Coups de coeur – disques 2004 : Junkie et amoureux
Musique

Coups de coeur – disques 2004 : Junkie et amoureux

Parmi le lot de disques parus en 2004, les collaborateurs mélomanes de Voir racontent leur coup de cœur de l’année, leur histoire de dépendance à un disque. Amour, quand tu nous tiens.

Indie
The Arcade Fire
Funeral
(Merge)

C’est en septembre dernier, à l’Église de l’Armée du Salut dans l’Ouest de la ville, que le coup au cœur eut lieu pour plusieurs lors d’un des concerts marquants de l’automne. Tapis mousseux de la couleur du sang, hautes colonnes blanches, de la lumière, beaucoup de lumière: un décor tout à fait dans l’esprit de The Arcade Fire. On craque pour l’album Funeral, pour sa section rythmique complexe et inventive, ses voix incarnées – dont le cri primal et renversant de Win Butler, aussi véhément que celui d’un Conor Oberst (Bright Eyes) -, ses transports euphorisants de guitares, le piano volatil et inflammable sur Neighborhood (1 (Tunnels), un morceau dont on ne s’est pas encore tout à fait remis, son lyrisme porté par les cordes, un certain mysticisme lumineux mais acide et le romantisme sombre, crypté, qui enveloppe ce précieux chapelet de 10 pièces. Formé à Montréal, le groupe signe un album à vous donner la fièvre, un disque exaltant né à la jonction de l’amour et de la mort. (Marie Hélène Poitras)

Rock
Wilco
A Ghost Is Born
(Nonesuch / Warner)

C’est peut-être la fragilité qui est l’aspect le plus séduisant de la musique de Wilco. L’idée de la mort qui rôde, d’une urgence de dire les choses qui se délitent dès qu’on les touche. Disque après disque, malgré les changements de personnel, les effondrements psychologiques et les drames humains, la musique de Jeff Tweedy se complexifie ou se raffine. Ainsi, plusieurs mois après sa sortie, on demeure hanté par A Ghost is Born, possédé par ses bouquets de rage, ses languissantes ballades disloquées, ses ruptures de ton et le courage émanant de cette œuvre majeure qui vient à nouveau confirmer le talent d’un des plus fascinants ensembles d’Amérique. (David Desjardins)

Métal
Mastodon
Leviathan
(Relapse Records / Koch)

L’un des groupes métal de l’année est sans contredit Mastodon, qui a lancé l’été dernier Leviathan, son deuxième album intense, massif, progressif et lourd, mais aussi mélodique, entraînant et accessible. Le quatuor d’Atlanta nous avait d’ailleurs donné un aperçu de la beauté agressive de Leviathan lors de son passage le 2 août au Medley, en première partie de Fear Factory. Si on pouvait décerner le prix de la meilleure étiquette, on soulignerait la contribution du petit label de Philadelphie, Relapse Records, qui a rarement manqué son coup en 2004, nous offrant les nouveautés de Today Is the Day (Kiss the Pig), Necrophagist (Epitaph), Dillinger Escape Plan (Miss Machine), Buried Inside (Chronoclast), Pig Destroyer (Terrifyer) et Nasum (Shift). Une cuvée exceptionnelle. (Christine Fortier)

Reggae
Burning Spear
Sounds From The Burning Spear
(Soul Jazz / Fusion III)

Winston Rodney est beaucoup mieux connu pour ses prestations scéniques hypnotiques et son dévouement à Marcus Garvey que pour la richesse et la profondeur de son répertoire. Néanmoins, cette superbe anthologie de ses toutes premières compositions, écrites dans la quiétude des collines de St. Ann et enregistrées pendant la période 1970-74 à Studio One, révèle un nouvel auteur inspiré, touché par la grâce et qui introduit une quête spirituelle dans les thèmes usuels. L’accompagnement de Horsemouth Wallace, Leroy Sibbles, Jackie Mittoo et Ernest Ranglin a largement contribué au fait que ces chansons sont vite entrées dans la mythologie musicale du vingtième siècle et sont ici disponibles sous format disque compact pour la première fois; aucun amateur de reggae qui se respecte ne peut s’en passer. (Richard Lafrance)

Musique du monde
Buyu Ambroise
Blues in Red
(Justin Time / Fusion III)

Je suis trop bien placé ou pas assez pour en parler mais tant pis, cet enregistrement venu de New York et que j’ai écouté au jour de l’An reste mon vrai coup de cœur de l’année 2004. Le jazz est vraiment né de la traite des Noirs dans la Caraïbe et cette rencontre miraculeuse le prouve d’autant mieux que les éléments ethniques et la notion de blues y sont indissociables. Ambroise, au sax ténor, s’il n’est pas un virtuose, sait vraiment bien de quoi il cause. Quinquagénaire, prof d’histoire et de musique, ancien élève de John Lewis, il mène un quintette acoustique qui fusionne en beauté le folklore d’Haïti et la tradition afro-américaine. Propulsé par le batteur Obed Calvaire et le contrebassiste Paul Beaudry avec des percussions traditionnelles, ce premier album éloquent restera une importante contribution. Peut-être le chaînon manquant… (Ralph Boncy)

Pop anglophone
Keane
Hopes and Fears
(Interscope / Universal)

Arrivé de nulle part au mois de mai, ce premier album du trio d’Angleterre a fini, petit à petit, par enchanter l’Amérique du Nord en entier, grâce au superbe tube Somewhere Only We Know. Immédiatement, Keane nous a fait penser à Coldplay, Travis et U2 avec ses mélodies envoûtantes au piano, à la batterie et à la basse. Tom Chaplin, avec sa voix qui évoque tantôt Fran Healey et ensuite Freddie Mercury, est bien évidemment le premier instrument du groupe. On aurait du mal à imaginer un timbre autre que le sien. Au moment de la sortie de Hopes and Fears, on avait accusé Keane de ne pas réinventer la roue mais, avouons-le, ces Brits continueront de rouler encore très longtemps, fort heureusement.

