REM : Politique friction
Musique

REM : Politique friction

Devenu l’un des groupes phares de toute la planète depuis le milieu des années 80, le superbe trio d’Athens a fait paraître son treizième album et entrepris une tournée américaine cet automne. Nous avons rencontré Michael Stipe et Peter Buck tout juste quelques heures avant les présidentielles américaines, dans lesquelles ils se sont sérieusement impliqués.  Exclusif.

POÉTIQUE

À l’écoute du nouvel album, nous n’avons pas l’impression que vous ayez pris des risques évidents.

Peter Buck: Nous composons et enregistrons des chansons. Nous ne sommes pas payés pour prendre des risques mais pour réaliser ce que nous aimons et ce que nous pensons être bien. Je suis fier du résultat et ravi de proposer aux auditeurs ce que j’estime être de qualité. Les sportifs de haut niveau sont des personnes qui aiment le risque et qui vivent pour le risque, pas moi. Je privilégie toujours la qualité.

Si tu pouvais changer des choses sur ce disque, que changerais-tu?

Peter Buck: Laisse-moi réfléchir… En fait, la période d’enregistrement, qui s’avère toujours très longue. Trop souvent, à force de rester enfermés de longs mois en studio, le résultat final apparaît un peu éloigné de ce que nous escomptions au départ ou de ce que nous avions maquetté dans la cave. J’aimerais donc retrouver la fraîcheur que nous avons souvent oubliée dans notre studio de répétition.

Quelle est ta vision de REM à ce jour?

Peter Buck: C’est une des plus grandes parties de ma vie puisqu’elle représente mon travail et mon quotidien. Je ne sais rien faire d’autre et je n’ai même rien fait d’autre depuis l’école. En fait, en y réfléchissant bien, je crois que je serais chômeur permanent ou écrivain. J’adore écrire. C’est peut-être la seule porte de sortie que j’ai en tête: devenir journaliste comme toi (rires).

Justement, vous entrez dans la phase promotionnelle pour défendre le nouvel album. Est-ce un cycle que tu apprécies aussi?

Peter Buck: Si je devais enchaîner des interviews tous les jours, je me tuerais et ce ne serait pas cool de laisser ainsi cette partie ingrate uniquement au chanteur (rires). Plus sérieusement, nous avons un disque à promouvoir tous les deux ans, ce n’est pas la mer à boire non plus. Nous ne passons que trois semaines à rencontrer des journalistes, j’assume donc assez bien cette tâche.

Tu sembles très détaché de cet aspect-là de ton métier.

Peter Buck: Rencontrer les médias ne me pose aucun problème puisque je veux que les gens achètent mes disques. Ils représentent un des vecteurs importants véhiculant l’information qui nous concerne. Sans ces trois semaines bisannuelles, je ne pense pas que je pourrais continuer à exercer ma passion. Cependant, j’ai une excellente tactique pour aborder cet exercice: je rencontre les journalistes comme si je me rendais à un cocktail. Je parle avec chacun d’eux de ce qu’il désire… Comme je déteste parler de moi (rires), je préfère échanger des opinions, des idées et des expériences du groupe, ou des événements de l’existence. Dans les cocktails, les entretiens se révèlent toujours très différents. Certains sont passionnants, d’autres moins, Donc, si je m’ennuie, j’écourte la rencontre si je le peux; dans le cas contraire, j’essaie de prendre la conversation à mon compte et j’aborde le sujet dont j’ai vraiment envie de parler: la musique. En adoptant cette attitude, les entrevues finissent toutes par avoir des moments agréables. Même si, parfois, je dois les chercher longtemps…

POLITIQUE

Depuis votre quatrième album, vous êtes devenus un groupe engagé à travers les textes de vos chansons. Est-ce facile de combiner sincèrement et clairement la musique et l’engagement, qu’il soit politique ou humanitaire?

