous sommes assis et avons laissé les choses arriver d’elles-mêmes. Nous avons tout enregistré live en une ou deux prises. Ces musiciens sont des improvisateurs étonnants, très rapidement nous avons senti que quelque chose passait. C’était si facile… La chance que j’ai eue de pouvoir collaborer avec eux!" Puisque leur jeu vibrant est un dialogue, on imagine Phelps et sa bande silencieux et concentrés, alertes.

Jusqu’ici acclimaté aux projets solos, le bluesman avisé de 45 ans originaire de Portland en Oregon a fini par sentir l’appel du clan: "Ça avait à voir avec les chansons elles-mêmes. Elles réclamaient une lumière que je ne pouvais leur donner seul. Être ainsi entouré sur mon cinquième album m’a permis de les éclairer autrement, de donner du relief aux personnages et aux histoires."

Fils de parents musiciens qui cumulaient les disques de vieux country et de western, très tôt nourri de blues et fasciné par les grands musiciens jazz qu’il pointe parmi ses influences majeures, Phelps s’anime à la mention de Miles Davis: "C’est un maître de la mélodie et de l’économie. Il m’a appris la mesure en musique, à ne jouer que ce qui est nécessaire. Même ses effusions ont une raison d’être, rien n’est gratuit, tout est justifié."

BLEUISSEMENT

Depuis ses débuts en 1995 avec Lead on Me, cet habitué du FIJM distille un apaisant blues acoustique en étendant les ramifications du genre bien au-delà des territoires apprivoisés, franchissant ce qui pouvait ressembler à une frontière. Libéré des limites qui n’en étaient pas, le guitariste intuitif et inspiré marie au blues une voix qui est une présence et qui puise aux racines du folk américain. "En ce qui a trait aux paroles, mes modèles se trouvent bien plus chez les écrivains que du côté des songwriters: le poète Dylan Thomas, le nouvelliste américain Raymond Carver, par exemple. En ce moment, je traîne Skinny Legs de Tom Robbins dans mes valises."

Contrairement à Jack Kerouac, Phelps n’écrit pas sur la route. "En tournée, je me contente d’absorber. Je dois disposer de beaucoup de temps devant moi pour me lancer dans l’écriture. Les personnages de mes chansons sont souvent des gens sur lesquels j’ai beaucoup écrit et dont mes textes ne révèlent qu’une petite portion, à laquelle j’ajoute une trame, comme si j’avais tourné un court métrage."

Sur la pochette de Slingshot Professionals, Kelly Joe Phelps – qui compte parmi ses fans The Edge de U2 – apparaît dans un champ, devant un ciel indigo dégradé, avec une tuque sur le crâne et dans une pose qui nous fait se l’imaginer gamin, si bien qu’on sait le slingshot égaré quelque part dans le gazon. "Une des plus belles choses dans cette longue fréquentation de la musique, c’est que je continue d’apprendre. Quand je pars en tournée, vers la fin, je m’aperçois que je ne joue plus les chansons comme au commencement. Mes doigts trouvent d’autres endroits où se poser, je chante différemment. Tout ça vient avec le fait de cohabiter longuement avec elles. Mais mon plus grand étonnement me vient de pouvoir gagner ma vie et mener une carrière en poursuivant ce que j’aimais quand j’étais enfant. Ça me surprendra toujours."

Le 17 octobre
Au Spectrum
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