Victoria : La dernière danse
Musique

Victoria : La dernière danse

Dulcinée Langfelder met plusieurs années à créer ses pièces, elle les peaufine brillamment jusqu’à entière homogénéité et les porte ensuite longuement, les partageant sur scène, pour notre plus grand plaisir…

"Je crée très lentement, je prends trois ou quatre ans pour compléter une pièce, alors il faut bien la jouer proportionnellement! Aussi, quand je travaille une œuvre sur une longue durée, elle prend vraiment de la maturité, elle devient plus vivante, plus vraie. J’aime que le résultat final ait non seulement une diversité formelle mais aussi une multiplicité du message", note Dulcinée Langfelder, metteure en scène et interprète de la pièce multidisciplinaire Victoria.

Bien qu’elle traîne ce personnage depuis cinq printemps, rien ne sera plus pareil pour l’interprète qui donnera trois représentations au Centre national des Arts. En septembre dernier, son grand ami et l’auteur de l’œuvre, Charles Fariala, atteint de paralysie cérébrale, a écrit le dernier chapitre de sa vie en mettant fin à ses jours, assisté de sa mère. "Ça va être très émouvant et intense pour moi de refaire la pièce. Je suis heureuse tout de même que son œuvre lui survive", affirme de sa voix douce l’artiste d’origine new-yorkaise.

Travaillant auprès des personnes âgées, c’est Fariala qui avait eu l’idée originale de Victoria, alors qu’il avait invité Dulcinée Langfelder à rencontrer Victor, un homme en perte d’autonomie qu’il trouvait fascinant et d’une dignité incroyable. De là est né le personnage de Victoria, une femme de 90 ans qui ne se rappelle plus de rien, sinon de choses inventées. Mme Langfelder en a ensuite fait une œuvre fouillée qui allie le théâtre, la danse, le chant, le mime et la vidéo. L’univers de la pièce est celui d’un hôpital, meublé d’un fauteuil roulant. Recevant parfois la visite d’un infirmier, la vieille dame, qui n’a plus toute sa tête, n’a rien perdu de son imagination débordante.

PETITS PAS

Pour comprendre le geste sinistre de son ami, Dulcinée Langfleder dit avoir trouvé des indices dans son œuvre: "Toute cette histoire me lance au cœur d’un sujet auquel je ne pensais plus: la fin de la vie sous tous ses aspects… Chaque personne meurt d’une façon individuelle, la mort n’est pas commune à tous. Le fait qu’il ait étudié soigneusement comment il voulait mourir me fait penser que pour lui, c’était une mort dans la dignité."

L’équipe de production et les créateurs de la pièce ont été projetés, bien malgré eux, dans la controverse, puisque le geste de Charles Fariala a relancé un débat social important. "Des gens connaissant Victoria sont venus me voir par rapport à la mort de Charles en me demandant comment une personne ayant conçu une pièce aussi optimiste sur la mort pouvait mettre fin à ses jours… Au début, je pensais aussi que c’était une terrible ironie, mais quand j’ai repensé à Victoria, puis après avoir parlé à sa mère, je me suis rendu compte que Charles avait vraiment choisi sa mort."

Elle ajoute: "Je ne pense pas que Charles avait le souci d’ouvrir un débat public, sa décision n’était pas politique mais très personnelle. Sa mère non plus n’en était probablement pas consciente, mais moi, avec la distance par rapport à la situation, je le vois comme un geste politique. C’est comme ça que la société évolue, on vit des histoires personnelles et petit à petit, ça change la perception des gens… Bien qu’il ait été lancé malgré eux, le débat n’est pas en contradiction avec Victoria, puisque c’est une pièce qui nous fait penser à la mort. Quand j’ai vécu celle de mon père, je me suis rendu compte que j’étais mal préparée et je me suis dit que si dans notre culture, on avait plus de préparation à la mort, on verrait que ce n’est pas forcément une chose terrorisante… La mort, ça fait partie de la vie."

Malgré tout, Dulcinée Langfelder se dit prête à rejouer cette pièce d’une exquise sensibilité, qu’elle présentera ensuite aux États-Unis, au Chili, en France et au Japon: "Mon but était de dépeindre un personnage de façon réelle, c’est-à-dire que ma vieille dame soit convaincante, mais en même temps, je voulais lui donner une grande liberté d’expression, donc je ne voulais pas qu’elle soit réaliste. Je me suis donc dit que ce que je voulais montrer n’était pas la dame, son âge ou son comportement psychologique, mais plutôt son âme. Beaucoup de personnes âgées, avec lesquelles je passais du temps, se mettaient parfois à danser… elles ne dansaient pas physiquement, mais dans leur âme. Je me suis alors dit que mon boulot serait de mettre en chair et en os l’âme de Victoria", conclut-elle.

Le 29 octobre (en français)
Les 28 et 30 octobre (en anglais)
Au Théâtre du CNA
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