Nathalie Lessard : Greffe de mots
Musique

Nathalie Lessard : Greffe de mots

Nathalie Lessard maîtrise l’art délicat qui consiste à tirer les vers des livres pour leur donner voix. Entretien avec une interprète allumée qui lit la poésie comme on parcourt une partition.

On connaît les mises en musique des textes de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire par Léo Ferré. Plus près de nous, Villeray lançait un très joli disque il y a un peu plus de cinq ans, à partir d’impressions laissées par les poèmes de Saint-Denys Garneau. Chloé Sainte-Marie excelle dans cet art difficile et délicat qui consiste à éclairer la musicalité première d’un poème puissant, à le célébrer en le faisant entendre autrement, en mariant sa voix à celle du poète, de même que Nathalie Lessard et ses Têtes de contre, qui lancent ces jours-ci Pièces d’identité, bouquet de textes pigés chez nos plus grandes plumes, les Pierre Perrault, Réjean Ducharme, Paul-Émile Borduas, Claude Gauvreau, Roland Giguère et autres Hubert Aquin logeant au panthéon des lettres québécoises.

"C’est étonnant qu’on ne réserve pas plus de place que ça à nos grands écrivains, avance la sémillante interprète-musicienne. Il y en a qui sont surpris de me voir arriver avec un tel projet. Pourquoi? C’est bien plus surprenant de voir à quel point on se contente de textes creux qui mériteraient d’être retravaillés, de textes très digestes, certainement pas écrits au profit d’une réflexion de société, de succès gomme balloune qui ne portent pas de grande parole. Je n’ai rien contre la culture de masse, tout le monde a son idée du beau, mais dans mon exercice, ce que je dis, c’est qu’il y a ces grands auteurs qui existent. Leurs écrits sont contemporains, voire prophétiques, et je veux les saluer, reprendre le flambeau de leurs mots et dire, à ma façon, "je me souviens"."

FEMME DE LETTRES

Mine de rien, Nathalie Lessard en est déjà à son second album. Le premier, paru en 1998, est un hommage articulé autour de L’Homme rapaillé, du poète Gaston Miron, qui avait récolté un beau succès d’estime. Entourée de musiciens d’expérience dont François Thibault, Ivy et compagnie, Lessard a des lettres et connaît ses classiques. On se surprend de l’aisance avec laquelle elle se met en bouche les mots d’Hubert Aquin, de son interprétation déclamée et quasi théâtrale de L’Avalée des avalés de Réjean Ducharme, on aime sa façon d’actualiser Félix Leclerc en fusionnant sonorités traditionnelles et bidouillages électro. "Le travail d’adaptation est important et, dans certains cas, ardu. Mais à force de répéter le texte, sa musicalité apparaît d’elle-même. On a 30 ans, on a investi ces paroles avec notre fougue et notre vision, un autre aurait pu y entendre autre chose et c’est là la beauté de l’affaire."

À l’écoute de Pièces d’identité, ce qui surprend aussi, c’est à quel point les textes jasent entre eux et semblent se faire écho les uns les autres. On touche ici à un point sensible et fondateur de la culture québécoise: la constitution d’une identité et la quête d’un reflet. "Ça va bien au-delà des questions d’identité nationale, précise l’ancienne étudiante en littérature qui habite Québec. Ces textes parlent de l’identité humaine et amoureuse, Roland Giguère et Leonard Cohen abordent la problématique des classes sociales, tandis que Claude Gauvreau et Hubert Aquin reviennent sur la langue…"

"À investir ces textes comme je le fais, on finit par les prendre personnel, par les ressentir différemment à la lumière d’où on en est rendu dans la vie. Ducharme écrit "le visage de ma mère" et quand je chante ces mots-là, ils résonnent très fort en moi. Sans compter toutes ces nuances que les gens me pointent lorsque je fais des spectacles et que je n’avais encore jamais perçues. La poésie appartient à tout le monde et je trouve important de lui réserver un espace sur la place publique."

Le 28 octobre
Au Lion d’Or