Taima : Air de glace
Musique

Taima : Air de glace

Taima, première incursion moderne issue de l’héritage inuit, conquiert patiemment tout le Canada. Le duo montréalais transporte maintenant ses airs de glace au Grand Théâtre. Programme double.

La voix, céleste, s’élève au-dessus des structures musicales minimalistes. C’est souvent doux, aérien, à tout coup bouleversant. Pour tout vous dire, voilà près d’un an que le compact d’Elisapie Isaac et Alain Auger, mieux connus sous le vocable de Taima, occupe une place de choix dans le lecteur CD.

Né d’une rencontre fortuite à l’été 2000, le projet Taima roule désormais à la vitesse grand V. Un album, une nomination à l’ADISQ, une tournée canadienne et au moins trois séjours en Europe: tout ça, le duo montréalais l’a fait en moins de deux ans: "À un moment donné, rigole Auger, c’était rendu une vraie farce. On se quittait à l’aéroport de Dorval et on se disait: "On se revoit à l’aéroport…"" La formation ferait bien de s’y habituer, elle possède tous les éléments pour plaire aux esprits souvent très curieux du Vieux Continent. Les mélomanes des pays nordiques, notamment, sont prompts à faire la fête à des groupes plus atmosphériques, qu’on se souvienne du triomphe trip-hop d’il y a quelques années ou de celui, plus récent, des Islandais de Sigur Ros.

Cette petite rencontre quasi banale est donc en passe de devenir une formidable aventure professionnelle. Une expérience intense et exigeante qui voit une relation d’amitié se transformer en une relation de travail: "On va t’avouer que par moments, c’est assez difficile à vivre, expliquent-ils. On a des émotions et des visions différentes et quand vient le temps des décisions importantes, c’est pas toujours évident. Au début, on était tout le temps ensemble. On pratiquait, on sortait et on s’appelait tous les jours. Aujourd’hui, on a replongé dans nos vies personnelles. C’était nécessaire. On est devenus, en quelque sorte, des partenaires d’affaires. Mais ce que je trouve extraordinaire, ajoute Auger, c’est que peu importent les crises, on réussit toujours à communiquer. On tient vraiment à cette relation."

La combinaison des deux personnalités, si elle est inspirante musicalement, peut aussi attiser le feu, ou à tout le moins être potentiellement explosive. Elisapie revendique 27 bougies et Alain, 33. La première se laisse bercer par les événements, le second est nettement plus ambitieux; elle débutait dans le milieu et lui ne voulait surtout pas retourner jouer dans les bars; il arrive une heure avant un rendez-vous… et elle se pointe souvent en retard: "La première année, illustre la chanteuse, j’avais l’impression de ramer dans un canot alors qu’Alain naviguait en yacht. Il voulait que j’aille plus vite. Mais j’ai réussi à lui faire comprendre que j’avais, moi aussi, des expériences à vivre…"

Malgré sa jolie frimousse, son apparente douceur et sa propension à la rêverie, madame ne se laisse pas marcher sur les pieds. Un caractère solide, une intelligence vive, une sensualité mystérieuse et un côté charnel pour le moins magnétique, voilà, en une heure d’entrevue, ce qu’on retient de la chanteuse. Exactement à l’image de la musique de Taima, loin de n’être qu’un amalgame de chansons doucereuses et évanescentes comme certains l’ont laissé entendre. Au détour des ambiances tempérées et apaisantes surgissent d’intenses mélodies, parfois porteuses d’une violence certaine: "Merci. Merci beaucoup! s’exclame Alain. Tu es le premier qui amène ce point-là. Tout le monde entend le côté très doux du disque, mais y a tellement plus que ça. (…) Je déteste les choses linéaires et c’est pourquoi, après une pièce plus dure comme So You Say, on retrouve Remaining for You. Tu ne peux pas avoir plus opposé que ça…"

Les paysages musicaux ont beau être nombreux et variés, on ne parle quand même pas ici d’un disque en montagnes russes. La ligne directrice est limpide et laisse transpirer une apparente sérénité, même si Elisapie avoue franchement ne pas toujours avoir le cœur à la fête. Le magnifique bleu de la pochette signifierait-il également avoir le blues? "Au début de notre relation, je me souviens que je me cherchais beaucoup, confie-t-elle. Ce que j’écrivais à ce moment-là était souvent très cru. Hard to Be est née comme ça. C’est un gros fuck you à ce qui m’entourait. Avec ce texte, j’ai l’impression de vivre les mêmes sensations un peu animales qu’une PJ Harvey peut ressentir dans ses compos." "En spectacle, cette chanson-là fait du bien quand elle arrive, ajoute Auger. Je ne suis pas quelqu’un de dark dans la vie, mais j’adore la musique sombre et lourde comme celle de Portishead, par exemple. Quand la mélodie explose, t’as envie de te "pitcher" sur les murs…"

Auger et sa collègue pourraient bien se "pitcher" sur les murs pendant un bon bout de temps encore. Les Européens sont intéressés, mais rien n’a vraiment été exploré pour la peine. Et puis la planète ne sera probablement jamais trop grande pour les ambitions du compositeur: "C’est drôle, après l’Europe, j’aimerais bien aller voir ce que le Japon pense de notre musique…" rêve-t-il. "Le Japon? Alain, franchement…" soupire Elisapie. Nous les avons laissés s’obstiner tranquillement.

Le 2 décembre à 20 h
Au Grand Théâtre

Voir calendrier Folk/Country/Blues