Yves Lambert : Résurrection
Yves Lambert semble bien sorti de son "désert de glace", période difficile qui a suivi son départ de la Bottine souriante. Ses vieux souliers rangés dans le placard, il avance maintenant pieds nus avec confiance. Récidive.
Figure emblématique du folklore québécois, Yves Lambert admet que d’enterrer ses 26 ans de carrière avec la Bottine souriante lui a donné quelques vertiges. Du coup, il mettait un trait sur son gagne-pain, sur une sécurité. Son univers tout entier était bousculé. Presque deux ans plus tard, animé par un désir nouveau de créer, il affirme néanmoins que c’était la bonne décision. Son album Récidive, lancé en octobre dernier, en demeure la preuve.
QUELQU’UN D’AUTRE…
"C’est la résurrection… C’est la redécouverte du plaisir, la redécouverte de travailler avec une nouvelle équipe complètement disponible. C’est un retour aux sources au niveau de la tradition, une continuité dans l’hybridité du patrimoine musical québécois. Au niveau de ma démarche, j’ai carrément l’impression de continuer le travail accompli depuis bientôt 30 ans, explique-t-il dans un seul souffle. À l’époque où j’ai arrêté la Bottine, je me demandais si c’était un ego trip ou une lassitude de travailler en collectif. Depuis, je me suis aperçu que les directions sont maintenant claires… parce que c’est mon image. Et en ce qui a trait à la méthode de travail, ça demeure extrêmement collectif, ce qui m’a un peu rassuré par rapport à mon individualité. En fin de compte, ce n’était pas un ego trip, mais un désir d’approfondir d’autres univers."
S’il a d’abord voulu enregistrer Récidive dans un esprit purement traditionnel, Lambert, influencé par ses collaborateurs, a bifurqué quelque peu de sa trajectoire originale. S’éloignant du monde de la fête, il a plutôt plongé dans un univers qui porte à la réflexion. Il chante, entre autres, ses croyances par rapport à la marijuana (un texte écrit sur mesure par Francine Labrie), glisse sur les mots de Raymond Lévesque, revisite V’là l’bon vent, qui dénonce les actions américaines au Moyen-Orient. "J’ai toujours voulu actualiser la chanson traditionnelle, la rendre pertinente dans le propos maintenant, confie l’homme à la barbe hirsute. Ce que je veux dire dans À l’abri des bombes, c’est bien sûr une opposition à la guerre en Irak, mais je voulais aussi faire réaliser que, même s’ils sont différents, les gens aiment." Un pied de nez au folklore québécois? Pas vraiment, car selon l’artiste de Lanaudière les rythmes québécois s’insèrent aussi dans la grande famille des musiques du monde.
Désormais entouré de Sylvie Genest (piano, accordéon), de Tommy Gauthier (violon, bouzouki, mandoline, voix), d’Olivier Rondeau (guitares, voix), de Nicolas Pellerin (violon, pieds, voix) et de Benoît Dufresne (contrebasse), Lambert avoue renaître: "Moi, en tant que vieux musicien de la relève, je commence… Yves Lambert, personne ne le connaît. Moi, je suis Monsieur Bottine. C’est pour ça que je me considère comme faisant partie de la relève. Je recommence vraiment quelque chose. Et je me sens plus proche de la jeune génération que de celle de mon âge. Je dis quelque chose aux jeunes et ils me comprennent. Ils sont d’accord avec moi. Les vieux ne le sont pas parce que je les dérange. Je pense qu’ils sont plus conformistes que moi avec le temps."
L’ÂGE DE RAISON
Seul aux commandes de son navire, le maquisard de 48 ans retrouve une liberté perdue. Une indépendance qui s’exprime autant dans sa musique que dans sa pensée. "Dans le contexte actuel, où l’industrie culturelle est plus industrielle que culturelle, il y a des positions à prendre. J’en ai donc profité pour me "grounder". J’avais le goût d’un retour aux sources en ce qui concerne la tradition québécoise. J’avais besoin de plus de real stuff. Pendant longtemps, la démarche de la Bottine a été très fusion. Cela est parti d’une manière et cela a abouti, au début des années 90, avec les cuivres. C’était très exubérant. Mon rôle là-dedans devenait de plus en plus secondaire dans l’esthétisme musical. Le band axait la musique sur les arrangements au détriment du contenu et des solistes…"
Ainsi, le passionné ramène les projecteurs vers lui. Ne craignant plus d’écorcher les oreilles de ses collègues avec ses idées politiques, il affiche désormais ses véritables couleurs. "Je suis beaucoup plus affirmé. Je n’ai plus de comptes à rendre à personne. Je suis beaucoup plus cinglant, beaucoup plus critique par rapport à la société. Je n’ai jamais été aussi nationaliste que maintenant. J’estime qu’à moyen et à long terme, la seule façon de préserver notre culture, c’est la souveraineté." Faire partie du mouvement traditionnel se révèle-t-il une façon de participer à la sauvegarde de notre héritage québécois? "Oui, c’est un geste politique… esthétique et de variété. Je ne suis pas un démagogue. Je sais que je représente un certain symbole de la fête et je ne veux vraiment pas laisser ce côté. Mais, je crois que c’est notre responsabilité en tant qu’artistes d’avoir des opinions. Et il ne faut pas avoir peur de ses convictions. Il y a une phrase qui ne me ressemble plus du tout -je ne dénigre pas les gens qui font de cette manière; j’aime bien le vivre et le laisser vivre – mais, en tant qu’artiste qui a une certaine démarche, je ne pourrais plus jamais dire: "Ah! moi, je fais de la musique pour gagner ma vie et peu importe les contextes, je vais jouer." J’estime qu’il faut choisir… Et quand ça touche à la propagande, il faut se produire en fonction de ses convictions. Dans mon cas, ce n’est pas l’argent qui va mener ma destinée." Le volubile musicien semble d’ailleurs en avoir gros sur le cœur à ce sujet et parle de sa déception quant à l’industrie de la radio: "J’estime qu’il y a du monde qui ne prend pas la responsabilité d’éduquer le peuple. Car ce n’est pas à cause de celui-ci si la culture du Québec s’en va chez le diable. C’est à cause des décideurs, des jeunes cadres mercantiles… Il y aurait beaucoup de ménage à faire, mais la volonté n’est pas là", conclut-il avec tristesse.
Le 9 décembre
Au Théâtre de la Plaza
Voir calendrier /World/Reggae