Loco Locass : Gens du pays
Musique

Loco Locass : Gens du pays

Loco Locass revient à la charge quelque quatre ans après le rugissant Manifestif. Rencontre avec trois fous jasants.

"Un pays sans enfants, sans nouveau sang, c’est sans bon sens / On fait pu de flots mais y nous en faut pour tenir le rafiot à flot / D’autant que les p’tits gars qu’on a / Trippent sur le trépas à ce point-là / Qui se sonnent eux-mêmes le glas pour l’au-delà / Pis ça c’est pas du bla-bla / Tu me trouves acide le kid? / J’essaie juste d’être lucide / Parce que spermicide ou suicide / Dans les deux cas, pour nous c’est l’autogénocide / Fa’que décide ou décède."

La même verve, la même densité d’idées coulées dans une rapoésie éloquente et rythmée qui fit aimer le rap à un public surpris de s’y laisser prendre il y a déjà quatre ans de cela, la même langue alerte, riche de sons et de sens, des chansons toujours aussi écrites mais plus construites et ouvertes sur le monde: Amour oral, deuxième opus de Loco Locass, est un excellent cru.

Ouvrant l’album avec une pièce-manifeste (Résistance) qui pointe à peu près tout ce qui cloche dans le Québec moderne (faible taux de natalité, haut taux de suicide, mollesse, absence de débats, apathie généralisée), Loco Locass annonce dès le départ qu’il n’a rien perdu de sa volubilité: "C’est tellement plus facile de te préoccuper du pH de ta piscine que du taux de suicide au Québec, s’enflamme Biz. Y a rien de plus dur à déplacer que quelqu’un qui veut pas bouger. J’aime mieux combattre quelque chose en mouvement, les idées de droite par exemple, c’est plus stimulant que de se battre contre l’apathie du genre "dérange-moi pas, j’écoute Occupation double"."

LANGAGEMENT

Malgré toutes les luttes à mener, les idées à défendre, les injustices à surligner et les aberrations à dénoncer, Loco Locass a quelques raisons de se réjouir, à commencer par le fait qu’on assiste depuis quelque temps à une réelle prise de parole qui prend des airs d’engagement à une vaste échelle: "Quand on a lancé notre premier album, tout le monde disait: "Pourquoi personne fait de la chanson engagée?" Quatre ans plus tard, la question, c’est: "Pourquoi tant de gens font de la chanson engagée?"" s’étonne Chafiik. "Ça fait en sorte qu’aujourd’hui, quand il y a un show-bénéfice pour les autistes, les bélugas ou les nains unijambistes du Nunavut et qu’on nous appelle, si on ne peut pas y aller, on a des noms à suggérer", renchérit Biz.

"Après le référendum de 1980, y a eu un down, les baby-boomers se sont "effouérés" pis ça a donné du The Box en anglais, une espèce de vacuum culturel, ajoute-t-il. Dernièrement, j’ai observé que pour notre génération, c’est le contraire qui s’est passé; ça s’est mis à bouger après celui de 1995. C’est à ce moment-là qu’est né Loco Locass, on portait déjà nos bonnets à l’époque. J’ai aussi noté, au cours des années 90, une réappropriation en langue française de tous les styles musicaux (métal, reggae, rap, ska, punk, folk)."

Parmi les forces du trio, les paroles prestes, vives et sensées viennent en tête de liste. Sur La Survenante, Batlam signe cette superbe phrase qui en dit beaucoup sur son lien à l’écriture: "Écrire c’est faire passer le chaos dans le chas d’une aiguille." La conversation s’oriente vers deux pôles importants pour quiconque projette de chanter en français au Québec en 2004: le niveau de langue et l’accent. Chafiik: "Y en a qui confondent niveau de langage pis parler à la française. Moi quand je vois des artistes québécois qui sortent avec leur esti d’accent français, ça me fait brailler, c’est mon pays qui a mal." Et Biz de conclure en imageant les propos de son ami: "Y ont pas mastiqué leurs influences. Faut que t’incorpores tes sucs digestifs sinon tu vas te faire digérer par ta sandwich."

Le 12 novembre
Au Club Soda
Loco Locass
Amour oral
(Audiogram)