Ray LaMontagne : Hors des eaux troubles
Musique

Ray LaMontagne : Hors des eaux troubles

Ray LaMontagne lance Trouble, un premier album solide et suave qui apparaît comme la lueur au bout d’une exigeante quête. Rencontre avec un introverti sorti de sa coquille.

Ce jour-là, comme tous les matins, Ray LaMontagne avait réglé son cadran pour 4 h. C’était il y a quelque cinq ou six ans, il bossait pour une shop de souliers et une autre morne journée promettait d’éclore. Tree Top Flyer, de Stephen Stills (Crosby, Stills & Nash), jouait au radio-réveil et tira LaMontagne du sommeil, pour le mener vers un autre rêve. "J’ai alors quitté mon emploi et c’est à ce moment-là, précisément, que la musique a commencé à avoir une si forte emprise sur moi." Si les morning men savaient… "Dans l’année qui suivit, j’ai rattrapé le temps perdu; je me suis mis à écouter Joni Mitchell, Bob Dylan, Neil Young, The Band, Ray Charles, Otis Redding. J’ai trouvé beaucoup de joie et de réconfort dans la musique. Dès lors, j’ai su que je voulais chanter, mais en même temps c’était un projet insensé parce que je n’avais jamais adressé la parole à quiconque de ma vie. Je suis quelqu’un de sévèrement introverti."

Ray LaMontagne signe un des beaux albums de l’automne 2004. Passé injustement inaperçu, Trouble réunit 10 morceaux empreints d’une grande douceur, des pièces pleines qui évitent la surcharge d’arrangements, toutes porteuses d’un alliage harmonieux de tendresse et de lucidité, d’une sorte de grâce langoureuse, d’une véritable force tranquille qui s’offre le luxe de la lenteur.

"Dieu pardonne aux chanteurs peu importent leurs actes puisqu’il donnerait sa vie pour une chanson", lit-on dans le livret. La citation, tirée de La Dernière Tentation du Christ – roman que lisait LaMontagne au moment de la conception de l’objet-disque -, fut associée à une représentation du diable valsant avec une femme aux yeux bandés, le tout ouvrant sur un fort joli paradoxe. Cette femme est-elle en danger? "Qui sait? rigole le chanteur. Même si c’est un artiste contemporain qui la signe (Jason Holly), on pourrait croire que cette illustration fut dessinée il y a longtemps, et c’est ce qui me la fait aimer. Elle renvoie au côté obscur de l’humain. Je la trouve puissante. Aussi, je ne voulais voir mon visage nulle part dans ce livret. Je ne suis pas un homme très élégant vous savez, je ne suis pas bien dans ma peau et je ne l’ai jamais été."

Souvent articulées autour de l’idée de rédemption, les chansons de Ray LaMontagne révèlent un parolier de talent, un poète (voir All the Wild Horses pour s’en convaincre) mais aussi – et surtout – une voix mature et graveleuse, faite pour la musique soul, se dit-on à la première écoute. Invitante et habitée, la voix de Ray LaMontagne est celle de quelqu’un qui en aurait beaucoup vu et vécu, et non celle d’un homme plutôt jeune, âgé de 31 ans. "Honnêtement, je ne l’ai pas toujours eue facile. Ma mère s’est échappée de chez elle à 13 ans. Elle n’était pas prête à avoir des enfants et elle en a eu six, tous de pères différents. En 20 ans, j’ai dû parler à mon père pendant… une minute et demie. À l’école, j’étais toujours le nouveau. Beaucoup de gens vivent dans un état grave de pauvreté; nous étions de ceux-là. De l’Utah au Maine, nous avons habité dans une panoplie de domiciles inhabituels: dans la cour des amis de ma mère, dans des voitures et des tentes, dans un ranch au Tennessee et même dans une coopérative de poulets au New Hampshire. Ce fut parfois paniquant parce que nous étions continuellement plongés dans l’instabilité."

Le parcours d’artiste de Ray LaMontagne ressemble à une quête. "Quand j’ai commencé, j’étais évidemment gêné. Je savais que ce n’était pas de cette façon que j’avais envie de chanter, je voulais le faire plus passionnément, puissamment, car j’aime les interprètes qui semblent liés émotivement à ce qu’ils chantent. Je savais que pour y arriver, il me faudrait dépasser une limite personnelle. Même si je suis allé au-delà de ma timidité, et que ça m’a guéri en partie, je reste quelqu’un de très solitaire, heureux tout seul à conduire ma moto dans les collines. Aussi, même si la musique m’a en quelque sorte sauvé, elle demeure le grand défi pour moi."

Ray LaMontagne
Trouble
RCA