Peter Buck: Je trouve la politique ennuyeuse. En revanche, écrire des textes pour tenter de faire passer des messages positifs n’a rien de navrant de nos jours. Huey Lewis, Bob Dylan, Steve Earle ou Bruce Springsteen l’ont longuement démontré. Il suffit juste d’être honnête et de parler de choses qui reflètent véritablement la réalité afin de ne pas sombrer dans la caricature ou l’ennui. Pour REM, Michael s’inscrit parfaitement dans cette mouvance. Je répondrais donc oui, sans hésiter.

Être américain de nos jours, alors qu’à travers le monde vous n’êtes pas trop appréciés, n’est-ce pas un handicap pour exercer ce métier?

Peter Buck: Si, parfois, bien sûr. Néanmoins, je comprends les habitants des autres pays d’avoir une telle opinion de nous. En voyageant, je l’ai constaté et je ne cesse de le répéter: les USA ne sont pas le centre du monde. J’ai beaucoup appris et grandi en allant visiter d’autres nations, ce que mes concitoyens ne font pas beaucoup. Les Américains apparaissent pour la plupart arrogants car ils ne restent bien souvent qu’entre eux. C’est une vision un peu éculée, mais pas inexacte. Pire: 70 % ne possèdent même pas de passeport et ne quitteront jamais leur territoire. Maintenant, à sa décharge, si un Américain qui travaille régulièrement désire visiter son pays, les USA demeurent si grands qu’il lui faudra au moins 20 ans pour en faire le tour!

Depuis la guerre en Irak et la sortie de Fahrenheit 9/11, les USA ont vu leur image se ternir à travers le monde. Vois-tu une façon de redorer le blason de votre nation?

Peter Buck: (L’air très sérieux) Je dois avouer que, malheureusement, le film de Michael démontre vraiment la bêtise de notre gouvernement et celle, tout aussi impressionnante, de certains médias américains comme la Fox, qui ont soutenu honteusement toutes les tromperies dictées par la Maison-Blanche. Nous pouvons critiquer aisément la politique de Bush, et je suis le premier à le faire, mais de là à répercuter cela sur l’ensemble de mes compatriotes, je ne crois pas que ce soit la bonne démarche à adopter. Nous avons accepté des erreurs commises par notre gouvernement, mais nous les avons aussi subies comme tout le monde. Nous n’aurions jamais dû faire cette guerre, je te le concède. En tout cas, pas pour les raisons invoquées par notre président. Les mensonges éhontés de l’administration Bush, et de ces journalistes appartenant aux grands réseaux radio ou télé qui ne méritent même pas l’appellation de journalistes, ne doivent surtout pas ternir la qualité et l’honnêteté de tous les ressortissants américains pour autant. Il ne faut pas tout mélanger. Bush reste un incompétent qui ne court qu’après l’usufruit du pétrole, ce qui n’est pas le cas de tous mes compagnons. Juste de quelques malhonnêtes personnages comme Rumsfeld, Ashcroft et toute cette clique de mecs vraiment véreux, qui se révèlent bien plus intelligents que le pantin qu’ils ont fait élire!

Tu parles des mensonges de toute une administration, mais comment faire confiance à une personne dont la légitimité repose déjà sur une tromperie lors de la précédente élection?

Peter Buck: Je suis obligé de confier que de nos jours, il est assez étrange de vivre aux USA et d’être américain. Jusqu’à présent, j’en avais toujours été fier; aujourd’hui, plus vraiment! C’est bien pour cette raison que j’ai toujours exprimé mon indignation si Bush se trouvait élu une seconde fois. De cette première duperie ont découlé toutes les autres. Je ne veux pas, à cause de telles inepties, me retrouver, dans le meilleur des cas, à jouer devant des gens qui nous jettent des pierres; ou pire, à devoir fuir ma patrie et renoncer à ma nationalité ou à mes origines.

Votre disque va sortir en même temps que se déroulera l’élection présidentielle américaine. N’as-tu pas peur que votre actualité soit occultée par l’événement que le monde entier attend?

