CocoRosie : L'ouf et les poules
Musique

CocoRosie : L’ouf et les poules

Deux sœurs s’étaient donné rendez-vous à Paris: Rosie, soprano allumée drop-out d’une école d’opéra et Coco, New-Yorkaise passionnée de poésie, de hip-hop et de lingerie. Nous avons causé avec Coco.

On pourrait croire que ce jour-là, Coco et Rosie, deux fées un peu maléfiques perdues dans un désert d’herbes jaunies, réfugiées dans un shack peinturé en rose oublié là où plus personne ne vient, décidèrent, non pas de faire sécher des fleurs, d’aller compter les étoiles, d’imager les nuages, de donner une leçon de poésie aux libellules ou d’inventer un parfum, mais plutôt d’enregistrer sur un quatre pistes un disque rêveur, éthéré, plus que délicat, porteur d’une étrange ironie, et de le nommer La Maison de mon rêve (Touch and Go, 2004). Et tout ça parce qu’il pleuvait dehors, une pluie fine rappelant mars à Paris…

On pourrait le croire et on aurait presque raison. "Nous nous sommes abandonnées, c’était comme une force. Nous avons écouté ce qui se présentait à nous. Ma sœur et moi n’avions pas prévu faire un disque. Nous nous sommes retrouvées dans une situation où nous étions isolées et sur-stimulées", raconte Bianca Casady (alias Coco) dans cet anglais chiqué qui pointe le lieu de sa naissance, dans le Sud des États-Unis.

Petit retour dans le passé: Bianca Casady vivait à New York, où elle enseignait la poésie, jouait les mannequins, aimait le hip-hop, s’exerçait au dessin tout en développant sa propre ligne de lingerie. Sa sœur Sierra (Rosie), voix flûtée de soprano, vif intérêt pour les musiques gospel, chants spirituels et autres chorales médiévales, réfugiée dans un petit appartement à Montmartre, étudiait à l’école d’opéra… jusqu’à ce qu’elle manifeste des ambitions d’écriture et de composition, un désir ardent d’aller au-delà de son rôle d’interprète. Il y avait des lunes que ces deux-là, souvent séparées, n’ayant jamais été très proches l’une de l’autre, ne s’étaient croisées. "Puis un jour j’ai pris l’avion pour Paris et j’ai appelé ma sœur. Nous sommes très différentes. Très tôt, on a dirigé Sierra vers l’opéra. Moi, j’ai expérimenté à travers d’autres médias: mode, vidéo, dessin. Rien n’était planifié. Nous nous sommes rencontrées et, à travers un long processus, nous avons appris les codes du langage de l’autre. Nous avons tant échangé, jusqu’à parler une même langue malgré nos backgrounds différents."

Un disque gracile et inattendu fabriqué dans un état de totale liberté apparaît au bout de cette alchimie, une douzaine de morceaux ténus, tous témoins de la fusion de deux univers au départ éloignés. Sur Candy Land, par exemple, c’est la voix de soprano de Rosie qui s’élève, mélancolique, vaporeuse, fiancée aux envolées prestes et déliées de la harpe, pimentée d’échantillonnages bidouillés par Coco avec les moyens du bord, de vieux jouets chipés à l’enfance détournés de leur utilité première, plaqués là de façon délicieusement impertinente. "C’est un jouet avec des sons d’animaux de ferme… Nous l’aimions toutes les deux, ça sonnait comme un cri de criquet très fort. C’est l’objet le moins romantique qui soit. Mais on finit par oublier la provenance du bruit, et c’est vraiment l’effet final qui compte. Nous avons travaillé avec ce qu’il y avait autour de nous et c’est, je crois, une des qualités de l’album." Terrible Angels, la première pièce, est insaisissable, belle, disloquée, écrite dans l’ombre de toutes ces figures mâles de poètes marquants: Rainer Maria Rilke, Arthur Rimbaud, Jim Morrison. Il y a d’autres plages tout aussi intrigantes, gracieuses et un peu amorales: "Jesus loves me / But not my wife / Not my nigger friends / Or their nigger lives", fredonnent les fées de leurs voix de sucre sur Jesus Loves Me. L’amour est toujours au rendez-vous mais apparaît comme une moquerie: "I once fell in love with you, just because the sky turned from gray into blue".

"À Paris, on a aperçu ce superbe appartement sur le point d’être démoli. Les murs avaient été abattus, ce qui fait qu’on le voyait de l’intérieur: on a regardé les papiers peints, la salle de bain, la chambre du bébé. Et j’ai pris cette maison en photo, comme pour fixer le moment passé là-bas. C’est elle, la maison de mon rêve."

CocoRosie en première partie de Bright Eyes
Le 22 janvier
Au Spectrum

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