Pop francophone
Dumas
Ferme la radio et Les Aimants (bande originale)
(Tacca)

"Pour fans seulement", aime à dire Dumas à propos de son maxi de quatre titres Ferme la radio, paru en juin. Disponible uniquement sur le site Internet et à la fin de ses concerts, cette œuvre est le prolongement de l’exceptionnel album Le Cours des jours, une des belles surprises de 2003. Plus rock, moins aériennes, ces chansons abordent des thématiques chères au chanteur: l’amour et l’errance. À ce petit moment de joie s’ajoute la bande originale du film Les Aimants, préparée en complicité avec le fidèle Carl Bastien, sur laquelle Isabelle Blais prête sa voix, le temps de quelques chansons bouleversantes. Des pièces instrumentales planantes amènent l’auditeur ailleurs, bien loin du film, et c’est la grande qualité d’une B.O. que de se passer de la pellicule. Un disque autonome et romantique, un autre bon coup marqué par Dumas en 2004. (Francis Hébert)

Folk
Wovenhand
Consider the Birds
(Familyre)

Après avoir composé les musiques de Blush pour Ultima Vez, l’inquiétant David Eugene Edwards, leader des Sixteen Horsepower de Detroit, accouchait le 2 novembre dernier d’un second album solo fantasmagorique. Ficelée à deux mains sur des pianos bastringues (Into the Piano), des guitares métallisées, une batterie brossée et des banjos de hillbilly (To Make a Ring), cette musique est ponctuée d’animaux éblouis dans les appels de phares, de granges hantées et de personnages possédés n’allant nulle part. Incarnation blonde et précocement ravagée de Johnny Cash, Edwards repousse la frontière d’un genre très en vogue, le country-folk-alternatif-intello-pessimiste. Aucun romantisme noir ici, aucune complaisance, si ce n’est l’intention délibérée de casser les mélodies, de détourner les refrains de leur structure prévisible, de faire du beau, jamais du joli… Troublant comme un oiseau mort tombé de nulle part à vos pieds. (François Desmeules)

Chanson
Pierre Bondu
Quelqu’un quelque part
(Le Village vert)

Sans fracas, le Français Pierre Bondu a fait son entrée dans la chanson française avec un premier disque, Ramdam (1999), minuscule succès d’estime sur lequel l’influence d’Étienne Daho se fait sentir. Plus convaincantes furent ses collaborations: Bondu a composé pour Miossec, joué avec Dominique A, arrangé les cordes pour Katerine et Anna Karina. D’abord un musicien de formation classique, ce jeune trentenaire signait aussi la bande originale du film de Catherine Corsini, La Répétition. Ses maîtres en musique se nomment Ennio Morricone, Hector Berlioz et The Divine Comedy. À l’hiver 2004, Quelqu’un quelque part, son second opus, arrivait chez les disquaires français (hélas! pas encore chez les nôtres). Le clavecin et les cordes dominent sur ces chansons rêveuses, intimistes, mélancoliques et ironiques. Bondu y chante les angoisses humaines, la peur de vieillir obèse et avachi, les désillusions sentimentales et amicales, l’amour qui fait planer avant de s’écraser. Dix symphonies de poche au parfum parfois sixties, morceaux souvent intemporels. (Francis Hébert)

Jazz
Aldo Romano
Threesome
(Universal)

Le trio piano-contrebasse-batterie attire le jazzomane au creux de ses mailles. Celui formé par Aldo Romano (batterie), Danilo Rea (piano) et Rémi Vignolo (contrebasse) le livre à ses sortilèges. Romano dédie les pièces de ce disque à son vieux complice Claude Nougaro pour qui il a écrit tant de belles musiques. Le compositeur a toujours eu un sens de la mélodie proche de la chanson, un bonheur qui danse et qui n’a d’égal que la liberté avec laquelle Nougaro jouait du verbe! Aïe! Que ça chante, mes amis. Les trois musiciens entrecroisent avec finesse des impros à mi-chemin entre lyrisme et formalisme, fondant blues, hard-bop et romantisme au creuset de la plus grande modernité. Un pur délice! (Denys Lelièvre)

Musique actuelle
René Lussier
Grand Vent
(La Tribu / Select)

Paru en tout début d’année, Grand Vent a bel et bien soufflé une fraîche brise sur la scène actuelle. Jamais là où on l’attend, mais toujours fidèle à lui-même, le guitariste tient avec ce projet l’une de ses propositions les plus "populaires" sans pourtant délaisser l’innovation et la complexité. Le renouvellement dans la continuité, après tout, c’est le mot d’ordre en musique actuelle! Avec Guillaume Dostaler (claviers), Tom Walsh (trombone), Lori Freedman (clarinettes), Jean René (alto), Maxime Lepage (basse), François Chauvette (batterie) et Claude Lavergne (percussions), René Lussier tient une équipe aussi à l’aise avec la musique hawaïenne de Sunny Cuhna qu’avec ses propres hybridations savantes. Renouvellement? On attend maintenant son album de chansons! (Réjean Beaucage)