Peter Buck: Non, chacun de nous évolue dans son propre univers: lui, dans la politique et moi, dans le monde musical! De plus, lorsque nous sortirons notre album, sa tournée, il l’aura finie, alors que la nôtre, nous allons bientôt la commencer (rires)…

(Michael Stipe décide subitement de se mêler à la conversation.)

Le conflit religieux mondial des intégristes, a été percu par certains comme une réponse à l’ "arrogance" des USA. Est-ce excessif?

Michael Stipe: Je ne peux pas affirmer que ce que tu dis est faux. Cependant, je ne pense pas que la méthode ait été des plus rationnelles. Attaquer les Twin Towers n’a fait qu’attiser notre repli sur nous-mêmes, et par là même renforcer la peur de l’autre, de l’inconnu. Ce que les gens appellent de l’arrogance n’est que de la méconnaissance de l’autre de notre part. Je n’ai rien contre les religions, pas même la religion islamique, mais je ne peux désapprouver la contre-attaque contre le régime des Talibans et les islamistes. Islam et islamisme ne sont pas la même chose. Cependant, si j’agrée la réponse à ce qu’a fait Ben Laden, je me désolidarise ouvertement de ce que nous avons infligé au peuple irakien en allant l’envahir sans aucune raison particulière. Et pire, pour de mauvaises raisons.

Peter Buck: Manquer de discernement lorsque arrivent de tels événements amène les gens à en juger d’autres et donc à agir sans motifs viables et cohérents. Nous en avons été victimes en septembre 2001, l’Irak dernièrement. Et le plus épouvantable, c’est de continuer à croire que nous, les "gentils" Américains, allons imposer ou instaurer une démocratie en Irak ou ailleurs. Ce pays reste une des plus anciennes civilisations mondiales. Nos cultures se révèlent si différentes que nous ne pouvons changer en une semaine, un mois, voire un an les mentalités de tout un peuple par le bon vouloir d’un pantin qui préside un groupe de manipulateurs d’opinion.

Quelle est pour vous la notion de démocratie?

Peter Buck: Une personne, un vote…

L’Amérique est donc mal placés pour imposer une démocratie après l’élection de Bush!!!

Peter Buck: Absolument d’accord et je voudrais oublier cette honte américaine. Ceci explique pourquoi je ne cautionne pas non plus cette volonté de rester en Irak. Il faut laisser ce pays aux Irakiens, et non se l’approprier. Nous ne pouvons nous poser en donneurs de leçons lorsque nous regardons ce que nous sommes et avons fait dans l’histoire de notre propre pays.

Chaque nation se doit d’avoir son ennemi juré. Vous avez longtemps combattu l’URSS. Maintenant, vous focalisez sur les islamistes. Le pire ennemi des USA n’est-il pas les USA eux-mêmes?

Peter Buck: C’est une excellente question, mais ce n’est toutefois pas la bonne dans ce cas-ci. Les terroristes ne sont pas uniquement nos ennemis, mais ceux de tous les peuples du monde. Maintenant, si j’étais né islamiste, je ne dirais peut-être pas la même chose. Alors, la réalité se trouve davantage dans ce constat. Nous combattons des terroristes prêts à tout au nom d’Allah, mais cela ne fait pas de nous les rois du monde pour autant.

Michael Stipe: Je serai bien plus pragmatique: le pire ennemi de l’homme restera toujours l’homme. Qu’il soit américain, français, irakien, espagnol ou russe. J’ai été tout autant effrayé à l’idée que nous puissions envahir l’Iran. Il s’en est fallu de peu, là aussi. Si cela avait abouti, cela aurait été un autre désastre, et pas uniquement humanitaire. La seule chose que je défende, c’est que je ne suis qu’un musicien, et non un politicien. Ma voix peut être entendue, mais elle ne compte pas pour diriger un pays.

REM
Around the sun
Warner Music
Le 11 novembre
Au Centre civique d’Ottawa