Henri Salvador : Henri 1er, roi des crooners
Musique

Henri Salvador : Henri 1er, roi des crooners

Henri Salvador, 86 ans, rayonnait lors de son récent passage au Québec. Des projets plein la tête, des chansons à revendre, la mémoire intacte et la classe absolue. Rencontre.

Lors de son premier spectacle au Québec après quelque 45 années d’absence, en 2001, Salvador, le patriarche, prit sa guitare acoustique pour une bossa-nova d’au moins 300 accords. Mais il arrêta l’orchestre au bout de 30 secondes, raccorda tranquillement son instrument, à l’oreille, devant 3000 spectateurs. Il faut le faire! Le métier, ça ne s’invente pas.

Débarqué à Paris en 1924, cet Antillais déluré allait devenir un des premiers hommes de couleur à s’imposer sur la scène hexagonale. Ce n’est pas rien. Avec son pote Boris Vian, cigarette au bec, il allait signer 500 chansons dont Taxi, qu’il reprend aujourd’hui avec son texte original traitant de "l’aérodrome d’Orly!" et le fameux Trompette d’occasion, un swing tout à fait jazz, qu’il délivre encore en embouchant l’instrument pour un solo bien appuyé. "C’est le seul chorus que je suis capable de jouer!" ricane-t-il, complètement heureux de nous avoir encore joué un tour pendable.

"Je ne suis pas le premier, confesse-t-il avec gentillesse et modestie. Mais le music-hall en France a encore plus de puissance que le cinéma ou le théâtre. Et puis j’avais une nature rigolote, ça amusait les gens. J’ai donc fait trois carrières. D’abord, j’ai chanté pour les enfants, puis j’ai chanté des chansons commerciales. À cette époque, c’était trop tôt pour un répertoire que j’aime, à la manière de Frank Sinatra et Nat King Cole. Et puis il y a eu Chambre avec vue. C’était tellement contraire à tout ce qu’on entendait alors à la radio – du reggae, du rock, du rap et du techno – que le public a enfin aimé ces chansons."

On peut le trouver ringard ou carrément décalé mais Salvador prétend qu’il n’y a eu qu’un seul crooner en France: Jean Sablon. "Il est parti en Amérique parce qu’on ne le comprenait pas." Mais dans la vie, il ne faut pas s’en faire, il suffit de savoir attendre. Bon prince, Monsieur Henri répète encore que c’est Maurice Chevalier, le roi du music-hall français, qui lui a montré tous les principes et toutes les astuces. Est-ce la raison pour laquelle dans Bonsoir amis, le DVD de son spectacle au Palais des Congrès à Paris en février dernier, Salvador livre debout, avec une rare prestance, trois sketchs et 27 chansons de son cru, ne s’appuyant sur son tabouret que pour interpréter avec superbe sa très personnelle version d’Avec le temps de Léo Ferré? Toutes ses mélodies douces qui contemplent la vie et la mort avec la même sérénité, la même plénitude, pensez-vous qu’il a l’âge de les interpréter?

Aznavour disait qu’"à 40 ans, lorsqu’un chanteur s’arrête sur la scène, c’est pour reprendre son souffle". À 86, avoir autant d’élégance sur scène, c’est tout simplement phénoménal. Et ce n’est pas fini. Ce champion de pétanque va devoir délaisser le sport qui le passionne pour remplir ses engagements dans le cadre d’une autre tournée mondiale avec orchestre.

"Je compose tout le temps. C’est ma passion. C’est même pas un métier, pas un travail: c’est un amusement. J’ai des mélodies et des mélodies, et en plus, ma femme a eu la gentillesse de m’offrir un nouveau studio d’enregistrement qui est installé à la maison. Alors quand on me dit qu’il faut faire un disque, j’ai tout ce qu’il faut!"

On oublie trop souvent que ce compositeur magnifique (celui qui a écrit Syracuse en cinq minutes sur son piano avec Bernard Dimey complètement ivre dans son salon) a été le collègue de Quincy Jones, le précurseur de la bossa brésilienne et un véritable pionnier du savoir-faire multipiste. Probablement le premier chanteur en France à réaliser lui-même ses productions dans son studio de place Vendôme. À l’époque, il doublait les voix pour les dessins animés de Disney et son album Les Aristochats – où il chantait toutes les voix et jouait absolument de tous les instruments – avait obtenu le Grand Prix du disque de l’Académie Charles Cros.

"J’ai fait énormément de yoga. Je voulais chanter comme King Cole. J’ai donc travaillé ma respiration. J’ai trouvé un livre, boulevard Saint-Germain, qui s’appelait L’Art de la respiration en 12 leçons. Et j’ai tellement travaillé que j’arrivais à lire jusqu’à trois ou quatre pages sans respirer. Après, j’ai appris à chanter dans le micro. Ce truc-là, c’est la plus belle invention qui soit. Sauf que pour transmettre les sentiments, il faut chanter très doucement, dans le souffle, comme King Cole. Et quand on chante dans le souffle, les mots, on peut mieux les dire. Et si on a une note plus forte, ça donne plus d’ampleur encore. J’ai beaucoup travaillé ça. Je vous assure: on croit que je suis un fainéant mais pas du tout! Je suis passionné par mon métier, je n’aime que la chanson française. Ça me rend fou."

L’expérience de Monsieur Henri nous prouve au moins une chose: il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Henri Salvador
Henri Salvador: Bonsoir amis
(Virgin / EMI)